animaux hiérarchie
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 07/07/2014 à 17h55
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Question d'origine :
J'aimerais savoir chez les animaux en meute (ou vivant en groupe), si le chef possède un nom particulier comme pour les loups (alpha), mais chez les autres animaux (principalement les mammifères). Merci
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 09/07/2014 à 10h23
Bonjour,
En zoologie, pour désigner le membre d’une meute ou d’un groupe d’animaux possédant le rang le plus élevé, on parle demâle dominant ou de femelle dominante , ou d'Alpha. Il semble donc bien que le nom d’Alpha pour désigner l’individu dominant ne se limite pas aux loups, mais s'applique à tous les animaux chez lesquels ce comportement s'observe, comme les poulets ou les chimpanzés.
L’Alpha / individu dominant au sein d’un groupe se distingue par un comportement dominant qui peut varier selon les espèces (prérogatives liées à la nourriture, à la reproduction, agressivité…), et qui n’est pas, ou rarement, contesté par ses congénères :
Relation de dominance-subordination
Dans un groupe de poulets vivant ensemble depuis quelque temps, on n'observe plus de manifestations d'agressivité si le grain donné aux animaux est suffisamment réparti dans l'enclos. Mais si l'on crée une situation de compétition, en plaçant un seul tas de grains devant le groupe affamé, on constate qu'un seul poulet (individu alpha) s'approche aussitôt et se nourrit activement. D'autres se tiennent à proximité, mais ne prennent pas de nourriture. Si quelques graines sont dispersées, un poulet qui en est proche peut s'en saisir, mais l'animal alpha fait un mouvement de menace, ou bien donne un coup de bec à l'intrus ; celui-ci s'éloigne immédiatement et ne rend jamais le coup de bec.
Si l'on enlève le dominant (alpha), on voit immédiatement un autre poulet (bêta) prendre sa place et dominer tous les autres comme le faisait alpha.
En éloignant ensuite successivement l'animal qui est dominant à chaque phase, on constate que sa présence empêchait les autres de manger, ce qui met en évidence la hiérarchie dans le groupe : l'ordre dans lequel les oiseaux se donnent des coups de bec (peck-order d'Allee), ou ordre de préséance (rank-order de W. Etkin), en est le signe.
Il est important de souligner que cette préséance n'est pas soutenue par des combats fréquents ; elle est acceptée par tous. C'est seulement de manière occasionnelle qu'un individu dépasse les limites et reçoit une punition, à laquelle il ne répond que par la fuite. Le plus souvent, il suffit que le dominant se prépare à donner un coup, préparation souvent ritualisée en une menace, pour que l'animal subordonné réagisse d'une manière adaptée. Il s'agit tantôt d'une fuite, tantôt d'une posture de subordination. Ces postures sont propres à chaque espèce : pattes fléchies, tête plus ou moins rentrée dans le corps chez le Poulet, inclinaisons de la tête chez le Lézard Anolis, présentation à l'agresseur d'une partie vulnérable du corps (la gorge chez le Loup, le ventre chez la Souris), avec dissimulation des parties qui ont valeur de menace (la gueule ouverte chez le Loup). Il s'agit quelquefois d'une posture inverse de celle qui constitue la menace : chez certains Poissons, le museau pointé vers le fond est une menace, mais, pointé vers la surface, il traduit une soumission. Chez certains Singes (Macaca mulatta), la présentation sexuelle (ou ici pseudo-sexuelle) des parties génitales manifeste l'acceptation de la dominance. Le « despote » arrête effectivement son attaque, sans pour cela passer nécessairement à une activité sexuelle.
Dans beaucoup d'espèces, quand le groupe social est stable, ces manifestations de subordination remplacent presque complètement les coups. Souvent même, le système dominance-subordination ne se manifeste que par un mouvement d'évitement : le subordonné laisse la place au dominant. Cela s'observe aussi bien chez les Squales (le dominé fait un écart lorsque sa trajectoire va rencontrer celle du dominant) que chez les Bovins, pour lesquels les manœuvres d'évitement sont la forme la plus fréquente des manifestations de dominance-soumission.
Lorsqu'on veut déterminer quelle est la structure hiérarchique dans un groupe d'Ongulés (Bovins, Chevaux) formé depuis quelque temps, on utilise deux méthodes :
- On enregistre, sur – le terrain, les actes agonistiques (agressions ou menaces, fuites ou détours) qui sont échangés ; dans une paire d'individus, on considère comme dominant celui qui a effectué le plus grand nombre d'actes agressifs efficaces (c'est-à-dire entraînant de la part de l'autre un évitement) ou provoqué chez lui le plus grand nombre de « détours » sans même qu'il y ait eu menace.
- D'autre part, on – réalise des tests de compétition alimentaire en mettant un seau d'aliment à la disposition de deux animaux seulement. On considère comme dominant l'animal qui « contrôle » le seau pendant le plus long temps. Si la différence entre les deux animaux, à cet égard, n'est pas significative, on tient compte des interactions agonistiques observées au cours du test.
L'utilisation conjointe de ces deux méthodes montre qu'elles donnent des résultats tout à fait concordants ; elles permettent d'établir le sociogramme du groupe étudié.
Source : Marie-France BOUISSOU, Georges LE MASNE, Jean-Pierre SIGNORET, « SUBORDINATION & DOMINANCE HIÉRARCHIQUES », Encyclopædia Universalis [en ligne]
Toutefois, ce modèle de hiérarchie sociale chez les groupes d’animaux n’est pas une évidence pour tous les chercheurs : en effetcertains accusent cette théorie d'être fortement influencée par des conditions d’observation artificielles , que ce soit dans des parcs zoologiques ou dans la nature. Ce qu’illustre l’observation des babouins :
D’un côté, on trouve des animaux qui visiblement ne sont pas très intéressés par la hiérarchie, ceux pour lesquels il a fallu invoquer le concept de dominance latente, ceux dont on pensait qu’ils avaient connu des pressions sélectives différentes, comme les babouins d’Ishasha, ou encore les excommuniés de l’espèce, comme les chacmas. De l’autre côté, on retrouve, tant sur le terrain qu’en captivité, tous les babouins qui se sont comportés de la manière attendue par le modèle. Deux constantes apparaissent. Dans toutes les recherches en captivité, les babouins sont très clairement hiérarchisés ; dans la nature, la dominance émerge de manière remarquable dans les situations d’observation dans lesquelles les chercheurs ont nourri les animaux pour les attirer. Une coïncidence ? Pas vraiment.
Les recherches en captivité sont toutes calquées sur le même modèle. Pour étudier la dominance, les scientifiques apparient deux à deux les singes et les mettent en compétition pour un peu de nourriture, pour l’espace, voire pour la possibilité d’éviter un choc électrique. Les deux singes sont le plus souvent de parfaits étrangers. A la première épreuve, l’un des deux va l’emporter, c’est le but de la manœuvre. A l’épreuve suivante, l’autre anticipera le résultat prévisible et, s’il lutte, il ne le fera pas avec toute la conviction nécessaire. Chaque itération de l’épreuve viendra confirmer une prédiction de plus en plus fiable, tant pour l’expérimentateur que pour les singes. A la longue, en présence du bien convoité ou du choc à éviter, celui qui a perdu tout espoir va s’effacer et éviter de se retrouver sur le chemin de celui qui est devenu le « dominant ». Le phénomène se reproduit à l’identique lorsque des groupes sont composés. Le manque de place et de nourriture provoque immanquablement des conflits entre des singes qui ne se connaissent pas et qui sont regroupés dans un groupe social dont la structure est en quelque sorte déterminée par le dispositif même de captivité.
Sur le terrain, les choses sont sans doute différentes. Les individus se connaissent ; ils ne sont pas, en principe, soumis aux mêmes contraintes. C’est oublier les contraintes de la recherche. Car, si les chercheurs ont appâté leurs babouins avec de la nourriture en lieu et place de la pratique de l’habituation, ils l’ont fait le plus souvent en quantité insuffisante et concentrée en un seul lieu, provoquant ainsi de belles bagarres à l’issue desquelles les dominants s’identifiaient clairement. Les chercheurs ont donc reproduit, sur le terrain, les conditions de la captivité. Le verdict de Rowell sera sans concession : la hiérarchie n’apparaît si bien, et ne se stabilise si bien que dans les conditions où les chercheurs l’ont activement provoquée et maintenue.
Source : Que diraient les animaux si… on leur posait les bonnes questions ?, Vinciane Despret
Même chez les loups, on peut faire une observation similaire :
« Une meute de loups, stipule le site France-loups que je consulte fin septembre 2011, « est souvent constituée d’un couple dominant ayant le rôle de chef de groupe. On les appelle les Alpha mâle et femelle Alpha. C’est le couple dominant qui prend toutes les décisions pour la survie de la meute, déplacements chasse, marquage et territoire. Le couple Alpha est le seul à se reproduire. Dans la meute l’ordre hiérarchique est constitué des Bêta, qui arrivent après les Alpha. Ils prendront la place du couple Alpha en cas de problème pour la meute (mort). Puis viennent les loups Oméga, position très peu envieuse (sic) dans une meute, car les Oméga subissent des agressions perpétuelles et quotidiennes. L’Oméga, de par sa position dans le rang, sera le dernier à manger sur une proie tuée par la meute. »
[…]Cette idée de hiérarchie alimente encore les manuels d’éducation des chiens, exigeant des maîtres qu’ils rappellent à leur compagnon, si celui-ci tend à l’oublier, qui est le dominant.
[…]Dans les années 1930, suite aux travaux du spécialiste Rudolf Schenkel, la théorie du loup Alpha s’est imposée. Fin des années 1960, le grand spécialiste américain des loups David Mech la reprendra ; il prolongera les recherches dans cette direction et contribuera à la populariser. Fin des années 1990, cependant, David Mech remet toute la théorie en cause. Il a suivi des meutes pendant treize étés au Canada : ce qu’on appelle meute est en fait une famille, composée des parents et des enfants qui, arrivés à maturité, quitteront la famille pour en composer une à leur tour. Il n’y a pas de relation de dominance, seulement des parents qui guident les activités de leurs enfants, leur apprennent à chasser et à bien se conduire.
La raison de cette disparité entre les positions théoriques est simple […] : avant les treize étés d’observation, les recherches de Schenkel et de Mech s’étaient cantonnées dans les parcs animaliers et les zoos, au départ de troupes artificiellement créées d’individus étrangers les uns aux autres, confinés dans des espaces dans lesquels aucune échappatoire n’est possible, avec une nourriture fournie par les humains. Ces loups tentent, tant que faire se peut, de s’organiser dans le stress que chacun de ces éléments ne cesse d’alimenter. Les Alphas s’arrogent donc tous les privilèges, les Bêtas composent, les Omégas tentent de survivre aux persécutions incessantes. C’est le spectacle quotidien qu’offrent de nombreux parcs animaliers.
Et c’est la description qui continue à s’imposer dans la littérature. La théorie de la dominance semble donc bel et bien destinée à persévérer aussi longtemps que les humains continueront à la faire exister et s’en arrangeront.
Source : Que diraient les animaux si… on leur posait les bonnes questions ?, Vinciane Despret
Pour aller plus loin :
- Les sociétés animales : lions, fourmis et ouistiti, Frank Cézilly, Luc-Alain Giraldeau, Guy Theraulaz
- Quand les singes prennent le thé, Frans de Waal
- Kaluchua : Cultures, techniques et traditions des sociétés animales, Michel de Pracontal
- Penser comme un rat, Vinciane Despret
En zoologie, pour désigner le membre d’une meute ou d’un groupe d’animaux possédant le rang le plus élevé, on parle de
L’Alpha / individu dominant au sein d’un groupe se distingue par un comportement dominant qui peut varier selon les espèces (prérogatives liées à la nourriture, à la reproduction, agressivité…), et qui n’est pas, ou rarement, contesté par ses congénères :
Dans un groupe de poulets vivant ensemble depuis quelque temps, on n'observe plus de manifestations d'agressivité si le grain donné aux animaux est suffisamment réparti dans l'enclos. Mais si l'on crée une situation de compétition, en plaçant un seul tas de grains devant le groupe affamé, on constate qu'un seul poulet (individu alpha) s'approche aussitôt et se nourrit activement. D'autres se tiennent à proximité, mais ne prennent pas de nourriture. Si quelques graines sont dispersées, un poulet qui en est proche peut s'en saisir, mais l'animal alpha fait un mouvement de menace, ou bien donne un coup de bec à l'intrus ; celui-ci s'éloigne immédiatement et ne rend jamais le coup de bec.
Si l'on enlève le dominant (alpha), on voit immédiatement un autre poulet (bêta) prendre sa place et dominer tous les autres comme le faisait alpha.
En éloignant ensuite successivement l'animal qui est dominant à chaque phase, on constate que sa présence empêchait les autres de manger, ce qui met en évidence la hiérarchie dans le groupe : l'ordre dans lequel les oiseaux se donnent des coups de bec (peck-order d'Allee), ou ordre de préséance (rank-order de W. Etkin), en est le signe.
Il est important de souligner que cette préséance n'est pas soutenue par des combats fréquents ; elle est acceptée par tous. C'est seulement de manière occasionnelle qu'un individu dépasse les limites et reçoit une punition, à laquelle il ne répond que par la fuite. Le plus souvent, il suffit que le dominant se prépare à donner un coup, préparation souvent ritualisée en une menace, pour que l'animal subordonné réagisse d'une manière adaptée. Il s'agit tantôt d'une fuite, tantôt d'une posture de subordination. Ces postures sont propres à chaque espèce : pattes fléchies, tête plus ou moins rentrée dans le corps chez le Poulet, inclinaisons de la tête chez le Lézard Anolis, présentation à l'agresseur d'une partie vulnérable du corps (la gorge chez le Loup, le ventre chez la Souris), avec dissimulation des parties qui ont valeur de menace (la gueule ouverte chez le Loup). Il s'agit quelquefois d'une posture inverse de celle qui constitue la menace : chez certains Poissons, le museau pointé vers le fond est une menace, mais, pointé vers la surface, il traduit une soumission. Chez certains Singes (Macaca mulatta), la présentation sexuelle (ou ici pseudo-sexuelle) des parties génitales manifeste l'acceptation de la dominance. Le « despote » arrête effectivement son attaque, sans pour cela passer nécessairement à une activité sexuelle.
Dans beaucoup d'espèces, quand le groupe social est stable, ces manifestations de subordination remplacent presque complètement les coups. Souvent même, le système dominance-subordination ne se manifeste que par un mouvement d'évitement : le subordonné laisse la place au dominant. Cela s'observe aussi bien chez les Squales (le dominé fait un écart lorsque sa trajectoire va rencontrer celle du dominant) que chez les Bovins, pour lesquels les manœuvres d'évitement sont la forme la plus fréquente des manifestations de dominance-soumission.
Lorsqu'on veut déterminer quelle est la structure hiérarchique dans un groupe d'Ongulés (Bovins, Chevaux) formé depuis quelque temps, on utilise deux méthodes :
- On enregistre, sur – le terrain, les actes agonistiques (agressions ou menaces, fuites ou détours) qui sont échangés ; dans une paire d'individus, on considère comme dominant celui qui a effectué le plus grand nombre d'actes agressifs efficaces (c'est-à-dire entraînant de la part de l'autre un évitement) ou provoqué chez lui le plus grand nombre de « détours » sans même qu'il y ait eu menace.
- D'autre part, on – réalise des tests de compétition alimentaire en mettant un seau d'aliment à la disposition de deux animaux seulement. On considère comme dominant l'animal qui « contrôle » le seau pendant le plus long temps. Si la différence entre les deux animaux, à cet égard, n'est pas significative, on tient compte des interactions agonistiques observées au cours du test.
L'utilisation conjointe de ces deux méthodes montre qu'elles donnent des résultats tout à fait concordants ; elles permettent d'établir le sociogramme du groupe étudié.
Source : Marie-France BOUISSOU, Georges LE MASNE, Jean-Pierre SIGNORET, « SUBORDINATION & DOMINANCE HIÉRARCHIQUES », Encyclopædia Universalis [en ligne]
Toutefois, ce modèle de hiérarchie sociale chez les groupes d’animaux n’est pas une évidence pour tous les chercheurs : en effet
D’un côté, on trouve des animaux qui visiblement ne sont pas très intéressés par la hiérarchie, ceux pour lesquels il a fallu invoquer le concept de dominance latente, ceux dont on pensait qu’ils avaient connu des pressions sélectives différentes, comme les babouins d’Ishasha, ou encore les excommuniés de l’espèce, comme les chacmas. De l’autre côté, on retrouve, tant sur le terrain qu’en captivité, tous les babouins qui se sont comportés de la manière attendue par le modèle. Deux constantes apparaissent. Dans toutes les recherches en captivité, les babouins sont très clairement hiérarchisés ; dans la nature, la dominance émerge de manière remarquable dans les situations d’observation dans lesquelles les chercheurs ont nourri les animaux pour les attirer. Une coïncidence ? Pas vraiment.
Les recherches en captivité sont toutes calquées sur le même modèle. Pour étudier la dominance, les scientifiques apparient deux à deux les singes et les mettent en compétition pour un peu de nourriture, pour l’espace, voire pour la possibilité d’éviter un choc électrique. Les deux singes sont le plus souvent de parfaits étrangers. A la première épreuve, l’un des deux va l’emporter, c’est le but de la manœuvre. A l’épreuve suivante, l’autre anticipera le résultat prévisible et, s’il lutte, il ne le fera pas avec toute la conviction nécessaire. Chaque itération de l’épreuve viendra confirmer une prédiction de plus en plus fiable, tant pour l’expérimentateur que pour les singes. A la longue, en présence du bien convoité ou du choc à éviter, celui qui a perdu tout espoir va s’effacer et éviter de se retrouver sur le chemin de celui qui est devenu le « dominant ». Le phénomène se reproduit à l’identique lorsque des groupes sont composés. Le manque de place et de nourriture provoque immanquablement des conflits entre des singes qui ne se connaissent pas et qui sont regroupés dans un groupe social dont la structure est en quelque sorte déterminée par le dispositif même de captivité.
Sur le terrain, les choses sont sans doute différentes. Les individus se connaissent ; ils ne sont pas, en principe, soumis aux mêmes contraintes. C’est oublier les contraintes de la recherche. Car, si les chercheurs ont appâté leurs babouins avec de la nourriture en lieu et place de la pratique de l’habituation, ils l’ont fait le plus souvent en quantité insuffisante et concentrée en un seul lieu, provoquant ainsi de belles bagarres à l’issue desquelles les dominants s’identifiaient clairement. Les chercheurs ont donc reproduit, sur le terrain, les conditions de la captivité. Le verdict de Rowell sera sans concession : la hiérarchie n’apparaît si bien, et ne se stabilise si bien que dans les conditions où les chercheurs l’ont activement provoquée et maintenue.
Source : Que diraient les animaux si… on leur posait les bonnes questions ?, Vinciane Despret
Même chez les loups, on peut faire une observation similaire :
« Une meute de loups, stipule le site France-loups que je consulte fin septembre 2011, « est souvent constituée d’un couple dominant ayant le rôle de chef de groupe. On les appelle les Alpha mâle et femelle Alpha. C’est le couple dominant qui prend toutes les décisions pour la survie de la meute, déplacements chasse, marquage et territoire. Le couple Alpha est le seul à se reproduire. Dans la meute l’ordre hiérarchique est constitué des Bêta, qui arrivent après les Alpha. Ils prendront la place du couple Alpha en cas de problème pour la meute (mort). Puis viennent les loups Oméga, position très peu envieuse (sic) dans une meute, car les Oméga subissent des agressions perpétuelles et quotidiennes. L’Oméga, de par sa position dans le rang, sera le dernier à manger sur une proie tuée par la meute. »
[…]Cette idée de hiérarchie alimente encore les manuels d’éducation des chiens, exigeant des maîtres qu’ils rappellent à leur compagnon, si celui-ci tend à l’oublier, qui est le dominant.
[…]Dans les années 1930, suite aux travaux du spécialiste Rudolf Schenkel, la théorie du loup Alpha s’est imposée. Fin des années 1960, le grand spécialiste américain des loups David Mech la reprendra ; il prolongera les recherches dans cette direction et contribuera à la populariser. Fin des années 1990, cependant, David Mech remet toute la théorie en cause. Il a suivi des meutes pendant treize étés au Canada : ce qu’on appelle meute est en fait une famille, composée des parents et des enfants qui, arrivés à maturité, quitteront la famille pour en composer une à leur tour. Il n’y a pas de relation de dominance, seulement des parents qui guident les activités de leurs enfants, leur apprennent à chasser et à bien se conduire.
La raison de cette disparité entre les positions théoriques est simple […] : avant les treize étés d’observation, les recherches de Schenkel et de Mech s’étaient cantonnées dans les parcs animaliers et les zoos, au départ de troupes artificiellement créées d’individus étrangers les uns aux autres, confinés dans des espaces dans lesquels aucune échappatoire n’est possible, avec une nourriture fournie par les humains. Ces loups tentent, tant que faire se peut, de s’organiser dans le stress que chacun de ces éléments ne cesse d’alimenter. Les Alphas s’arrogent donc tous les privilèges, les Bêtas composent, les Omégas tentent de survivre aux persécutions incessantes. C’est le spectacle quotidien qu’offrent de nombreux parcs animaliers.
Et c’est la description qui continue à s’imposer dans la littérature. La théorie de la dominance semble donc bel et bien destinée à persévérer aussi longtemps que les humains continueront à la faire exister et s’en arrangeront.
Source : Que diraient les animaux si… on leur posait les bonnes questions ?, Vinciane Despret
- Les sociétés animales : lions, fourmis et ouistiti, Frank Cézilly, Luc-Alain Giraldeau, Guy Theraulaz
- Quand les singes prennent le thé, Frans de Waal
- Kaluchua : Cultures, techniques et traditions des sociétés animales, Michel de Pracontal
- Penser comme un rat, Vinciane Despret
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