Question d'origine :
Bonjour,
Un de mes élèves m'a demandé pourquoi la lettre "c" se prononce [g] dans les mots comme second, seconde...
Est-ce un héritage du latin ? N'ayant pas été latiniste, je vous renvoie la question.
Merci d'avance !
Réponse du Guichet
gds_se
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 08/01/2015 à 16h12
Bonjour,
Tout d’abord, il faut savoir que le mot second a connu une graphie avec un g :
Second, seconde
adj. et n., écrit en ancien français « second » (v. 1155), « secunt » (v. 1138), avec une variante « segond, segont » (fin XIVe s., en ancien provençal) demeurée courante jusqu’au XVIIIe . et conforme à la prononciation, est emprunté au latin « secundus », proprement « qui suit », ancien participe de « sequi », avec une forme exceptionnelle en « -undus ».
(Source : Dictionnaire historique de la langue française / Alain Rey
Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales nous explique également, dans sa définition de la lettre c, que :
Dans la position intervocalique [k] tend à se sonoriser [k̬] (cf. G. Straka, loc. cit., § 5). On prononce le mot second et ses dérivés seconder, etc., avec [k̬].
On s’interroge déjà sur cette différence entre la graphie et la prononciation de second dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert :
Il faut encore observer le rapport du c au g. Avant que le caractere g eût été inventé chez les Latins, le c avoit en plusieurs mots la pronociation du g, ce fut ce qui donna lieu à Sp. Carvilius, au rapport de Terentius Scaurus, d’inventer le g pour distinguer ces deux prononciations : c’est pourquoi Diomede, lib. II. cap. de litterâ, appelle le g lettre nouvelle.
Quoique nous ayons un caractere pour le c, & un autre pour le g, cependant lorsque la prononciation du c a été changée en celle du g, nous avons conservé le c dans notre orthographe, parce que les yeux s’étoient accoûtumés à voir le c en ces mots-là : ainsi nous écrivons toûjours Claude, Cicogne, second, secondement, seconder, secret, quoique nous prononçions Glaude, Cigogne, segond, segondement, segonder : mais on prononce secret, secretement, secrétaire.
Les Latins écrivoient indifféremment vicesimus ou vigesimus ; Gaius ou Caius ; Gneius pour Cneius.
Pour achever ce qu’il y a à dire sur ce rapport du c au g, je ne puis mieux faire que de transcrire ici ce que l’auteur de la méthode Latine de P. R. a recueilli à ce sujet, p. 647.
« Le g n’est qu’une diminution du c, au rapport de Quintilien ; aussi ces deux lettres ont-elles grande affinité ensemble, puisque de κυϐερνήτης nous faisons gubernator ; de κλέος, gloria ; de agere, actum ; de nec-otium, negotium : & Quintilien témoigne que dans Gaius, Gneius, on ne distinguoit pas si c’étoit un c ou un g : c’est de-là qu’est venu que de centum on a formé quadringenti, quingenti, septengenti, &c. de porricere qui est demeuré en usage dans les sacrifices, on a fait porrigere ; & semblables.
On croit que le g n’a été inventé qu’après la premiere guerre de Carthage, parce qu’on trouve toûjours le c pour le g dans la colonne appellée rostrata, qui fut élevée alors en l’honneur de Duilius, consul, & qui se voit encore à Rome au capitole ; on y lit : macistratos leciones pucnando copias Cartaciniensis : ce que l’on ne peut bien entendre si l’on ne prend le c dans la prononciation du k. Aussi est-il à remarquer que Suidas parlant du croissant que les sénateurs portoient sur leurs souliers, l’appelle τὸ Ῥωμαικὸν κάππα ; faisant assez voir par-là que le c & le k passoient pour une même chose, comme en effet ils n’étoient point différens dans la prononciation ; car au lieu qu’aujourd’hui nous adoucissons beaucoup le c devant l’e & devant l’i, ensorte que nous prononçons Cicero comme s’il y avoit Sisero ; eux au contraire prononçoient le c en ce mot & en tous les autres, de même que dans caput & dans corpus, kikero ».
Cette remarque se confirme par la maniere dont on voit que les Grecs écrivoient les mots Latins où il y avoit un c, sur-tout les noms propres, Cæsar, Καῖσαρ ; Cicero, Κικέρων, qu’ils auroient écrit Σισέρων, s’ils avoient prononcé ce mot comme nous le prononçons aujourd’hui.
(Source : L’Encyclopédie / Wikisource)
Christian Touratier, professeur de linguistique à l’Université de Provence, nous donne également quelques éléments pour mieux comprendre ce « phénomène » :
Aujourd'hui par contre on admet plutôt que les Étrusques auraient transmis aux latins un alphabet grec occidental, comme ils ont légué aux romains un certain nombre d'institutions sociales juridiques, et politiques.
Deux arguments sont avancés pour justifier cette thèse. D'abord la troisième lettre de l'alphabet C note la consonne sourde [k], comme en étrusque, et non pas, comme en grec, la consonne voisée [g]. L'étrusque en effet, ne disposant pas de phonèmes consonantiques voisés, ainsi que le montrent par exemple Pacha, l'équivalent de Bacchus, ou Taitle, l'équivalent de Daedalus, avait fait de la lettre C une variante de K, ces deux lettres notant par conséquent le même son sourd [k]. Seul un emprunt à l'étrusque et non au grec peut expliquer que le latin, qui disposait d'une dorsale sourde et d'une dorsale sonore, ait utilisé la troisième lettre C de son alphabet pour noter une dorsale sourde [k]. Mais comme, à la différence de l'étrusque, il disposait aussi d'une dorsale voisée [g], il a également utilisé la lettre C pour noter cette voisée, comme en grec, ainsi qu'on peut le constater dans l'inscription du cippe du forum romain, où l'on lit RECEI, au lieu de latin classique REGI «au roi», ou bien dans l'inscription de Duenos, qui présente VIRCO, au lieu de VIRGO «jeune fille». Cette ancienne ambivalence de C a du reste laissé des traces en latin classique, notamment dans les deux prénoms latins Caius et Cnaeus, abrégés en C. et Cn., alors qu'ils se prononçaient [gajus] et [gnajus]. Quintilien le rappelle dans son Institution oratoire:
"Que dire des mots qui s'écrivent autrement qu'ils ne se prononcent? Par exemple, la lettre C signifie Gaius, et, retournée, elle indique le nom de femme correspondant [Gaia], car on voit même par les cérémonies nuptiales qu'on disait Gaia aussi bien que Gaius ; Gnaeus non plus, lorsqu'il s'agit de marquer le prénom, ne répond nullement à la lettre qu'on entend" (H. Bornecque).
La lettre G fut une création latine postérieure, datant du milieu du 3ème siècle av. J.-C. Elle aurait, d'après Plutarque, été "inventée et ajoutée par Spurius Carvilius" , "un affranchi de Spurius Carvilius Ruga, consul en 234 et en 228: peut-être, remarque alors Françoise Desbordes, était-on particulièrement sensible au défaut de l'alphabet primitif dans l'entourage d'un Carvilius Ruga" (Desbordes, 1990, 150). Comme cette lettre est attestée avant l'époque de Carvilius (cf. Hempl, 1899, 29), on doit plutôt supposer que ce professeur de grammaire "n'inventa pas la lettre, mais enseigna et préconisa l'utilisation de C pour k et de G pour g" (d'après Hempl, 1899, 29). La nouvelle lettre G se contentait d'ajouter à C un petit trait vertical montant terminé par un autre petit trait horizontal tourné vers l'intérieur, lequel se simplifia, dans l'écriture cursive, en un seul trait vertical montant.
Vous trouverez cette argumentaire dans le chapitre 5 Linguistique latine, dans le document L’alphabet latin, du site personnel de Christian Touratier.
Cette question est donc complexe et seul un linguistique pourra y répondre de manière précise.
Pour aller plus loin :
• Précis de phonétique historique / Noëlle Laborderie
• Précis de phonétique historique du français / Geneviève Joly
Bonne journée
Tout d’abord, il faut savoir que le mot second a connu une graphie avec un g :
Second, seconde
adj. et n., écrit en ancien français « second » (v. 1155), « secunt » (v. 1138), avec une variante « segond, segont » (fin XIVe s., en ancien provençal) demeurée courante jusqu’au XVIIIe . et conforme à la prononciation, est emprunté au latin « secundus », proprement « qui suit », ancien participe de « sequi », avec une forme exceptionnelle en « -undus ».
(Source : Dictionnaire historique de la langue française / Alain Rey
Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales nous explique également, dans sa définition de la lettre c, que :
Dans la position intervocalique [k] tend à se sonoriser [k̬] (cf. G. Straka, loc. cit., § 5). On prononce le mot second et ses dérivés seconder, etc., avec [k̬].
On s’interroge déjà sur cette différence entre la graphie et la prononciation de second dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert :
Il faut encore observer le rapport du c au g. Avant que le caractere g eût été inventé chez les Latins, le c avoit en plusieurs mots la pronociation du g, ce fut ce qui donna lieu à Sp. Carvilius, au rapport de Terentius Scaurus, d’inventer le g pour distinguer ces deux prononciations : c’est pourquoi Diomede, lib. II. cap. de litterâ, appelle le g lettre nouvelle.
Quoique nous ayons un caractere pour le c, & un autre pour le g, cependant lorsque la prononciation du c a été changée en celle du g, nous avons conservé le c dans notre orthographe, parce que les yeux s’étoient accoûtumés à voir le c en ces mots-là : ainsi nous écrivons toûjours Claude, Cicogne, second, secondement, seconder, secret, quoique nous prononçions Glaude, Cigogne, segond, segondement, segonder : mais on prononce secret, secretement, secrétaire.
Les Latins écrivoient indifféremment vicesimus ou vigesimus ; Gaius ou Caius ; Gneius pour Cneius.
Pour achever ce qu’il y a à dire sur ce rapport du c au g, je ne puis mieux faire que de transcrire ici ce que l’auteur de la méthode Latine de P. R. a recueilli à ce sujet, p. 647.
« Le g n’est qu’une diminution du c, au rapport de Quintilien ; aussi ces deux lettres ont-elles grande affinité ensemble, puisque de κυϐερνήτης nous faisons gubernator ; de κλέος, gloria ; de agere, actum ; de nec-otium, negotium : & Quintilien témoigne que dans Gaius, Gneius, on ne distinguoit pas si c’étoit un c ou un g : c’est de-là qu’est venu que de centum on a formé quadringenti, quingenti, septengenti, &c. de porricere qui est demeuré en usage dans les sacrifices, on a fait porrigere ; & semblables.
On croit que le g n’a été inventé qu’après la premiere guerre de Carthage, parce qu’on trouve toûjours le c pour le g dans la colonne appellée rostrata, qui fut élevée alors en l’honneur de Duilius, consul, & qui se voit encore à Rome au capitole ; on y lit : macistratos leciones pucnando copias Cartaciniensis : ce que l’on ne peut bien entendre si l’on ne prend le c dans la prononciation du k. Aussi est-il à remarquer que Suidas parlant du croissant que les sénateurs portoient sur leurs souliers, l’appelle τὸ Ῥωμαικὸν κάππα ; faisant assez voir par-là que le c & le k passoient pour une même chose, comme en effet ils n’étoient point différens dans la prononciation ; car au lieu qu’aujourd’hui nous adoucissons beaucoup le c devant l’e & devant l’i, ensorte que nous prononçons Cicero comme s’il y avoit Sisero ; eux au contraire prononçoient le c en ce mot & en tous les autres, de même que dans caput & dans corpus, kikero ».
Cette remarque se confirme par la maniere dont on voit que les Grecs écrivoient les mots Latins où il y avoit un c, sur-tout les noms propres, Cæsar, Καῖσαρ ; Cicero, Κικέρων, qu’ils auroient écrit Σισέρων, s’ils avoient prononcé ce mot comme nous le prononçons aujourd’hui.
(Source : L’Encyclopédie / Wikisource)
Christian Touratier, professeur de linguistique à l’Université de Provence, nous donne également quelques éléments pour mieux comprendre ce « phénomène » :
Aujourd'hui par contre on admet plutôt que les Étrusques auraient transmis aux latins un alphabet grec occidental, comme ils ont légué aux romains un certain nombre d'institutions sociales juridiques, et politiques.
Deux arguments sont avancés pour justifier cette thèse. D'abord la troisième lettre de l'alphabet C note la consonne sourde [k], comme en étrusque, et non pas, comme en grec, la consonne voisée [g]. L'étrusque en effet, ne disposant pas de phonèmes consonantiques voisés, ainsi que le montrent par exemple Pacha, l'équivalent de Bacchus, ou Taitle, l'équivalent de Daedalus, avait fait de la lettre C une variante de K, ces deux lettres notant par conséquent le même son sourd [k]. Seul un emprunt à l'étrusque et non au grec peut expliquer que le latin, qui disposait d'une dorsale sourde et d'une dorsale sonore, ait utilisé la troisième lettre C de son alphabet pour noter une dorsale sourde [k]. Mais comme, à la différence de l'étrusque, il disposait aussi d'une dorsale voisée [g], il a également utilisé la lettre C pour noter cette voisée, comme en grec, ainsi qu'on peut le constater dans l'inscription du cippe du forum romain, où l'on lit RECEI, au lieu de latin classique REGI «au roi», ou bien dans l'inscription de Duenos, qui présente VIRCO, au lieu de VIRGO «jeune fille». Cette ancienne ambivalence de C a du reste laissé des traces en latin classique, notamment dans les deux prénoms latins Caius et Cnaeus, abrégés en C. et Cn., alors qu'ils se prononçaient [gajus] et [gnajus]. Quintilien le rappelle dans son Institution oratoire:
"Que dire des mots qui s'écrivent autrement qu'ils ne se prononcent? Par exemple, la lettre C signifie Gaius, et, retournée, elle indique le nom de femme correspondant [Gaia], car on voit même par les cérémonies nuptiales qu'on disait Gaia aussi bien que Gaius ; Gnaeus non plus, lorsqu'il s'agit de marquer le prénom, ne répond nullement à la lettre qu'on entend" (H. Bornecque).
La lettre G fut une création latine postérieure, datant du milieu du 3ème siècle av. J.-C. Elle aurait, d'après Plutarque, été "inventée et ajoutée par Spurius Carvilius" , "un affranchi de Spurius Carvilius Ruga, consul en 234 et en 228: peut-être, remarque alors Françoise Desbordes, était-on particulièrement sensible au défaut de l'alphabet primitif dans l'entourage d'un Carvilius Ruga" (Desbordes, 1990, 150). Comme cette lettre est attestée avant l'époque de Carvilius (cf. Hempl, 1899, 29), on doit plutôt supposer que ce professeur de grammaire "n'inventa pas la lettre, mais enseigna et préconisa l'utilisation de C pour k et de G pour g" (d'après Hempl, 1899, 29). La nouvelle lettre G se contentait d'ajouter à C un petit trait vertical montant terminé par un autre petit trait horizontal tourné vers l'intérieur, lequel se simplifia, dans l'écriture cursive, en un seul trait vertical montant.
Vous trouverez cette argumentaire dans le chapitre 5 Linguistique latine, dans le document L’alphabet latin, du site personnel de Christian Touratier.
Cette question est donc complexe et seul un linguistique pourra y répondre de manière précise.
• Précis de phonétique historique / Noëlle Laborderie
• Précis de phonétique historique du français / Geneviève Joly
Bonne journée
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