"Sub ascia"
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 10/02/2015 à 10h08
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Question d'origine :
Bonjour,
Que signifie la représentation d'un "ascia" et la mention "sub ascia" sur les tombeaux lyonnais de l'époque gallo-romaine ? L'"ascia" est-elle une instrument du tailleur de pierre ou une pioche ? Fait-elle la différence entre une crémation et une inhumation ?
Merci !
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 11/02/2015 à 09h41
Bonjour,
Dans son article sur les rites funéraires à Lugdunum, Philippe Cibois cite le livret de l’exposition que leur consacrait en 2010 le Musée gallo-romain de Lyon :
L'expression finale sub ascia dedicavit, qui apparait souvent à Lyon à partir du 2e siècle, est énigmatique : l'ascia sur les monuments funéraires désigne un outil en fer destiné au travail du bois qui apparait d'ailleurs sur le côté droit du monument à Claudia Victoria.
Depuis au moins le 17e siècle, les historiens se demandent à quoi pouvait servir cet instrument. Il jouait probablement un rôle symbolique au cours des cérémonies funéraires, mais aucun texte de l'antiquité ne le mentionne.
Source : enseignement-latin.hypotheses.org
Nous ne pouvons que vous recommander la lecture de l’article d’Amable Audin et Paul-Louis Couchoud, que vous connaissez peut-être déjà puisqu’il défend l’idée que l’ascia est une marque de l’inhumation (par opposition à la crémation). Cette hypothèse ne semble pas avoir été contredite par des découvertes ultérieures. L’article est disponible en intégralité sur Persée : Requiem aeternam… L’ascia, instrument et symbole de l’inhumation.
Dans leur note complémentaire, les deux auteurs répondent à des critiques, et notamment à la « thèse de l’ascia-herminette » :
[…]M. Duval distingue deux asciae. L’une, herminette opposée à un marteau, servait au travail du bois et de la pierre. L’autre, hoyau opposée à un râteau bifide, à remuer la terre. L’ascia funéraire, ne portant pas le râteau bifide, serait donc l’herminette à marteau. Elle aurait servi à tailler le cippe funéraire.
Le verbe deasciare qualifie évidemment l’acte inverse de asciare dont le sens second, symbolique, est selon nous « sceller une tombe sous l’ascia pour lui conférer un caractère inviolable ». Selon M. Duval, le sens premier serait : dédier la tombe en aplanissant le bloc funéraire avec l’ascia. Deasciare serait alors : détruire cette dédicace en martelant le cippe.
Quelle que soit la valeur attribuée à l’outil nommé acisculus, et qui joue ici le même rôle que l’ascia, le verbe exacisclare correspond exactement au verbe deasciare. Il désigne le même acte sacrilège. Mais relisons l’épitaphe qui nous révèle la nature de ce sacrilège : (si quis) hanc arcam aperuerit aut exacisclaverit et aliud corpus posuerit… Le crime défini par le mot exacisclare se situe entre l’ouverture de la tombe et la déposition d’un second corps. Il est donc malaisé d’y voir un simple martelage du monument. C’est réellement du viol de la tombe qu’il s’agit, et le mot aut n’implique-t-il pas l’équivalence entre le crime d’exacisclare et celui d’arcam aperuere et aliud corpus ponere ?
Il semble donc que la philologie nous enferme dans un cadre trop étroit. Il existe d’ailleurs plus de deux sortes d’asciae : truelle, herminette, doloire, marteau, pic, hoyau, outil du tonnelier, du maçon, du tailleur de pierre, du terrassier, du fossoyeur, du cultivateur. Si pour Isidore de Séville (VIIe siècle) l’ascia agricole comporte régulièrement un râteau bifide, l’ascia du terrassier peut ne pas le comporter dans être forcément pour cela une herminette à marteau.
Un tel outil, nous en possédons un exemplaire. Lyon, capitale de l’ascia symbolique, a fourni une ascia réelle qui ne s’intègre pas dans la classification de M. Duval. C’est un fer dont le taillant coudé, large de 7cm, long de 27, est opposé à une hache dont l’arête est parallèle au manche de l’outil et forme par rapport à lui une saillie de 14 cm. Le manche lui-même, d’un diamètre de 3cm, indique un outil employé à deux mains, un outil de terrassier.
Telle serait l’ascia funéraire, assez analogue au hoyau sacré que figure le médaillon du céramiste lyonnais Amator, où est représenté Munatius Plancus, fondateur de Lugdunum. Telle serait l’ascia légionnaire dont parle Végèce en ces termes : « habet legio ascias… quibus materies ac pali dedolantur », outil qui pouvait servir aussi bien à tailler les pieux des palissades qu’à ouvrir la terre des retranchements. Réduit dans ses proportions pour s’ordonner à l’équipement du soldat, cet outil permettait à celui-ci d’inhumer ses camarades qui avaient refusé l’incinération. Car tous les légionnaires étaient en principe voués au bûcher. Tertullien l’exprime en termes indignés : « Et il serait brûlé selon la coutume militaire, lui, le chrétien, à qui il est interdit d’être incinéré, à qui le Christ a interdit la peine du feu ? »
Voilà, reporté en 211 ; tout le drame des légionnaires asiates du 1er siècle, objectant par conscience à l’incinération. On avait cependant, selon nous, fait droit aux doléances de ces excellentes troupes en autorisant de les inhumer avec l’ascia. Peut-être n’était-ce pas très commode. « Les fossoyeurs romains devaient avoir des instruments plus pratiques », observe M. Grenier. Nous le reconnaissons avec lui, en ajoutant que la brièveté du manche n’était pas pour faciliter le travail. Mais pour le fantassin romain en campagne, elle facilitait le montage de son fardeau réglementaire.
Pour plus d'informations, vous pouvez contacter le Musée gallo-romain de Lyon-Fourvière :
17 rue Cléberg
69005 Lyon
04 72 38 49 30
fourviere@rhone.fr
Bonne journée.
Dans son article sur les rites funéraires à Lugdunum, Philippe Cibois cite le livret de l’exposition que leur consacrait en 2010 le Musée gallo-romain de Lyon :
L'expression finale sub ascia dedicavit, qui apparait souvent à Lyon à partir du 2e siècle, est énigmatique : l'ascia sur les monuments funéraires désigne un outil en fer destiné au travail du bois qui apparait d'ailleurs sur le côté droit du monument à Claudia Victoria.
Depuis au moins le 17e siècle, les historiens se demandent à quoi pouvait servir cet instrument. Il jouait probablement un rôle symbolique au cours des cérémonies funéraires, mais aucun texte de l'antiquité ne le mentionne.
Source : enseignement-latin.hypotheses.org
Nous ne pouvons que vous recommander la lecture de l’article d’Amable Audin et Paul-Louis Couchoud, que vous connaissez peut-être déjà puisqu’il défend l’idée que l’ascia est une marque de l’inhumation (par opposition à la crémation). Cette hypothèse ne semble pas avoir été contredite par des découvertes ultérieures. L’article est disponible en intégralité sur Persée : Requiem aeternam… L’ascia, instrument et symbole de l’inhumation.
Dans leur note complémentaire, les deux auteurs répondent à des critiques, et notamment à la « thèse de l’ascia-herminette » :
[…]M. Duval distingue deux asciae. L’une, herminette opposée à un marteau, servait au travail du bois et de la pierre. L’autre, hoyau opposée à un râteau bifide, à remuer la terre. L’ascia funéraire, ne portant pas le râteau bifide, serait donc l’herminette à marteau. Elle aurait servi à tailler le cippe funéraire.
Le verbe deasciare qualifie évidemment l’acte inverse de asciare dont le sens second, symbolique, est selon nous « sceller une tombe sous l’ascia pour lui conférer un caractère inviolable ». Selon M. Duval, le sens premier serait : dédier la tombe en aplanissant le bloc funéraire avec l’ascia. Deasciare serait alors : détruire cette dédicace en martelant le cippe.
Quelle que soit la valeur attribuée à l’outil nommé acisculus, et qui joue ici le même rôle que l’ascia, le verbe exacisclare correspond exactement au verbe deasciare. Il désigne le même acte sacrilège. Mais relisons l’épitaphe qui nous révèle la nature de ce sacrilège : (si quis) hanc arcam aperuerit aut exacisclaverit et aliud corpus posuerit… Le crime défini par le mot exacisclare se situe entre l’ouverture de la tombe et la déposition d’un second corps. Il est donc malaisé d’y voir un simple martelage du monument. C’est réellement du viol de la tombe qu’il s’agit, et le mot aut n’implique-t-il pas l’équivalence entre le crime d’exacisclare et celui d’arcam aperuere et aliud corpus ponere ?
Il semble donc que la philologie nous enferme dans un cadre trop étroit. Il existe d’ailleurs plus de deux sortes d’asciae : truelle, herminette, doloire, marteau, pic, hoyau, outil du tonnelier, du maçon, du tailleur de pierre, du terrassier, du fossoyeur, du cultivateur. Si pour Isidore de Séville (VIIe siècle) l’ascia agricole comporte régulièrement un râteau bifide, l’ascia du terrassier peut ne pas le comporter dans être forcément pour cela une herminette à marteau.
Un tel outil, nous en possédons un exemplaire. Lyon, capitale de l’ascia symbolique, a fourni une ascia réelle qui ne s’intègre pas dans la classification de M. Duval. C’est un fer dont le taillant coudé, large de 7cm, long de 27, est opposé à une hache dont l’arête est parallèle au manche de l’outil et forme par rapport à lui une saillie de 14 cm. Le manche lui-même, d’un diamètre de 3cm, indique un outil employé à deux mains, un outil de terrassier.
Telle serait l’ascia funéraire, assez analogue au hoyau sacré que figure le médaillon du céramiste lyonnais Amator, où est représenté Munatius Plancus, fondateur de Lugdunum. Telle serait l’ascia légionnaire dont parle Végèce en ces termes : « habet legio ascias… quibus materies ac pali dedolantur », outil qui pouvait servir aussi bien à tailler les pieux des palissades qu’à ouvrir la terre des retranchements. Réduit dans ses proportions pour s’ordonner à l’équipement du soldat, cet outil permettait à celui-ci d’inhumer ses camarades qui avaient refusé l’incinération. Car tous les légionnaires étaient en principe voués au bûcher. Tertullien l’exprime en termes indignés : « Et il serait brûlé selon la coutume militaire, lui, le chrétien, à qui il est interdit d’être incinéré, à qui le Christ a interdit la peine du feu ? »
Voilà, reporté en 211 ; tout le drame des légionnaires asiates du 1er siècle, objectant par conscience à l’incinération. On avait cependant, selon nous, fait droit aux doléances de ces excellentes troupes en autorisant de les inhumer avec l’ascia. Peut-être n’était-ce pas très commode. « Les fossoyeurs romains devaient avoir des instruments plus pratiques », observe M. Grenier. Nous le reconnaissons avec lui, en ajoutant que la brièveté du manche n’était pas pour faciliter le travail. Mais pour le fantassin romain en campagne, elle facilitait le montage de son fardeau réglementaire.
Pour plus d'informations, vous pouvez contacter le Musée gallo-romain de Lyon-Fourvière :
17 rue Cléberg
69005 Lyon
04 72 38 49 30
fourviere@rhone.fr
Bonne journée.
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