Question d'origine :
quelles sont les lignes directrices du tableau "les amant" de Magritte ? Il existe 4 tableau nommés les amants celui qui m'intéresse est celui où les amants on la tête cachée et ils s'embrassent.
Réponse du Guichet
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- Département : Arts et Loisirs
Le 25/02/2015 à 12h19
Nous supposons que votre étude du tableau
- Carte d’identité de l’artiste : domaines de prédilection, mouvement.
- Présentation de l’œuvre : nature, genre, titre, date, dimensions.
- Description iconique de l’œuvre : ce que montre l’œuvre.
- Description plastique de l’œuvre : constituants plastiques (lignes, valeurs, matières, couleurs [oppositions, contrastes], supports), moyens plastiques (facture, technique), l’espace de représentation (figuration, abstraction), la composition (lignes fortes).
- Sens de l’œuvre : sens de l’œuvre en elle-même et par rapport au contexte socio-historique (références, influences) ; sens dénoté [ce qui est donné à voir] et connoté [sens caché : métaphorique, symbolique, allégorique…].
- Approche subjective : ce qu’on ressent face à l’œuvre.
Vous trouverez une biographie détaillée de l’artiste sur le site de la Fondation Magritte, en partie basse de l’écran d’accueil.
Jusqu’à la date du tableau, 1928, plusieurs renseignements sont à noter :
1898 : le 21 novembre, naissance de René-François-Ghislain Magritte à Lessines, dans le Hainaut, Belgique.
1912 : 24 février, suicide de sa mère qui se jette dans la Sambre. On la retrouve avec sa chemise rabattue sur la tête.
1918 : début de son travail publicitaire.
1920 : intérêt pour le futurisme et le dadaïsme.
1922 : intérêt pour les théories puristes et cubistes. Influences de Delaunay et Léger.
1924 : implication dans les activités du mouvement dadaïste belge. Nougé, qui deviendra le mentor de Magritte, domine le surréalisme en Belgique.
1925 : influencé par Max Ernst et Giorgio de Chirico, il peint ses premières toiles surréalistes.
1926 : Pour le deuxième numéro de la revue Marie, Magritte réalise un dessin représentant le personnage de Fantômas, qui reviendra plus tard dans diverses œuvres.
Naissance du groupe surréaliste belge avec Magritte, Mesens, Nougé, Goemans et André Souris.
1927 : Magritte s’installe en France, au Perreux-sur-Marne. Il y demeure trois ans et participe aux activités du groupe surréaliste parisien. Il fréquente qu’Éluard, Breton, Miró, Arp et, plus tard, Dalí.
1928 : année très fructueuse dans la carrière de Magritte, il peint plus de cent toiles. Le 24 août : mort du père de Magritte à Bruxelles.
Nous avons recherché en vain une analyse générale du tableau dans l’ensemble des livres que nous possédons sur Magritte (plus de 25). Cependant, des fragments d’analyse ponctionnés çà et là nous permettent d’entrer dans l’intimité du tableau.
L’œuvre, qui a appartenue à la collection Richard S. Zeisler, fait partie maintenant des collections du MOMA, à New York. C’est sur le site de cette institution que nous nous pouvons découvrir les premières caractéristiques de l’œuvre.
Titre : Les Amants
Date et lieu d’exécution : 1928, Le Perreux-sur-Marne
Technique et dimensions : Huile sur toile, 54 cm x 73,4 cm
Le texte de présentation de l’œuvre dit ceci :
« Dans cette image troublante – la première dans une série de quatre variations des Amants que Magritte a peinte en 1928 – l’artiste évoque le cliché cinématographique d’un baiser en gros plan, mais il subvertit notre plaisir voyeuriste en enveloppant les visages d’un tissu. Le procédé d’un tissu drapé ou d’un voile pour dissimuler l’identité d’une personne correspond au très grand intérêt des Surréalistes pour les masques, les déguisements et ce qui se cache au-delà et au-dessous des surfaces visibles. La scène mélodramatique peut aussi se rapporter aux illustrations graphiques qui ont accompagné des romans à sensation et des thrillers, que l’ami de Magritte, Paul Nougé, dans une lettre de 1927, a encouragé l’artiste à imiter. »
La vidéo contient les échanges de trois personnes autour du tableau. Il est difficile de saisir l’ensemble des paroles échangées, certains passages sont inaudibles :
La description du tableau pose question :
« Que font-ils ?... Comment peuvent-ils s’embrasser s’ils ont des foulards sur le visage ?...Cela crée une sensation d’intimité… C’est attractif… Peut-être ne peuvent-ils pas être amants et essaient-ils de dissimuler leurs sentiments… la mort de l’amour»
L’une des personnes propose l’hypothèse reprise dans plusieurs écrits d’une évocation du suicide de sa mère :
« La mère de Magritte s’est suicidée en se jetant dans une rivière. Le jeune Magritte âgé de 14 ans a vu sa mère avec une robe blanche mouillée plaquée sur son visage. »
Mais Magritte a nié le lien entre ce tableau et le suicide de sa mère.
« Ça ne signifie rien car le mystère ne signifie rien… l’art, c’est l’art… »
« Chacun en a sa propre interprétation. »
Le tableau montre un couple s’embrassant dans un décor théâtral à peine figuré.
Plusieurs éléments intriguent :
- les visages sont recouverts d’un voile
- le mur du fond est également un ciel
- le cadrage est un plan rapproché poitrine qui est inhabituel en peinture, mais qui existe au cinéma pour attirer l’attention du spectateur. Le décor disparait, devient abstrait.
La lumière qui éclaire les têtes, semblable à celle délivrée par un projecteur, est dure, les ombres sont marquées. Cela renforce le côté théâtral et la dramatisation de la scène. Le ciel présente lui aussi un caractère tourmenté, orageux.
L’espace est figuré par l’éclairage des amants, les ombres sur les tissus sculptent le volume des figures, par les lignes de fuite de la corniche, par les modulations des teintes du ciel qui engendrent une profondeur sans limite.
Les couleurs sont posées en faible épaisseur, on devine la trame du support. Plus qu’un « peintre » (qui travaille la matière picturale, les contrastes entre les couleurs et les formes), Magritte se révèle comme un producteur d’images.
La couleur de la robe de la femme rappelle celle du pan de mur, ce qui concoure à l’intimité du lieu.
La facture n’est pas des plus appliquée, on se souvient que l’année 1928 a été très prolifique et que Magritte a un passé d’illustrateur publicitaire (les détails ne doivent pas empêcher la lecture rapide du message).
On sait que Magritte, comme Duchamp qui fit un adieu au tableau avec l’œuvre de 1918 Tu m’, commençait à s’ennuyer avec la peinture traditionnelle, jusqu’au moment où, ayant vu l’œuvre de Georgio de Chirico (notamment Chant d’amour, 1914), qui invitait à une peinture plus d’idées que rétinienne, il reprit espoir.
Les surréalistes ont exercé leur esprit de rébellion en investissant le domaine du cinéma : Un chien andalou de Luis Buñuel et Salvador Dalí, puis L'Âge d'or. En 1924, le film d’inspiration dadaïste Entr'acte de René Clair, avait déjà posé des jalons.
Les surréalistes parisiens ont revendiqué les Chants de Maldoror comme une œuvre surréaliste avant l’heure. Et Fantômas, aussi bien sous sa forme littéraire que dans son adaptation cinématographique par Louis Feuillade, a marqué également l’esprit de Magritte.
Sur ce point, l’ouvrage Magritte / Suzi Gablik, livre de nombreuses informations au chapitre 4 intitulé « l’assassin menacé ». En outre, il nous dit spécifiquement sur Magritte :
« … La plupart des toiles de cette période qu’on a appelée « première » - couvrant approximativement les années 1925 à 1930 – représente des scènes mélodramatiques, bizarres et souvent macabres. Encore teintées d’érotisme, elles sont en général sombres tant dans l’esprit que dans les couleurs. Le climat tout entier de ce qu’on pourrait aussi appeler « l’époque de Fantômas » se caractérise par un sentiment artificiel d’horreur et un humour noir corrosif qu’on peut attribuer, tout au moins en partie, à l’influence du film muet et des romans policiers. Des événements mystérieux se déroulent dans un espace sans profondeur comme celui d’une scène de théâtre ou de tableau vivant ; cet espace remplace les perspectives inquiétantes des premiers tableaux, inspirés de Chirico… »
Toujours dans le même ouvrage, l’auteur parle ainsi du tableau :
« Tableau tout aussi étrange datant de la même époque, « L'histoire centrale », ne comporte que trois éléments : un trombone, une valise et une femme dont le visage est recouvert d'un drap. Cette image fantomatique revient dans « Les amants » où la tête des amants est cachée de la même manière. Dans l'imagination de Magritte, il y a deux sources possibles à cette image : soit certaines impressions fugitives mais frappantes de Fantômas dans des films où il a le visage caché par un drap ou un bas, soit - et ceci est plus probable - le souvenir inconscient de sa propre mère, qui se noya, le visage recouvert de sa chemise de nuit. »
La dernière hypothèse est souvent avancée par les critiques d’art. Si on la retient, on peut encore alors aller plus loin dans l’analyse psychologique. Le personnage masculin est vêtu des mêmes vêtements que ceux que Magritte avait l’habitude de porter : veston noir, chemise blanche à petit col, cravate. Les voiles qui empêchent les amants de s’embrasser pourraient alors se justifier en signifiant l’interdit de l’inceste.
On connait les réticences de Magritte à évoquer la mort de sa mère et aussi à rechercher des symboles dans son œuvre, mais aussi son goût pour interroger les choses visibles et leur inscription dans le langage.
Dans le livre Rétrospective Magritte, David Sylvester, dans son premier chapitre, livre quelques idées :
Magritte, dans un entretien en 1965 : « … Eh bien, là il y a donc le visible apparent, la pomme, qui cache le visible caché, le visage du personnage. C'est une chose qui a lieu sans cesse. Chaque chose que nous voyons en cache une autre, nous désirons toujours voir ce qui est caché par ce que nous voyons. Il y a un intérêt pour ce qui est caché et que le visible ne nous montre pas. Cet intérêt peut prendre la forme d'un sentiment assez intense, une sorte de combat dirais-je entre le visible caché et le visible apparent. »
« Magritte s'entretenait souvent de cet intérêt pour le caché. Un jour, quelqu'un lui écrivit pour lui demander quelle signification se cachait derrière une de ses images. «Il n'y a rien (derrière) cette image. (Il y a derrière les couleurs du tableau, la toile. Derrière la toile il y a un mur, derrière le mur il y a... etc. Les choses visibles cachent toujours d'autres choses visibles. Mais une image visible ne cache rien) ». Mais encore, dans l'un de ses premiers écrits, « Les mots et les images », suite de maximes sentencieuses sur les rapports qui unissent entre eux les mots, les images et leurs sens, le voilà qui proclame, de façon abrupte : «Un objet fait supposer qu'il y en a d'autres derrière lui ». Cette hantise du caché le conduisait, à chaque fois que quelqu'un mentionnait « l'invisible », à insister pour que l'on ne manquât pas de marquer avec soin une certaine nuance.»
« Dans l'invisible il faut tout de même distinguer l'invisible et ce qui est caché. Il y a du visible qui est caché - une lettre dans une enveloppe par exemple, c'est du visible caché, mais ce n'est.pas de l'invisible. Un être inconnu au fond de la mer, ce n'est pas de l'invisible, c'est du visible caché. »
Si l’on considère l’ensemble de l’œuvre de Magritte, on constate son intérêt pour perturber le spectateur de son tableau, dans ce qu’il y voit au premier abord. Il joue avec lui, sur ce qu’il croit savoir de ce qu’il voit, mettant à mal ses certitudes, ses présupposés, ses attentes. C’est à un jeu avec les mots et les images que Magritte nous convie. Rappelons que les jeux de mots étaient aussi déterminants dans l’œuvre de Duchamp.
Dans le cas de notre tableau, on peut trouver plusieurs messages qui pourraient correspondre à la situation exposée où l’acte du baiser se trouve entravé par des tissus recouvrant les têtes :
« Il n’y a pas d’amour heureux »
« L’amour est aveugle »
« Pour vivre heureux, vivons caché »
« Se voir n’est pas important pour s’aimer », etc.
En considérant le choix du titre « Les amants », et non « Le baiser » ou « Le couple », on peut penser à une relation adultère. Cela concorderait avec l’esprit surréaliste ou dadaïste qui propose de faire éclater les conventions bourgeoises et de donner la première place à l’amour débridé. Le choix du cadrage en plan rapproché de la scène conduit inexorablement le spectateur à rechercher la vérité, à découvrir les coupables. Magritte, alors, joue avec les nerfs du voyeur, en le privant des visages nécessaires à l’identification.
Nous vous conseillons également la lecture de deux autres ouvrages :
Magritte / Michel Draguet
Petit livre qui montre toutes les facettes de l’œuvre protéiforme de Magritte et de ses thèmes.
Magritte / avec un essai de Robert Hughes
400 œuvres réunies par ordre chronologique, de 1926 à 1967, avec les 4 versions très différentes des « Amants ».
DANS NOS COLLECTIONS :
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