Question d'origine :
Pourquoi appelle-t-on un tableau représentant des fleurs, des fruits, une "nature morte" ?
Réponse du Guichet
Le 01/06/2015 à 09h19
En consultant le TLFI, on trouve l’étymologie suivante :
Prononc.: [ ]. Étymol. et Hist. 1. 1752 «en peinture, objets inanimés» (M. SAUVAGE, Reflex. joy., p.27 cité ds BRUNOT t.6, p.758, note 4: il n'est guère possible de mieux imiter «
En consultant l’article de l’Encyclopaedia Universalis en ligne, l’article -
Robert FOHR, « NATURE MORTE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 30 mai 2015. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/nature-morte/ - dresse l’historique des expressions qualifiant le genre de la nature morte, genre pictural à part entière qui trouve son origine en Grèce, au début de la période hellénistique :
« Quelle expression moins appropriée, pour désigner la représentation d'objets usuels, de denrées alimentaires, d'animaux ou de fleurs, toutes choses qui ont à voir avec les sens, le plaisir, bref la vie même, que celle de «
Il y a à cela au moins deux raisons possibles : le rang subalterne imposé en France au milieu du XVIIe siècle à la peinture d'objets par la doctrine académique – qui n'a pas vraiment d'équivalent dans les pays nordiques, à la différence de l'Italie – explique que se soit imposée aux hommes des Lumières, encore très familiers de ces conceptions, l'expression un peu péjorative de « nature morte », de préférence à « vie coye » ou à une traduction de l'allemand comme « vie silencieuse ». Mais ne peut-on alléguer aussi, pour transcender ce déterminisme un peu facile, une sorte de « contamination sémantique » inconsciente de tout le genre par un thème connu depuis l' Antiquité, celui de la Vanité, où domine précisément l'idée de la mort ? »
On retrouve des informations similaires dans l’article en ligne de l’encyclopédie Larousse :
« Le genre de la nature morte sera fixé au début du XVIIe s., mais le nom ne s'impose qu'au milieu du XVIIIe. Au XVIe s., Vasari parle des " cose naturali " de Giovanni da Udine ; au début du XVIIe s., en Flandre, Van Mander utilise les mots fleurs, fruits et bouquets. Vers 1650, l'expression " still-leven " apparaît aux Pays-Bas, désignant une œuvre d'Evert Van Aelst (still = immobile ; leven = nature, modèle naturel). La peinture de ces choses immobiles se nomme " still-stehenden Sachen " en Allemagne selon Sandrart, puis " Stilleleben ", et enfin " still-life " dans les pays anglo-saxons. En France, au XVIIIe s., le terme de nature reposée est plus couramment employé que celui de vie coye mentionné en 1649 sous le portrait gravé de David Bailly, " peintre de vie coye ". En 1667, Félibien place au bas de la hiérarchie les peintres de " choses mortes et sans mouvement ". Diderot commente avec intérêt, au Salon, la peinture de " nature inanimée ". Le succès de Chardin décide finalement de l'adoption d'un terme nouveau et, en 1756, apparaît l'expression
L’historique du mot nature morte devient encore plus précis dans l’ouvrage de Carles Sterling La nature morte de l'antiquité au XXe siècle, p. 41-42 :
« A la recherche d’un nom : « la vie coye ».
C'est également dans les cercles maniéristes que la critique d'art prend pour la première fois conscience de la représentation de tout ce qui n’est pas l'homme. On cherche un nom, pour définir ce nouveau domaine de la peinture, une catégorie technique où le ranger. On commence par parler simplement de la peinture de paysages, d'animaux, de fleurs, de fruits, d'objets. Embarrassé par l'habileté hétéroclite de Giovanni da Udine, Vasari écrit : « per dirlo in una parola, tutte le cose naturali d'animali, di drappi, d'instrumenti, vasi, paesi, casamenti e verdure » ; Pablo de Cespedes ne fera que le copier en parlant, à propos des grotesques de Giovanni, de cosas naturales. Van Mander décrit les tableaux d'Aertsen ou de Dirck de Vries comme des « cuisines », des « marchés de fruits »ou « toutes sortes de victuailles ». Le secours vient, comme bien on le pense, de la tradition antique : pour définir la spécialité de Bassano, Vasari traduira, nous l'avons vu, la rhopographie par cose piccole. Mais ce qui est capital, Vasari et van Mander, tous deux maniéristes, ont une tolérance et une curiosité égales pour tous les sujets, pour tous les « genres » de la peinture.
La théorie d'art moderne tâtonnera ainsi pendant des siècles et cela sans doute à cause de l'hésitation qu'elle trouve dans la littérature antique : à la fois le mépris pour tout ce qui n'est pas « la noble et la grande » peinture d'histoire, et l'aveu de la célébrité des artistes qui se sont adonnés à la peinture de paysages, de scènes de genre et de natures mortes. Lorsque l'Académie de Lebrun et de Félibien a eu à prendre position dans ce problème scabreux, elle a fini par tirer de la pensée antique ce qui lui convenait : elle établit une rigide hiérarchie des genres, qui commençait par la peinture de l’Histoire sacrée et profane, et finissait par la peinture des choses inanimées.
Pourtant le terme global pour définir tout ce que comportait ce dernier genre n'était toujours pas trouvé. On continuait à parler de pièces de fleurs, de fruits, de poissons et, depuis le début du XVIIe siècle, de « banquets » ou de pièces de repas servis. M. Vorenkamp, qui a étudié cette question si intéressante pour l'histoire des idées artistiques, n'a pas trouvé, jusqu'à 1650 environ, d'autre nomenclature dans les inventaires hollandais du temps. Ce n'est qu'à cette époque, alors que les natures mortes circulaient par centaines dans les Pays-Bas, que le jargon des ateliers forgea le terme de Still-leven, repris par les autres langues germaniques. On l'envie aujourd'hui en France, car on y met, avec un romantisme facile, la belle signification de « vie silencieuse » qu'il n'avait pourtant point à ses origines. Pour les rapins hollandais leven (vie ou nature) voulait dire tout simplement modèle ou modèle vivant ; still voulait dire immobile. Still-leven était donc, par opposition à la peinture de figures ou d'autres êtres animés, la peinture de ce qui ne bouge pas. C'est ainsi que l'entend Sandrart, car il le traduit textuellement par : « stillstehende Sachen », choses immobiles.
La langue française, à cette époque là, ignorait l'équivalent de l'expression hollandaise. On traduisait celle-ci littéralement et d'une façon aussi gauche que charmante : sous le portrait gravé de David Bailly (1649), on lit : « Un fort bon peintre en pourtraicts et en vie coye » Ce « hollandisme » évident n'a pas été employé en France, et lorsqu'au XVIIIe siècle, sous l'influence de la tradition hollandaise, on voulait parler à Paris de natures mortes, on ne disait pas la vie coye mais la nature reposée, ce qui voulait signifier la nature immobile.
Le terme de la nature morte qui a prévalu dans toutes les langues latines a probablement été inventé en France, dans les cercles académiques et anti-baroques. Car il comporte indubitablement une nuance de mépris. On l'a trouvé en étendant l'idée de ce qui est immobile à celle de ce qui est inanimé ou mort. Félibien dit en 1667 : « Celui qui peint des animaux vivants est plus estimable que celui qui ne représente que des choses mortes et sans mouvement ».
C'est seulement au milieu du XVIIIe siècle que le mot de
Pour malheureux qu'il soit, ce mot, vieux de deux siècles, s'est chargé pour les Français, depuis Chardin jusqu'à Cézanne, de tant de prestiges plastiques et de poésie, qu'il ne semble pas utile de l'abandonner.
Les mots ne valent que par les associations qui en rayonnent, et il y a sans doute peu de gens aujourd'hui, pour qui le mot de nature morte évoque le contraire de la vie. »
Dans l’ouvrage Etudes d'art français offertes à Charles Sterling / réunies et publiées par Albert Châtelet et Nicole Reynaud, on trouve, p. 265-278, l’étude réalisée par Michel Faré De quelques termes désignant la peinture d’objet qui s’attache à repérer l’origine de l’expression nature morte dans la langue française.
« A Baillet de Saint-Julien, dont les ouvrages de critique exercèrent une influence considérable sur l'évolution du goût, on doit sans doute la première allusion au terme plus précis de nature morte. On ne peut méconnaître le rôle joué par cet auteur de libelles et de livres publiés sous son nom ou dans l'anonymat. Dans sa Lettre sur la peinture à un amateur de 1750, il note à propos de Bachelier : «S'il y a quelque chose de répréhensible dans ses ouvrages, c'est le trop grand soin qu'il y apporte. On compte le poil et la plume des animaux qu'il représente. Il peut défier toute la Flandre et la Hollande en exactitude. Cette trop grande attention dégénère nécessairement en froid quand on peint surtout, comme il a fait la
Peintre et critique, Michel-François Dandré-Bardon alliait la théorie à la pratique des arts. Professeur à l'Académie Royale en 1752, il collaborait la même année à la rédaction du Journal oeconomique en rendant compte de l'exposition de l'Académie de Saint-Luc, ouverte le 15 mai dans une salle de l'Arsenal. Il note que « les paysages et les autres sujets de
Avec sa lettre sur le Salon de 1779, adressée à la margrave Caroline-Louise de Bade, Dupont de Nemours marque l'emploi habituel et familier de ce mot composé : « Melle Vallayer réunit les Grâces de son sexe à la timidité, qui est souvent une grâce de plus, et à un talent plus grand qu'elle n 'ose le croire. Elle ne s'est présentée à l'Académie que comme peignant les choses inanimées, ce qu'on appelle la
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