Boujaron : pourquoi 1/16e de litre ???
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 05/08/2015 à 10h44
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Question d'origine :
Bonjour,
J'aurais aimé savoir pourquoi la ration "liquide" du marin, servie dans le boujaron, correspondait à un peu moins d'un seizième de litre. Est-ce qu'il y a une raison historique, médicale ou autre qui explique cette mesure ?
Je vous remercie par avance pour votre réponse.
Sophie
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 06/08/2015 à 12h18
Bonjour,
D’après le Cnrtl, le boujaron est la mesure en fer blanc contenant 1/16 de litre pour la distribution de boisson aux marins.
Dans son Dictionnaire de marine avec huit planches, le vice-amiral Willaumez donne une définition un peu plus développée :
Petite mesure de fer blanc, servant dans la cambuse, à la distribution de divers liquides à l’équipage.Il contient la seizième partie d’une pinte, formant la ration de chaque homme, pour un repas en eau-de-vie, rack ou rhum .
Entre aliment, récompense, et réprimande (par leur suppression temporaire), les boissons alcoolisées ou fermentées à bord ont fait l’objet de nombreux règlements dans la marine, liés à la fois à leurs conditions de conservation, à leur stockage à bord, et aussi au souci que la consommation d’eau-de-vie ne soit pas « nuisible » à l’équipage…
L’allocation journalière d’eau de vie autorisée par les textes correspondait au quart de celle du vin, c'est-à-dire 3/16 au lieu de ¾ de litres de vin, soit une ration d’1/16 par repas. La ration simple correspondait à une mesure de 6 centilitres (boujaron).
Lors de grandes occasions ou après un effort particulier, le commandant pouvait accorder une « double » en récompense. (source : Escales maritimes : la mer dans tous ses états)
L’eau-de-vie ayant à la fois l’avantage de mieux se conserver et d’être à peu près quatre fois moins encombrante que le vin, il n’était pas rare qu’au bout de plusieurs semaines en mer on ne serve plus que de l’eau-de-vie aux marins.
Vers la fin du XVIIIe siècle, s’installa l’habitude au déjeuner de remplacer la chopine de 46 centilitres (de vin coupé d’eau à parts égales, de cidre ou de bière) par une ration de tafia ou de spiritueux, le « fameux boujaron » de 6 centilitres (1/16 de litre), réduit à 3 centilitres un siècle plus tard, avant d’être tout bonnement supprimé par une circulaire le 9 novembre 1893.
Dans L’usage du vin dans la marine, Yannick Romieux nous permet d’apprécier l’opinion de deux « figures de proue » de la médecine, spécialistes de l’hygiène navale aux XVIIIe et XIXe siècles :
ils considéraient la bière comme très nourrissante et anticorbustique. Pour le cidre, ils le regardaient comme propre à prévenir ou à écarter le scorbut. Mais ils préviennent, à l’unisson, que ces deux boissons se conservent difficilement à la mer, surtout quand la température est élevée, et prennent une place considérable dans les cales, ce qui les exclue pratiquement des vivres à embarquer. Quant au vin, ils lui attribuent la propriété de neutraliser les influences débilitantes de l’encombrement nautique, de consoler le marin qui a une existence rude et monotone de nature à engendrer le découragement et l’ennui, et enfin d’aider à supporter le séjour prolongé dans les pays chauds. Ils attribuent aussi au vin une propriété antiscorbutique de par la sève qu’il contient et associé aux acides végétaux. En effet, nous savons aujourd’hui que seul le vin renferme un peu de vitamine C (1,8 mg pour 100 grammes), mais que le tabac et l’alcool en augmentent sa consommation. Dans ce cas, on peut se demander où se trouve l’effet bénéfique… Pour ce qui est de l’eau de vie, nos deux hygiénistes préconisent de la leur donner comme cordial après des travaux pénibles ou par temps froid ou pluvieux, mais jamais à jeun car elle entraîne l’ivrognerie.
Finalement, ces deux médecins, spécialistes de l’hygiène navale, se prononcent pour le vin comme boisson de base à bord des vaisseaux tout en dénonçant les méfaits de l’alcoolisme. Leur comportement est pour le moins ambigu car ils ont tendance à mettre en cause les eaux de vie, responsables de la mauvaise ivresse ainsi que des délabrements physiques et moraux, et à faire preuve de la plus grande indulgence à l’égard du vin. Comme si, dans ce domaine, il pouvait y avoir deux poids deux mesures…
Cependant, le mot de la fin revient à Fonssagrives qui résume parfaitement la pensée du corps médical de la Marine sur le sujet. Ainsi, nous dit-il, les médecins des gens de mer pensent que si cette partie du régime de l’homme embarqué devait être modifiée, ce serait uniquement dans le sens d’une augmentation car le vin a l’avantage de désaltérer et de nourrir. C’est un concept qui était loin de déplaire à l’équipage, vous en conviendrez.
Bonne journée… et à votre santé !
D’après le Cnrtl, le boujaron est la mesure en fer blanc contenant 1/16 de litre pour la distribution de boisson aux marins.
Dans son Dictionnaire de marine avec huit planches, le vice-amiral Willaumez donne une définition un peu plus développée :
Petite mesure de fer blanc, servant dans la cambuse, à la distribution de divers liquides à l’équipage.
Entre aliment, récompense, et réprimande (par leur suppression temporaire), les boissons alcoolisées ou fermentées à bord ont fait l’objet de nombreux règlements dans la marine, liés à la fois à leurs conditions de conservation, à leur stockage à bord, et aussi au souci que la consommation d’eau-de-vie ne soit pas « nuisible » à l’équipage…
L’allocation journalière d’eau de vie autorisée par les textes correspondait au quart de celle du vin, c'est-à-dire 3/16 au lieu de ¾ de litres de vin, soit une ration d’1/16 par repas. La ration simple correspondait à une mesure de 6 centilitres (boujaron).
Lors de grandes occasions ou après un effort particulier, le commandant pouvait accorder une « double » en récompense. (source : Escales maritimes : la mer dans tous ses états)
L’eau-de-vie ayant à la fois l’avantage de mieux se conserver et d’être à peu près quatre fois moins encombrante que le vin, il n’était pas rare qu’au bout de plusieurs semaines en mer on ne serve plus que de l’eau-de-vie aux marins.
Vers la fin du XVIIIe siècle, s’installa l’habitude au déjeuner de remplacer la chopine de 46 centilitres (de vin coupé d’eau à parts égales, de cidre ou de bière) par une ration de tafia ou de spiritueux, le « fameux boujaron » de 6 centilitres (1/16 de litre), réduit à 3 centilitres un siècle plus tard, avant d’être tout bonnement supprimé par une circulaire le 9 novembre 1893.
Dans L’usage du vin dans la marine, Yannick Romieux nous permet d’apprécier l’opinion de deux « figures de proue » de la médecine, spécialistes de l’hygiène navale aux XVIIIe et XIXe siècles :
ils considéraient la bière comme très nourrissante et anticorbustique. Pour le cidre, ils le regardaient comme propre à prévenir ou à écarter le scorbut. Mais ils préviennent, à l’unisson, que ces deux boissons se conservent difficilement à la mer, surtout quand la température est élevée, et prennent une place considérable dans les cales, ce qui les exclue pratiquement des vivres à embarquer. Quant au vin, ils lui attribuent la propriété de neutraliser les influences débilitantes de l’encombrement nautique, de consoler le marin qui a une existence rude et monotone de nature à engendrer le découragement et l’ennui, et enfin d’aider à supporter le séjour prolongé dans les pays chauds. Ils attribuent aussi au vin une propriété antiscorbutique de par la sève qu’il contient et associé aux acides végétaux. En effet, nous savons aujourd’hui que seul le vin renferme un peu de vitamine C (1,8 mg pour 100 grammes), mais que le tabac et l’alcool en augmentent sa consommation. Dans ce cas, on peut se demander où se trouve l’effet bénéfique… Pour ce qui est de l’eau de vie, nos deux hygiénistes préconisent de la leur donner comme cordial après des travaux pénibles ou par temps froid ou pluvieux, mais jamais à jeun car elle entraîne l’ivrognerie.
Finalement, ces deux médecins, spécialistes de l’hygiène navale, se prononcent pour le vin comme boisson de base à bord des vaisseaux tout en dénonçant les méfaits de l’alcoolisme. Leur comportement est pour le moins ambigu car ils ont tendance à mettre en cause les eaux de vie, responsables de la mauvaise ivresse ainsi que des délabrements physiques et moraux, et à faire preuve de la plus grande indulgence à l’égard du vin. Comme si, dans ce domaine, il pouvait y avoir deux poids deux mesures…
Cependant, le mot de la fin revient à Fonssagrives qui résume parfaitement la pensée du corps médical de la Marine sur le sujet. Ainsi, nous dit-il, les médecins des gens de mer pensent que si cette partie du régime de l’homme embarqué devait être modifiée, ce serait uniquement dans le sens d’une augmentation car le vin a l’avantage de désaltérer et de nourrir. C’est un concept qui était loin de déplaire à l’équipage, vous en conviendrez.
Bonne journée… et à votre santé !
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