Question d'origine :
Bonjour, pouvez-vous m'aider à résoudre ce mystère ? Pourquoi Madeleine Stowe reconnaît Bruce Willis dans le film de Terry Gilliam L'armée des douze singes ? Elle a ce sentiment de déjà vu lorsqu'elle le rencontre pour la première fois au début, puis presque à la fin, alors qu'elle le déguise avec une perruque et une fausse moustache, elle lui dit "c'est sous cette apparence que je te connais".
Merci de votre aide, les voyages dans le temps ont des effets alambiqués sur les scénarios !
Réponse du Guichet


Bonjour,
Grâce à votre question, nous avons re-visionné ce film majeur dans la filmographie de Terry Gilliam et nous avons pris des notes afin de vous apporter notre concours.
Tout d’abord sachez que le scénario du film de L’armée des 12 singes (1995) est une adaptation du court-métrage La Jetée de Chris Marker, de 1962.
Ensuite nous vous rappelons que le voyage dans le temps reste, encore aujourd’hui, une théorie de physique quantique, ce qui peut expliquer en partie ce que vous nommez les « effets alambiqués » sur les scenarii, rendant ainsi la fiction plus distrayante.
Mais revenons à notre film, et analysons-le point par point pour tenter de résoudre l’énigme que vous nous avez posée : pourquoi le reconnaît-elle ?
Attention révélation de l’intrigue (c’est plus joli que spoiler) !
Que ceux qui n’ont pas vu le film et ne veulent pas connaître l’histoire passent leur chemin !
Reprenons l’histoire depuis le début :
Le film débute par le rêve de James Cole (Bruce Willis) dans lequel il assiste, enfant, au meurtre d’un homme dans un aéroport, lequel est secouru par une jeune femme blonde.
Réveillé en sursaut, Cole est détenu dans une prison souterraine, en 2035, dans un monde anéanti dans sa quasi-totalité, en 1996, par un virus n’atteignant que les humains, et répandu par une organisation clandestine nommée L’Armée des 12 singes.
Cole / Willis est alors choisi comme « volontaire » pour effectuer un voyage dans le passé afin de retrouver le virus souche, non pas pour empêcher la contamination du monde, mais pour réaliser un vaccin efficace dans le futur (qui est son présent à lui).
Cole / Willis est donc envoyé dans le passé en 1996 ; en réalité les grands savants de 2035 se sont trompés et l’ont envoyé en 1990 !
Dès lors, rien ne tourne rond puisque ce qui aurait dû exister en 1996, n’existe pas encore en 1990.
Cole / Willis est arrêté et envoyé dans un asile de fous où il rencontre la jolie psychiatre brune Kathryn Railly (Madeleine Stowe).
Lorsqu’elle le voit, elle lui dit avoir la sensation de « l’avoir déjà-vu » ; pour l’instant on ne comprend pas pourquoi, mais un peu de patience.
Pour compléter le tableau, Cole / Willis rencontre un autre aliéné, Jeffrey Goines (Brad Pitt), fils de médecin, qui lui fait part de son envie de détruire l’humanité pour défendre les animaux victimes de vivisection.
Cole disparaît d’un coup, « ramené » par les scientifiques de 2035 qui se sont aperçus de leur erreur.
Cole / Willis est renvoyé une deuxième fois en 1996. Encore raté ! Cette fois, le brave homme se retrouve tout nu (allez savoir pourquoi) dans les tranchées en pleine guerre de 14-18 !
Il reconnaît sur un brancard un blessé, José, avec qui il échange quelques mots avant d’être touché à la cuisse par une balle. Il est à nouveau ramené en 2035.
Retour cette fois en 1996, durant une conférence publique de Kathryn / Stowe sur les théories de la fin du monde et les prophéties de propagation de virus détruisant l’humanité.
Elle évoque à ce moment-là le cas d’un soldat blessé en 14-18 qui « affabulait » sur la destruction du monde par la propagation d’un virus en 1996, et accompagne son exposé d’une photo. On reconnaît alors José, le copain de Cole / Willis.
A la fin de cette conférence déboule Cole / Willis, qui enlève Kathryn / Stowe pour aller à Baltimore sur les traces de l’Armée des 12 singes.
Elle lui soigne sa blessure à la cuisse et garde la balle, qui lui semble étrange (gardez bien ce détail en tête).
Ils rencontrent tous les deux l’association de défense des animaux qui est la couverture de l’organisation clandestine des 12 singes, et remontent la piste jusqu’à Jeffrey / Pitt, qui n’est autre que le fils du scientifique qui a créé le virus mortel.
Cole / Willis est encore ramené en 2035, et là il commence à montrer quelques signes de fatigue, pour ne pas dire de folie, et s’emmêle carrément les pinceaux sur son présent - passé -futur.
En fait il veut retourner en 1996 pour rester avec Kathryn / Stowe, dont il est tombé amoureux !
Pendant ce temps Kathryn / Stowe a cogité, appris que la balle, qu’elle avait gardé, datait de 14-18, et retrouvé la photo de José, sur laquelle apparaît tout au fond Cole / Willis !!!
C’est donc là qu’elle l’a vu, et on peut même supposer qu’elle travaille sur cette photo depuis un certain temps, bien avant sa conférence de 1996, ce qui pourrait expliquer pourquoi elle a cette sensation de déjà-vu. Elle l’a perçu de façon inconsciente sur cette photo.
En fait, tout l’imbroglio repose sur la fin du film et la boucle spatio-temporelle mise en scène par le rêve récurrent de Cole / Willis.
Mais revenons à nos moutons : Cole / Willis revient une énième fois dans le passé, enfin en 1996, retrouve Kathryn / Stowe ; il lui explique tout, elle le croit et en tombe amoureuse.
Ils se déguisent alors : elle en blonde, lui avec perruque et moustache.
C’est effectivement là, qu’elle lui déclare « l’avoir toujours connu comme ça». D’aucun vous dirait que la sensation de déjà-vu va de paire avec les coups de foudre, et que c’est l’amour qui parle, mais continuons.
Bref, ils se lancent à la poursuite de l’Armée des 12 singes pour s’apercevoir que ce ne sont pas eux les responsables (ils voulaient seulement libérer les animaux du zoo), mais un des scientifiques du laboratoire du père de Jeffrey Goines / Pitt.
Ils le pourchassent à l’aéroport et on se retrouve enfin « dans » le rêve récurrent de Cole / Willis : en 1996, il est enfant et se trouve à l’aéroport avec ses parents, il voit donc son moi de 2035, déguisé, poursuivre le scientifique et se faire abattre par les policiers devant Kathryn / Stowe blonde. C’est cette scène qu’il revoit en boucle jusqu’en 2035.
C’est là que le bât blesse : comment peut-elle l’avoir reconnu alors qu’elle n’est jamais allée ni dans le passé ni dans le futur ? Comment peut-il rêver de sa mort tant qu’il n’est pas encore allé dans le passé ?
Pour qu’elle le reconnaisse avec son déguisement, cela sous-entend qu’elle a déjà vécu cette scène et qu’elle aussi est coincée dans cette boucle spatio-temporelle, comme lui.
On se retrouve, peu ou prou, dans la même situation que John Connor qui renvoie son père, Kyle Reese, dans le passé pour séduire sa mère, Sarah Connor, dans Terminator : comment peut-il naître tant qu’il n’a pas rencontré son père qui naîtra lui-même dans son futur, alors que c’est son présent à lui ?
D’accord, c’est pas très clair !
Concrètement c’est l’éternel problème de la poule et de l’œuf : qui est arrivé en premier ?
En plus on ne nous a montré que quatre voyages de Cole / Willis dans le passé, si ça trouve, les savants de 2035 se sont trompés encore plusieurs fois, et il a rencontré Kathryn / Stowe à ces occasions-là.
Nous préférons penser que c’est tout simplement une ellipse, voire une faille scénaristique !
Cette notion de relativité temporelle et de continuum espace-temps est abordée, avec les mêmes problèmes de logique dans d’autres films de Terry Gilliam tels que Brazil (1985) et Bandits bandits (1981).
En effet dans Brazil, le personnage principal interprété par Jonathan Pryce vit une aventure héroïque dans un futur imaginaire, car son cerveau tente de lutter face à l’emprise que prend la torture de ses tortionnaires ; nous ne découvrons la réalité de cet espace-temps idéalisé qu’à la fin du film.
Idem dans Bandits bandits, dans lequel un petit garçon traverse le temps, et affronte maintes péripéties, après avoir été embarqué par une bande de bandits nains qui ont dérobé à l'Être suprême la carte du Temps. Là aussi, la linéarité du temps scénaristique comporte quelques incohérences, voire des fantaisies.
Voilà, nous n’avons pas meilleure explication à vous proposer, le sujet reste ouvert à la libre interprétation, toutefois vous pouvez visionner d’autres films comportant le même souci temporel :
- la trilogie de Retour vers le futur
- les 5 Terminator
- et le superbe Abattoir 5
Enfin si vous souhaitez approfondir vos connaissances sur la sensation de déjà-vu et le voyage dans le temps, nous vous conseillons la lecture des ouvrages suivants :
- une précédente réponse du Guichet du Savoir : Paradoxe temporel
- Voyager dans le temps
- Comment construire une machine à explorer le temps
- La sensation de déjà-vu
Surtout faites un bon voyage !
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