Réalisme et naturalisme
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 15/10/2015 à 15h37
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Question d'origine :
Bonjour,
J'éprouve des difficultés à différencier le réalisme du naturalisme, tant en peinture qu'en littérature. Pourriez-vous m'éclairer de vos lumières ?
Merci et bravo pour votre travail remarquable !
Antoine Dominique
Réponse du Guichet

Bonjour,
Le réalisme et le naturalisme sont en effet des courants très proches, et pour cause, le naturalisme dérive directement du réalisme. Pour vous aider à y voir un peu plus clair, citons la présentation de l’anthologie Réalisme et naturalisme par Eléonore Roy-Reverzy :
Le réalisme : une invention du XIXe siècle ?
Définir le réalisme et le naturalisme est une entreprise difficile, tant ces termes, et particulièrement le premier d’entre eux, ont fait l’objet d’approches diverses et divergentes. Si l’on considère que toute œuvre qui prétend reproduire fidèlement la réalité est réaliste, le réalisme peut dès lors être appréhendé comme une notion essentielle et récurrente dans l’art occidental, déjà sensible dans le Satiricon de Pétrone au Ier siècle de notre ère ou dans les romans du XVIIe siècle, Francion de Sorel, Le Roman comique de Scarron ou Le Roman bourgeois de Furetière.
C’est pourtant au XIXe siècle que le réalisme – et, dans sa foulée, le naturalisme – se définit avec précision comme mouvement artistique et littéraire, plus précisément dans les années 1850, époque où des artistes comme le peintre Courbet et ses amis romanciers, Champfleury et Duranty, vont poser ses premiers fondements théoriques : Courbet, qui a vu deux de ses tableaux refusés à l’Exposition universelle de 1855, organise sa propre exposition qu’il intitule « Réalisme », dans un pavillon qu’il a fait construire à ses frais ; Duranty fonde en 1856 une revue du même nom qui va connaître six numéros ; Champfleury enfin recueille ses articles sur la question sous le titre Le Réalisme, terme qu’il est l’un des premiers à employer dès 1847. Le mot dès lors fait recette, même s’il l’on ne peut véritablement parler d’école artistique : beaucoup de romanciers en effet ont toujours refusé cette étiquette, Flaubert comme les frères Goncourt, qui font pourtant aujourd’hui figures de grands maîtres du réalisme.
Reste que si le réalisme se revendique une existence dans la littérature et les arts à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, il se réclame d’une longue série de devanciers et de modèles. Outre les philosophes des Lumières, Duranty trouve en Shakespeare, chez les romanciers picaresques, Pascal, Molière, Goethe, l’abbé Prévost, Restif de la Bretonne, Stendhal ou Balzac, des ancêtres. Pour paraître hétéroclite, la liste n’en est pas moins révélatrice puisqu’elle unit romanciers, philosophes et dramaturges, autour d’une représentation du monde délibérément anti-idéaliste, qui veut dénoncer les illusions trompeuses.
Le réalisme se définit donc par son opposition au romantisme : les réalistes, puis les naturalistes s’en tiennent à une vision du monde matérialiste. Ils refusent l’inconnu, l’au-delà, tout ce qui relève du champ de l’irrationnel.
[…]
Il s’agit pour les réalistes et les naturalistes de s’inspirer de leur époque, de représenter ce qui les entoure, et non un ailleurs de fantaisie – ce que les romantiques appelaient la « couleur locale » - ou un temps reculé. Dans son exploration du monde réal, du monde moderne, le réalisme s’intéresse avant tout au « côté social de l’homme, qui est le plus visible, le plus compréhensible et le plus varié ». L’homme est désormais représenté moins dans sa psychologie que dans ses rapports sociaux, d’où l’émergence dans le roman de personnages qui jusqu’alors avaient peu intéressé les écrivains : le bourgeois, puis l’ouvrier et les marginaux de tout ordre.
[…]
Ainsi attachés à représenter la réalité, les partisans du réalisme n’hésitent pas à recourir à la caution de la science, manière de débarrasser le roman des accusations de frivolité et d’immoralité portées contre lui. Pour les romanciers, l’œuvre n’est pas destinée à divertir le lecteur mais à lui transmettre un enseignement. Stendhal a été fortement marqué par l’influence des Idéologues, Balzac pose la zoologie comme modèle pour étudier la société et Zola élabore sa théorie d’un roman expérimental à partir des travaux du médecin Claude Bernard.
[…]
Le réalisme aspire à être une littérature du tout dire, tant dans les objets auxquels il s’attache pour les détailler que dans la précision de son écriture. Parce qu’il prétend rendre compte du réel et de tout le réel, le réalisme comme le naturalisme, tend à multiplier les détails, voire, pour certaines tendances naturalistes, à laisser la description l’emporter sur la narration, les choses dominer les faits […].
Le naturalisme, dans le prolongement du réalisme, s’en distingue car il cherche à aller plus loin. Son principal théoricien est Emile Zola :
Il ne s’agit plus seulement pour le naturaliste de saisir le réel dans sa totalité comme le faisaient les réalistes, mais d’en expliquer les mécanismes. Zola aborde le roman comme un champ d’expériences où le romancier est tout à la fois un observateur et un expérimentateur, suivant le modèle que lui fournit l’Introduction à la médecine expérimentale de Claude Bernard. […]
La littérature naturaliste a sans nul doute cherché à aller plus loin que le réalisme dans sa peinture de toutes les réalités, qu’il s’agisse de la réalité sociale, avec la représentation de la classe ouvrière et des marginaux (la prostituée notamment), de celle, choquante et scandaleuse, du corps et de la sexualité, de la réalité du monde moderne enfin, bouleversé par l’industrialisation.
La peinture naturaliste est étroitement liée au mouvement littéraire :
Dans le sillage de Jean-François Millet et Jules Breton, une génération de peintres s'impose à la fin des années 1870 en renouvelant l'image de la ruralité et du travail ouvrier.
La peinture naturaliste, étroitement liée aux romans d'Emile Zola ou des frères Goncourt, a pour ambition de retranscrire un monde en profonde mutation technique et sociale, dans toute sa fugace vérité. À l'aide d'une représentation illusionniste, parfois appuyée par la photographie, elle érige ses protagonistes en types représentatifs d'un groupe social. L'esthétique naturaliste rencontre alors les préoccupations du régime républicain qui s'enracine au tournant de 1880, jusqu'à incarner le style officiel de la IIIe République, comme en témoignent les nombreux achats de l'Etat dont les collections du musée d'Orsay sont les héritières.
Cela n'empêche pas le naturalisme de s'approprier toutes les franges de la société et, progressivement, de renouveler tous les genres, comme la représentation du sentiment religieux. La poésie qui enveloppe ces scènes de vie quotidienne cache d'ailleurs une pluralité de positions politiques.
Source : Musée d’Orsay
(voir aussi le dossier sur la peinture réaliste, toujours sur le site du Musée d’Orsay)
L’ouvrage Lire le réalisme et le naturalisme vous permettra d’aborder plus en profondeur l’histoire et la théorie de ces deux mouvements littéraires et artistiques.

Jules Breton, La fin du travail, 1887
(source : Wikipedia)
Bonne journée.
Le réalisme et le naturalisme sont en effet des courants très proches, et pour cause, le naturalisme dérive directement du réalisme. Pour vous aider à y voir un peu plus clair, citons la présentation de l’anthologie Réalisme et naturalisme par Eléonore Roy-Reverzy :
Définir le réalisme et le naturalisme est une entreprise difficile, tant ces termes, et particulièrement le premier d’entre eux, ont fait l’objet d’approches diverses et divergentes. Si l’on considère que toute œuvre qui prétend reproduire fidèlement la réalité est réaliste, le réalisme peut dès lors être appréhendé comme une notion essentielle et récurrente dans l’art occidental, déjà sensible dans le Satiricon de Pétrone au Ier siècle de notre ère ou dans les romans du XVIIe siècle, Francion de Sorel, Le Roman comique de Scarron ou Le Roman bourgeois de Furetière.
C’est pourtant au XIXe siècle que le réalisme – et, dans sa foulée, le naturalisme – se définit avec précision comme mouvement artistique et littéraire, plus précisément dans les années 1850, époque où des artistes comme le peintre Courbet et ses amis romanciers, Champfleury et Duranty, vont poser ses premiers fondements théoriques : Courbet, qui a vu deux de ses tableaux refusés à l’Exposition universelle de 1855, organise sa propre exposition qu’il intitule « Réalisme », dans un pavillon qu’il a fait construire à ses frais ; Duranty fonde en 1856 une revue du même nom qui va connaître six numéros ; Champfleury enfin recueille ses articles sur la question sous le titre Le Réalisme, terme qu’il est l’un des premiers à employer dès 1847. Le mot dès lors fait recette, même s’il l’on ne peut véritablement parler d’école artistique : beaucoup de romanciers en effet ont toujours refusé cette étiquette, Flaubert comme les frères Goncourt, qui font pourtant aujourd’hui figures de grands maîtres du réalisme.
Reste que si le réalisme se revendique une existence dans la littérature et les arts à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, il se réclame d’une longue série de devanciers et de modèles. Outre les philosophes des Lumières, Duranty trouve en Shakespeare, chez les romanciers picaresques, Pascal, Molière, Goethe, l’abbé Prévost, Restif de la Bretonne, Stendhal ou Balzac, des ancêtres. Pour paraître hétéroclite, la liste n’en est pas moins révélatrice puisqu’elle unit romanciers, philosophes et dramaturges, autour d’une représentation du monde délibérément anti-idéaliste, qui veut dénoncer les illusions trompeuses.
Le réalisme se définit donc par son opposition au romantisme : les réalistes, puis les naturalistes s’en tiennent à une vision du monde matérialiste. Ils refusent l’inconnu, l’au-delà, tout ce qui relève du champ de l’irrationnel.
[…]
Il s’agit pour les réalistes et les naturalistes de s’inspirer de leur époque, de représenter ce qui les entoure, et non un ailleurs de fantaisie – ce que les romantiques appelaient la « couleur locale » - ou un temps reculé. Dans son exploration du monde réal, du monde moderne, le réalisme s’intéresse avant tout au « côté social de l’homme, qui est le plus visible, le plus compréhensible et le plus varié ». L’homme est désormais représenté moins dans sa psychologie que dans ses rapports sociaux, d’où l’émergence dans le roman de personnages qui jusqu’alors avaient peu intéressé les écrivains : le bourgeois, puis l’ouvrier et les marginaux de tout ordre.
[…]
Ainsi attachés à représenter la réalité, les partisans du réalisme n’hésitent pas à recourir à la caution de la science, manière de débarrasser le roman des accusations de frivolité et d’immoralité portées contre lui. Pour les romanciers, l’œuvre n’est pas destinée à divertir le lecteur mais à lui transmettre un enseignement. Stendhal a été fortement marqué par l’influence des Idéologues, Balzac pose la zoologie comme modèle pour étudier la société et Zola élabore sa théorie d’un roman expérimental à partir des travaux du médecin Claude Bernard.
[…]
Le réalisme aspire à être une littérature du tout dire, tant dans les objets auxquels il s’attache pour les détailler que dans la précision de son écriture. Parce qu’il prétend rendre compte du réel et de tout le réel, le réalisme comme le naturalisme, tend à multiplier les détails, voire, pour certaines tendances naturalistes, à laisser la description l’emporter sur la narration, les choses dominer les faits […].
Le naturalisme, dans le prolongement du réalisme, s’en distingue car il cherche à aller plus loin. Son principal théoricien est Emile Zola :
Il ne s’agit plus seulement pour le naturaliste de saisir le réel dans sa totalité comme le faisaient les réalistes, mais d’en expliquer les mécanismes. Zola aborde le roman comme un champ d’expériences où le romancier est tout à la fois un observateur et un expérimentateur, suivant le modèle que lui fournit l’Introduction à la médecine expérimentale de Claude Bernard. […]
La littérature naturaliste a sans nul doute cherché à aller plus loin que le réalisme dans sa peinture de toutes les réalités, qu’il s’agisse de la réalité sociale, avec la représentation de la classe ouvrière et des marginaux (la prostituée notamment), de celle, choquante et scandaleuse, du corps et de la sexualité, de la réalité du monde moderne enfin, bouleversé par l’industrialisation.
La peinture naturaliste est étroitement liée au mouvement littéraire :
Dans le sillage de Jean-François Millet et Jules Breton, une génération de peintres s'impose à la fin des années 1870 en renouvelant l'image de la ruralité et du travail ouvrier.
La peinture naturaliste, étroitement liée aux romans d'Emile Zola ou des frères Goncourt, a pour ambition de retranscrire un monde en profonde mutation technique et sociale, dans toute sa fugace vérité. À l'aide d'une représentation illusionniste, parfois appuyée par la photographie, elle érige ses protagonistes en types représentatifs d'un groupe social. L'esthétique naturaliste rencontre alors les préoccupations du régime républicain qui s'enracine au tournant de 1880, jusqu'à incarner le style officiel de la IIIe République, comme en témoignent les nombreux achats de l'Etat dont les collections du musée d'Orsay sont les héritières.
Cela n'empêche pas le naturalisme de s'approprier toutes les franges de la société et, progressivement, de renouveler tous les genres, comme la représentation du sentiment religieux. La poésie qui enveloppe ces scènes de vie quotidienne cache d'ailleurs une pluralité de positions politiques.
Source : Musée d’Orsay
(voir aussi le dossier sur la peinture réaliste, toujours sur le site du Musée d’Orsay)
L’ouvrage Lire le réalisme et le naturalisme vous permettra d’aborder plus en profondeur l’histoire et la théorie de ces deux mouvements littéraires et artistiques.

Jules Breton, La fin du travail, 1887
(source : Wikipedia)
Bonne journée.
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