éthos de personnalités politiques
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 27/10/2015 à 10h08
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Question d'origine :
Bonjour,
J'ai entendu récemment à la radio un débat qui parlait de l’éthos de personnalités politiques et en particulier du président français : François Hollande.
Etant arrivé à la fin de ce débat je n'ai pas compris à quoi cela correspondait.
Qu'est ce donc l'éthos d'une personnalité politique et quelle est-t-elle pour François Hollande ?
Merci d'avance pour votre réponse,
Cordialement.
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 28/10/2015 à 10h22
Bonjour,
Tout d’abord, voici quelques définitions de l’ethos trouvées dans différents dictionnaires de sociologie :
Chez Max Weber, système de valeurs propre à une religion ou à un groupe social.
En toute rigueur, il faudrait parler de l’ethos protestant plutôt que de l’éthique protestante (mais en français ce dernier s’est imposé par l’usage).
Source : Lexique de sociologie, Dalloz
Valeurs ultimes et idéaux d’une culture. Ensemble des traits culturels caractéristiques d’un groupe. Nombreuses nuances sur ce fonds commun. Certains insistent sur l’émotivité, d’autres sur les objectifs, les motivations ou l’influence sur le comportement individuel.
Ethos de classe : expression utilisée pour caractériser les valeurs, conduites, déterminant les membres d’une classe sociale (cf. Bourdieu).
Source : Lexique des sciences sociales
ethos/éthique
Dans un premier sens, ethos peut être opposé à éthique. Le terme désigne alors les principes ou valeurs à l’état pratique, la forme intériorisée et non consciente de la morale qui règle la conduite quotidienne. A l’inverse, « lorsque l’ethos se déploie en discours », l’éthique est définie comme la morale sous sa forme théorique, explicite et systématisée.
Dans une autre perspective, ethos désigne l’ensemble des caractéristiques culturelles et des valeurs sociales qui donnent un caractère commun à un groupe d’individus d’une même société. Ainsi, chez l’anthropologue Gregory Bateson, il signifie « l’expression d’un système normalisé d’attitudes affectives » et traduit l’affect d’une culture (cf. La Cérémonie du Naven, trad. fr., Paris, Minuit, 1971, 1re éd. 1936). Le terme est alors à rapprocher de la notion de personnalité de base.
Enfin, ethos est également employé dans un sens proche de sa signification étymologique : comportement habituel d’une personne ou d’un animal.
Source : Dictionnaire de sociologie, Gilles Ferréol
En complément la définition donnée par Michel de Coster dans son Traité de sociologie du travail :
l’ethos est un système de croyances, valeurs, normes et modèles qui constitue le cadre de référence du comportement individuel et de l’action sociale au sein d’une collectivité définie. Ce système est un produit socio-historique.
Enfin, pour Georgiana Burbea, l’ethos se définit comme l’image que le locuteur donne de lui-même dans son discours pour assurer son efficacité. Dans son article L’ethos ou la construction de l’identité dans le discours, elle analyse un discours de François Hollande en 2012, à qui elle attribue un ethos « de neutralité » :
« La Direction générale de l’armement a subi des réductions importantes d’effectifs, ce qui prive l’Etat des moyens de construire et d’animer correctement une politique industrielle ».
Le candidat du Parti Socialiste réactualise la doxa de l’auditoire […] d’une manière objective et avec une attitude d’éloignement des arguments exposés.
Un trait important dans la construction de l’ethos de neutralité est la présence des rapports logiques qui s’établissent entre les arguments employés et qui sont bien marqués au niveau discursif par des connecteurs logiques. Dans l’extrait appartenant à Hollande, ce n’est pas par un connecteur logique qu’on exprime le rapport cause-effet, mais par l’intermédiaire du pronom relatif, qui sert à introduire une relative explicative (appositive) avec une nuance causale.
Au début de l’extrait, on remarque le verbe « a subi » qui sert à relater au destinataire un phénomène social et économique négatif. Comme dans les autres exemples, l’énonciateur refuse d’adresser des accusations aux coupables, en se contentant de décrire le phénomène avec une attitude voulue de neutralité. Cette attitude discursive de neutralité vient en contraste avec la stratégie de l’attaque à la personne, qui est très courante d’ailleurs dans le discours politique.
Bref, Hollande a opté dans cette séquence discursive pour un ethos de neutralité, qui vise à diriger l’attention de ses destinataires vers le contenu de son discours. La préférence de l’orateur pour le concret est présente aussi dans ce discours, où l’argumentation repose surtout sur la présentation fidèle des faits.
Pour clore ce point, on peut dire que l’ethos de neutralité requiert une expression objective et une attitude d’écart vis-à-vis des arguments. L’enjeu d’un ethos de neutralité dans le discours politique est décrit par Charaudeau de la manière suivante : « « Neutralité », « impartialité appartiennent à la catégorie de ces « mots magiques » qui « ont force de loi » « sur le marché des valeurs sociales du signe » et « ne souffrent pas de remise en cause ni d’élucidation » » (1992 : 107-108).
L’ethos de neutralité peut démasquer une attitude critique de la part de l’orateur, mais cette attitude critique ne vise pas une cible concrète ou les adversaires de l’orateur, comme c’est le cas de l’ethos basé par exemple sur l’argument ad hominem. Bien au contraire, l’ethos de neutralité demande une attitude discursive détachée, où l’orateur devient un raconter de vérités, et non pas un accusateur.
Nos recherches ne nous ont pas permis de retrouver l’émission de radio que vous avez écoutée, nous ne pouvons donc pas vous donner beaucoup plus de précisions sur l’ethos de François Hollande tel qu’il y a été débattu… En revanche voici quelques documents qui vous permettront d’approfondir le concept d’ethos en général, et de l’ethos dans le discours politique en particulier :
- Le concept d’ethos. De ses usages classiques à un usage renouvelé, Bernard Fusulier, publié en 2011 dans la revue sur les recherches sociologiques et anthropologiques RSA.
- Éthos et interaction : analyse du débat politique Hollande-Sarkozy, Marion Sandré, Langage et Société n°149, mars 2014 (consultable sur Cairn)
- La parole politique à la télévision : du logos à l’ethos, Guy Lochard, Jean-Claude Soulages, Réseaux n°118 de février 2003 (consultable sur Cairn)
Bonne journée.
Tout d’abord, voici quelques définitions de l’ethos trouvées dans différents dictionnaires de sociologie :
Chez Max Weber, système de valeurs propre à une religion ou à un groupe social.
En toute rigueur, il faudrait parler de l’ethos protestant plutôt que de l’éthique protestante (mais en français ce dernier s’est imposé par l’usage).
Source : Lexique de sociologie, Dalloz
Valeurs ultimes et idéaux d’une culture. Ensemble des traits culturels caractéristiques d’un groupe. Nombreuses nuances sur ce fonds commun. Certains insistent sur l’émotivité, d’autres sur les objectifs, les motivations ou l’influence sur le comportement individuel.
Ethos de classe : expression utilisée pour caractériser les valeurs, conduites, déterminant les membres d’une classe sociale (cf. Bourdieu).
Source : Lexique des sciences sociales
Dans un premier sens, ethos peut être opposé à éthique. Le terme désigne alors les principes ou valeurs à l’état pratique, la forme intériorisée et non consciente de la morale qui règle la conduite quotidienne. A l’inverse, « lorsque l’ethos se déploie en discours », l’éthique est définie comme la morale sous sa forme théorique, explicite et systématisée.
Dans une autre perspective, ethos désigne l’ensemble des caractéristiques culturelles et des valeurs sociales qui donnent un caractère commun à un groupe d’individus d’une même société. Ainsi, chez l’anthropologue Gregory Bateson, il signifie « l’expression d’un système normalisé d’attitudes affectives » et traduit l’affect d’une culture (cf. La Cérémonie du Naven, trad. fr., Paris, Minuit, 1971, 1re éd. 1936). Le terme est alors à rapprocher de la notion de personnalité de base.
Enfin, ethos est également employé dans un sens proche de sa signification étymologique : comportement habituel d’une personne ou d’un animal.
Source : Dictionnaire de sociologie, Gilles Ferréol
En complément la définition donnée par Michel de Coster dans son Traité de sociologie du travail :
l’ethos est un système de croyances, valeurs, normes et modèles qui constitue le cadre de référence du comportement individuel et de l’action sociale au sein d’une collectivité définie. Ce système est un produit socio-historique.
Enfin, pour Georgiana Burbea, l’ethos se définit comme l’image que le locuteur donne de lui-même dans son discours pour assurer son efficacité. Dans son article L’ethos ou la construction de l’identité dans le discours, elle analyse un discours de François Hollande en 2012, à qui elle attribue un ethos « de neutralité » :
« La Direction générale de l’armement a subi des réductions importantes d’effectifs, ce qui prive l’Etat des moyens de construire et d’animer correctement une politique industrielle ».
Le candidat du Parti Socialiste réactualise la doxa de l’auditoire […] d’une manière objective et avec une attitude d’éloignement des arguments exposés.
Un trait important dans la construction de l’ethos de neutralité est la présence des rapports logiques qui s’établissent entre les arguments employés et qui sont bien marqués au niveau discursif par des connecteurs logiques. Dans l’extrait appartenant à Hollande, ce n’est pas par un connecteur logique qu’on exprime le rapport cause-effet, mais par l’intermédiaire du pronom relatif, qui sert à introduire une relative explicative (appositive) avec une nuance causale.
Au début de l’extrait, on remarque le verbe « a subi » qui sert à relater au destinataire un phénomène social et économique négatif. Comme dans les autres exemples, l’énonciateur refuse d’adresser des accusations aux coupables, en se contentant de décrire le phénomène avec une attitude voulue de neutralité. Cette attitude discursive de neutralité vient en contraste avec la stratégie de l’attaque à la personne, qui est très courante d’ailleurs dans le discours politique.
Bref, Hollande a opté dans cette séquence discursive pour un ethos de neutralité, qui vise à diriger l’attention de ses destinataires vers le contenu de son discours. La préférence de l’orateur pour le concret est présente aussi dans ce discours, où l’argumentation repose surtout sur la présentation fidèle des faits.
Pour clore ce point, on peut dire que l’ethos de neutralité requiert une expression objective et une attitude d’écart vis-à-vis des arguments. L’enjeu d’un ethos de neutralité dans le discours politique est décrit par Charaudeau de la manière suivante : « « Neutralité », « impartialité appartiennent à la catégorie de ces « mots magiques » qui « ont force de loi » « sur le marché des valeurs sociales du signe » et « ne souffrent pas de remise en cause ni d’élucidation » » (1992 : 107-108).
L’ethos de neutralité peut démasquer une attitude critique de la part de l’orateur, mais cette attitude critique ne vise pas une cible concrète ou les adversaires de l’orateur, comme c’est le cas de l’ethos basé par exemple sur l’argument ad hominem. Bien au contraire, l’ethos de neutralité demande une attitude discursive détachée, où l’orateur devient un raconter de vérités, et non pas un accusateur.
Nos recherches ne nous ont pas permis de retrouver l’émission de radio que vous avez écoutée, nous ne pouvons donc pas vous donner beaucoup plus de précisions sur l’ethos de François Hollande tel qu’il y a été débattu… En revanche voici quelques documents qui vous permettront d’approfondir le concept d’ethos en général, et de l’ethos dans le discours politique en particulier :
- Le concept d’ethos. De ses usages classiques à un usage renouvelé, Bernard Fusulier, publié en 2011 dans la revue sur les recherches sociologiques et anthropologiques RSA.
- Éthos et interaction : analyse du débat politique Hollande-Sarkozy, Marion Sandré, Langage et Société n°149, mars 2014 (consultable sur Cairn)
- La parole politique à la télévision : du logos à l’ethos, Guy Lochard, Jean-Claude Soulages, Réseaux n°118 de février 2003 (consultable sur Cairn)
Bonne journée.
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