Question d'origine :
Bonjour,
J'ai du mal a saisir le sens de cette citation.
"La foi sauve, donc elle ment."
(Friedrich Nietzsche / L'Antéchrist /1888)
Merci
Cordialement
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 15/01/2016 à 13h40
Bonjour,
L’antéchrist « est une attaque d’une extrême violence contre le christianisme dans laquelle Nietzsche rassemble toutes ses critiques antérieures » […]. « Inspirant à l’homme l’aversion de sa nature, minant tout ce qui était réussite du corps et de l’esprit, il [le christianisme] a été la corruption de l’humanité » P. Champromis, Les œuvres philosophiques. Dictionnaire.
En replaçant votre citation dans son contexte, l’aphorisme 50 de L’Antéchrist, Friedrich Nietzsche, p. 84-85, on peut déjà mieux comprendre que Nietzsche montre ici le manque de logique de l’affirmation du prêtre : « La foi sauve, donc elle est vraie » et en arrive à la retourner complètement.
Olivier Ponton dans Nietzsche-Philosophie de la légèreté, p. 114-115 en donne une bonne explication de texte : « Nietzsche démonte point par point le mécanisme de falsification de la pensée, et démontre l’ « impureté » logique d’une telle preuve. » (voir dans la suite l’analyse de la méthode de Nietzsche).
André Comte-Sponville affectionne cette citation et l’explique simplement, bien que sans doute plus pour servir son propre propos que pour nous éclairer sur la pensée de Nietzsche, mais il a le mérite d’être clair :
« Or, que nous dit la religion, spécialement chrétienne? Que nous ne mourons pas, ou pas vraiment, ou que nous allons essusciter; que nous retrouverons en conséquence les êtres chers que nous avons perdus; que la justice et la paix l'emporteront au bout du compte; enfin que nous sommes d'ores et déjà aimés d'un amour infini... Que demander de plus ? Rien, bien sûr! C'est justement ce qui rend la religion suspecte : c'est trop beau, comme on dit, pour être vrai! C'est l'argument de Freud, dans L'Avenir d'une illusion : « Il serait certes très beau qu'il y eût un Dieu créateur du monde et une Providence pleine de bonté, un ordre moral de l'univers et une vie après la mort, mais il est cependant très curieux que tout cela soit exactement ce que nous pourrions nous souhaiter à nous-même. » C'était déjà l'argument de Nietzsche, dans L'Antéchrist : « La foi sauve, donc elle ment. » Dieu est trop désirable pour être vrai; la religion, trop réconfortante pour être crédible »
L’esprit de l’athéisme, Introduction à une spiritualité sans Dieu, p. 6 du PDF en ligne, ou à lire à la BML
Il reprend la citation dans Présentations de la philosophie, extrait en ligne sur Google Livres , avec la même explication et en prime une petite métaphore immobilière.
Dans «La psychologie de la foi » chez Nietzsche : L’Antéchrist & 50, Revue philosophique de la France et de l’étranger, 2006/4, Eric Blondel nous donne une explication plus détaillée qui éclaire sur les implications de cet aphorisme dans le cadre de la pensée de Nietzsche et de sa déconstruction des idéologies. Le texte est consultable à la BML sur la base Cairn, en voici quelques extraits :
« La foi n’est pas dénoncée comme fausse, mais comme « indécente » : c’est un manque de goût, d’équilibre, de manières et de santé dans l’ordre des instincts, c’est une illusion due au déséquilibre physiologique. Ce n’est pas une erreur, c’est un « mensonge », en ce sens que mentir vise à réaliser certains désirs et à satisfaire certains intérêts pulsionnels. [ …]
« Il faut répéter que le terme de « mensonge » vaut ici non seulement comme terme polémique, mais essentiellement comme mot clé généalogique : refus de la vérité en vue de la satisfaction de certains instincts, comportement d’ordre psychologique et physiologique enraciné dans les affects, dans les intérêts, donc symptôme d’une forme de maladie du corps. Le mensonge, en un mot – c’est l’un des grands principes de la généalogie –, est une certaine manifestation de la volonté de puissance, il exprime (au sens généalogique) certains affects et prend son origine dans une typologie pulsionnelle. Dans une phrase qui pourrait trouver son équivalent en termes analogues chez Freud, Nietzsche écrit : « J’appelle mensonge : refuser de voir ce qu’on voit » » [ …]
« La « vérité » de l’idéalisme est le mensonge qui fausse et nie la vérité tragique de la réalité, insoutenable, énigmatique, éclatée, chaotique, plurielle, sans fondement, contradictoire, irrationnelle, abyssale, meurtrière et destructrice de l’homme et de sa « paix ». « “La vérité est là” : dès que l’on entend cela, cela signifie que le prêtre ment » (An, § 55, in fine) : entendons par « prêtre » tout individu, toute entité ou groupe idéologiquement dominants, donc l’idéologie dominante tout court. »
Pour Nietzsche, le christianisme a donc condamné la vie et sa tragédie au lieu de l’affirmer. Il a inventé des « fictions » (culpabilité, salut, péché) pour mettre la vie même en accusation, dans l’incapacité de supporter la réalité dans sa vérité nue.
On retrouve cette idée dans un blog d’initiation à la philosophie sur la page Cycle Nietzsche :
« D’ailleurs, Nietzsche distingue une relation étroite entre la négation du réel et l’idéal. C’est à partir d’une condamnation de la réalité qu’une idéologie se présente comme la solution aux maux dont elle fait l’énoncé, en proposant un au-delà hypothétique : « Pour quoi faire un au-delà si ce n’était un moyen de souiller l’ici-bas ? » (Le Crépuscule des idoles – Nietzsche). »
C’est une dénonciation que Nietzsche reprend très souvent, dans sa volonté de se libérer de la morale pour une affirmation de la vie, « par delà le bien et le mal » :
« "Aucun Dieu n'est mort pour le rachat de nos péchés ; il n'y a pas de salut par la foi ; pas de résurrection après la mort tout cela ce sont les fausses monnaies du christianisme véritable et ces malheureux cerveaux brûlés sont responsables de cette supercherie." »
(Friedrich Nietzsche / 1844-1900 / La Volonté de puissance / 1884)
Pour approfondir :
Apprendre à philosopher avec Nietzsche, Olivia Bianchi
Comprendre Nietzsche; Jean Lefranc
Bonnes lectures !
L’antéchrist « est une attaque d’une extrême violence contre le christianisme dans laquelle Nietzsche rassemble toutes ses critiques antérieures » […]. « Inspirant à l’homme l’aversion de sa nature, minant tout ce qui était réussite du corps et de l’esprit, il [le christianisme] a été la corruption de l’humanité » P. Champromis, Les œuvres philosophiques. Dictionnaire.
En replaçant votre citation dans son contexte, l’aphorisme 50 de L’Antéchrist, Friedrich Nietzsche, p. 84-85, on peut déjà mieux comprendre que Nietzsche montre ici le manque de logique de l’affirmation du prêtre : « La foi sauve, donc elle est vraie » et en arrive à la retourner complètement.
Olivier Ponton dans Nietzsche-Philosophie de la légèreté, p. 114-115 en donne une bonne explication de texte : « Nietzsche démonte point par point le mécanisme de falsification de la pensée, et démontre l’ « impureté » logique d’une telle preuve. » (voir dans la suite l’analyse de la méthode de Nietzsche).
André Comte-Sponville affectionne cette citation et l’explique simplement, bien que sans doute plus pour servir son propre propos que pour nous éclairer sur la pensée de Nietzsche, mais il a le mérite d’être clair :
« Or, que nous dit la religion, spécialement chrétienne? Que nous ne mourons pas, ou pas vraiment, ou que nous allons essusciter; que nous retrouverons en conséquence les êtres chers que nous avons perdus; que la justice et la paix l'emporteront au bout du compte; enfin que nous sommes d'ores et déjà aimés d'un amour infini... Que demander de plus ? Rien, bien sûr! C'est justement ce qui rend la religion suspecte : c'est trop beau, comme on dit, pour être vrai! C'est l'argument de Freud, dans L'Avenir d'une illusion : « Il serait certes très beau qu'il y eût un Dieu créateur du monde et une Providence pleine de bonté, un ordre moral de l'univers et une vie après la mort, mais il est cependant très curieux que tout cela soit exactement ce que nous pourrions nous souhaiter à nous-même. » C'était déjà l'argument de Nietzsche, dans L'Antéchrist : « La foi sauve, donc elle ment. » Dieu est trop désirable pour être vrai; la religion, trop réconfortante pour être crédible »
L’esprit de l’athéisme, Introduction à une spiritualité sans Dieu, p. 6 du PDF en ligne, ou à lire à la BML
Il reprend la citation dans Présentations de la philosophie, extrait en ligne sur Google Livres , avec la même explication et en prime une petite métaphore immobilière.
Dans «La psychologie de la foi » chez Nietzsche : L’Antéchrist & 50, Revue philosophique de la France et de l’étranger, 2006/4, Eric Blondel nous donne une explication plus détaillée qui éclaire sur les implications de cet aphorisme dans le cadre de la pensée de Nietzsche et de sa déconstruction des idéologies. Le texte est consultable à la BML sur la base Cairn, en voici quelques extraits :
« La foi n’est pas dénoncée comme fausse, mais comme « indécente » : c’est un manque de goût, d’équilibre, de manières et de santé dans l’ordre des instincts, c’est une illusion due au déséquilibre physiologique. Ce n’est pas une erreur, c’est un « mensonge », en ce sens que mentir vise à réaliser certains désirs et à satisfaire certains intérêts pulsionnels. [ …]
« Il faut répéter que le terme de « mensonge » vaut ici non seulement comme terme polémique, mais essentiellement comme mot clé généalogique : refus de la vérité en vue de la satisfaction de certains instincts, comportement d’ordre psychologique et physiologique enraciné dans les affects, dans les intérêts, donc symptôme d’une forme de maladie du corps. Le mensonge, en un mot – c’est l’un des grands principes de la généalogie –, est une certaine manifestation de la volonté de puissance, il exprime (au sens généalogique) certains affects et prend son origine dans une typologie pulsionnelle. Dans une phrase qui pourrait trouver son équivalent en termes analogues chez Freud, Nietzsche écrit : « J’appelle mensonge : refuser de voir ce qu’on voit » » [ …]
« La « vérité » de l’idéalisme est le mensonge qui fausse et nie la vérité tragique de la réalité, insoutenable, énigmatique, éclatée, chaotique, plurielle, sans fondement, contradictoire, irrationnelle, abyssale, meurtrière et destructrice de l’homme et de sa « paix ». « “La vérité est là” : dès que l’on entend cela, cela signifie que le prêtre ment » (An, § 55, in fine) : entendons par « prêtre » tout individu, toute entité ou groupe idéologiquement dominants, donc l’idéologie dominante tout court. »
Pour Nietzsche, le christianisme a donc condamné la vie et sa tragédie au lieu de l’affirmer. Il a inventé des « fictions » (culpabilité, salut, péché) pour mettre la vie même en accusation, dans l’incapacité de supporter la réalité dans sa vérité nue.
On retrouve cette idée dans un blog d’initiation à la philosophie sur la page Cycle Nietzsche :
« D’ailleurs, Nietzsche distingue une relation étroite entre la négation du réel et l’idéal. C’est à partir d’une condamnation de la réalité qu’une idéologie se présente comme la solution aux maux dont elle fait l’énoncé, en proposant un au-delà hypothétique : « Pour quoi faire un au-delà si ce n’était un moyen de souiller l’ici-bas ? » (Le Crépuscule des idoles – Nietzsche). »
C’est une dénonciation que Nietzsche reprend très souvent, dans sa volonté de se libérer de la morale pour une affirmation de la vie, « par delà le bien et le mal » :
« "Aucun Dieu n'est mort pour le rachat de nos péchés ; il n'y a pas de salut par la foi ; pas de résurrection après la mort tout cela ce sont les fausses monnaies du christianisme véritable et ces malheureux cerveaux brûlés sont responsables de cette supercherie." »
(Friedrich Nietzsche / 1844-1900 / La Volonté de puissance / 1884)
Pour approfondir :
Apprendre à philosopher avec Nietzsche, Olivia Bianchi
Comprendre Nietzsche; Jean Lefranc
Bonnes lectures !
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