Question d'origine :
Bonjour, je voudrai savoir si, au cours de l'histoire, les peuples qui nous ont précédé ont été, eux aussi, soumis à l'usage d'un crédit immobilier s'ils souhaitaient bâtir une maison. Je parle ici de familles appartenant au prolétariat, au peuple. Le crédit immobilier a-t-il des antécédents au cours de notre histoire, pendant l'Antiquité, le Moyen-Age, etc.
J'essai sans succès de trouver réponse à cette question sur internet.
Merci et continuez votre excellent travail !...
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 28/01/2016 à 16h59
Bonjour,
Le crédit semble attesté depuis la nuit des temps, comme en témoigne la définition de Louis Baudin dans un livre de 1934 (ce qui explique sans doute le ton un peu lyrique du propos …), Le crédit :
« Dès que le temps s’infiltre dans une opération d’échange, il y a crédit : « Prête-moi ton arc, je t’apporterai du gibier. » La dualité apparaît : cession du bien, délai nécessaire à la réalisation parfaite de l’échange. L’acte se dissocie ; la prestation est immédiate, la contre-prestation se trouve rejetée à une date ultérieure. En termes d’économie moderne, on dit que le paiement est différé. Et ce retard n’a rien d’arbitraire, puisque c’est lui qui permet à l’échange d’aboutir. La prestation sert à obtenir la contre-prestation. Le temps n’est pas un élément accessoire, surajouté, il entre dans l’opération, il en est l’essence. Il devient, dans la formule des transactions, la plus inquiétante des variables. » (Lire la suite sur la page Louis Baudin. Le crédit).
Mais par ailleurs : « Faute de système bancaire suffisant, le crédit immobilier n'a vraiment pris son essor qu'au XIXe siècle lors des opérations de promotion qui ont nourri la bulle immobilière des années 1860 et le krach qui a suivi » (article Crédit immobilier sur Wikipedia).
Nous n’avons en effet pas trouvé trace, dans les autres ouvrages consultés d’histoire économique, d’histoire de la propriété, ou d’histoire du logement, de crédit immobilier proprement dit auparavant.
Tout juste dans Histoire de la finance, Loïc Belze rapproche-t-il le crédit du sacrifice (p. 17) et y lie la fondation d’une maison :
« On trouve dans toutes les civilisations archaïques une offrande en terme de libation. Ainsi, l’homme de l’Inde primitive verse la graisse qui ravive la flamme et le crédit attendu d’Agni, le Dieu du feu ; il cuit, avec le feu sacré, les briques de l’autel du sacrifice et celles de sa maison en particulier. Cette opération, que l’on retrouve dans la civilisation latine, s’exprime en latin par le verbe fundere, d’où dérivent fundus, le fonds de terre, et plus tard le fond financier, funds et le crédit fund anglais, les fonds propres des entreprises modernes […]. Historiquement, le territoire participe du registre de l’alliance non plus seulement avec les divinités, mais aussi avec les seigneurs, les rois, les abbayes, pacte inégalitaire entre le fort qui protège et le faible en demande de sécurité, constituant par là même un modèle spécifiquement financier. »
Si il évoque ensuite des prêts dés l’Antiquité, il ne s’agit pas d’immobilier :
« La première crise d’endettement :
Sparte apporte une solution radicale au problème avec la redistribution des terres en lots égaux vers 700. Partout ailleurs, la pauvreté contraint les petits paysans à emprunter aux plus riches d’entre eux, avec remboursement prévu en nature. Mais qu’une mauvaise récolte survienne et, ce remboursement devenant impossible, la dette s’alourdit jusqu’à ce que le débiteur soit dans l’obligation de travailler ses terres et celles de son prêteur pour le bénéfice de ce dernier. On débouche alors sur un véritable esclavage pour cause de surendettement […]. ».
Et on voit aussi dans cet ouvrage que dans l’Antiquité, les banques prêtent surtout aux riches, et les riches se prêtent entre eux. « Si les activités de prêt sont importantes et diversifiées, il semble qu’elles restent étroitement liées à la richesse d’une élite tirant l’essentiel de ses revenus de la terre. ».
« Si l'on excepte les cas tardifs et exceptionnels de quelques très grandes villes comme Alexandrie ( ?), Rome et Ostie, où des maisons à appartements ont existé, la maison, à Rome comme en Grèce, est individuelle (oïcos ou oïkia en Grèce, domus en Italie) : elle abrite une cellule familiale, élargie d'habitude à certains proches parents et entourée d'un plus ou moins grand nombre d'esclaves ou de serviteurs ; cette maisonnée est dirigée par le père de famille, qui dispose seul des droits politiques et civils. Ainsi la maison antique apparaît-elle comme l'expression architecturale de l'autonomie et de la prépondérance politique et sociale du citoyen. Dans le domaine de l'habitat comme en bien d'autres, nous ne percevons presque jamais que ce qui concerne cette minorité privilégiée. »
Habitat. L’habitat gréco-romain, Encyclopédie Universalis, extrait en ligne
« Les paysans ne possèdent généralement que des cabanes en pierre ou en torchis, sans fenêtres, dont le toit est en chaume. La population plus aisée dispose, quant à elle, d'une salle centrale et de deux chambres à coucher. Quant aux plus riches, leur nombre de pièces dépasse la dizaine… »
Olympos, la Grèce antique – Maison
En ville, les plus pauvres louent les derniers étages des « insulae »
Au Moyen-âge, il semble qu’en ville les pauvres soient aussi essentiellement locataires : voir
Vivre en ville au Moyen-âgeJean-Pierre Leguay, p. 84 et suivantes, en ligne sur Google Livres.
Quant aux paysans, pour simplifier (beaucoup), on peut dire qu’ils dépendent le plus souvent d’un seigneur : voir l’ouvrage L’histoire de la finance précédemment cité, p. 74-88. Par ailleurs la condamnation de l’usure par le christianisme freine le crédit tel que nous le connaissons.
Sous l’Ancien régime, si « l’endettement des ruraux comme celui des citadins est [un] trait omniprésent », il s’agit essentiellement d’assurer sa subsistance, ou de payer son loyer, comme on peut le constater à la lecture de L’économie morale. Pauvreté, crédit et confiance dans l’Europe préindustrielle, Laurence Fontaine.
Il faudra donc attendre le XIXe et la révolution industrielle pour que l’accession des pauvres au logement devienne un vrai sujet et que se développent des politiques et des systèmes en ce sens.
Voir l’article Historique du logement social en France, Wikipedia.
« Un des signes les plus pénibles de la condition ouvrière reste le logement, qui distingue nettement l'ouvrier du reste de la société. Ce logement, mal éclairé, sans hygiène et assorti d'un nombre dérisoire de meubles, est exigu (le quart des ouvriers parisiens vit dans une seule pièce) et mal équipé, ce qui contraint encore souvent à réchauffer ses aliments à la gargote.
Et pourtant ces logements sordides sont chers (plus de 20% de hausse à Paris entre 1900 et 1913), car il existe une véritable crise du logement populaire. […]. C'est seulement en 1894, avec la loi Siegfried qui crée les habitations à bon marché, que l'État commence par des encouragements fiscaux à intervenir dans le logement social. Mais elles restent gérées par le privé, et il faut attendre 1912 pour que les municipalités encouragent la construction locative et que soient mis en place les offices publics d'HBM. Pour une autre grande partie de la classe ouvrière, celle qui habite les cités ouvrières des "villes-usines", l'horizon est différent. Les grandes compagnies minières et métallurgiques construisent des cités dans lesquelles le patronat aide les ouvriers à devenir progressivement propriétaire d'une maisonnette et d'un bout de jardin. Cet enracinement progressif est voulu par les entreprises pour fixer une main d'oeuvre volatile. L'acquisition lente d'une maison participe de toute une politique de contrôle social paternaliste qui prend en charge l'ouvrier, lui "offre" une école et une église, des moyens de promotion interne (le fils d'un ouvrier Schneider peut devenir ingénieur Schneider grâce aux seules écoles Schneider), subventionne les associations sportives et culturelles, et un système de retraites lié à une caisse d'entreprise gérée par le patronat. Si l'ouvrier quitte ce cadre, il perd tout. »
Source : La condition ouvrière au XIXe siècle
Voir aussi :
Un monumental ouvrage sur l’accession à la propriété, recension du livre « L’accession à la propriété du logement ».
Pour une histoire sociale du crédit. L’exemple du logement en Europe au XIXe siècle, Michel Lescure, Nouvelles approches en histoire économique, 23/2001
Une histoire de la propriété, Marianne Béraud, recension du livre Penser la propriété, Peter Garnsey
Sociologie du logement, Yankel Fijalkow
Histoire de la construction moderne et contemporaine, , p. 241 et suivantes
Bonnes lectures !
Le crédit semble attesté depuis la nuit des temps, comme en témoigne la définition de Louis Baudin dans un livre de 1934 (ce qui explique sans doute le ton un peu lyrique du propos …), Le crédit :
« Dès que le temps s’infiltre dans une opération d’échange, il y a crédit : « Prête-moi ton arc, je t’apporterai du gibier. » La dualité apparaît : cession du bien, délai nécessaire à la réalisation parfaite de l’échange. L’acte se dissocie ; la prestation est immédiate, la contre-prestation se trouve rejetée à une date ultérieure. En termes d’économie moderne, on dit que le paiement est différé. Et ce retard n’a rien d’arbitraire, puisque c’est lui qui permet à l’échange d’aboutir. La prestation sert à obtenir la contre-prestation. Le temps n’est pas un élément accessoire, surajouté, il entre dans l’opération, il en est l’essence. Il devient, dans la formule des transactions, la plus inquiétante des variables. » (Lire la suite sur la page Louis Baudin. Le crédit).
Mais par ailleurs : « Faute de système bancaire suffisant, le crédit immobilier n'a vraiment pris son essor qu'au XIXe siècle lors des opérations de promotion qui ont nourri la bulle immobilière des années 1860 et le krach qui a suivi » (article Crédit immobilier sur Wikipedia).
Nous n’avons en effet pas trouvé trace, dans les autres ouvrages consultés d’histoire économique, d’histoire de la propriété, ou d’histoire du logement, de crédit immobilier proprement dit auparavant.
Tout juste dans Histoire de la finance, Loïc Belze rapproche-t-il le crédit du sacrifice (p. 17) et y lie la fondation d’une maison :
« On trouve dans toutes les civilisations archaïques une offrande en terme de libation. Ainsi, l’homme de l’Inde primitive verse la graisse qui ravive la flamme et le crédit attendu d’Agni, le Dieu du feu ; il cuit, avec le feu sacré, les briques de l’autel du sacrifice et celles de sa maison en particulier. Cette opération, que l’on retrouve dans la civilisation latine, s’exprime en latin par le verbe fundere, d’où dérivent fundus, le fonds de terre, et plus tard le fond financier, funds et le crédit fund anglais, les fonds propres des entreprises modernes […]. Historiquement, le territoire participe du registre de l’alliance non plus seulement avec les divinités, mais aussi avec les seigneurs, les rois, les abbayes, pacte inégalitaire entre le fort qui protège et le faible en demande de sécurité, constituant par là même un modèle spécifiquement financier. »
Si il évoque ensuite des prêts dés l’Antiquité, il ne s’agit pas d’immobilier :
« La première crise d’endettement :
Sparte apporte une solution radicale au problème avec la redistribution des terres en lots égaux vers 700. Partout ailleurs, la pauvreté contraint les petits paysans à emprunter aux plus riches d’entre eux, avec remboursement prévu en nature. Mais qu’une mauvaise récolte survienne et, ce remboursement devenant impossible, la dette s’alourdit jusqu’à ce que le débiteur soit dans l’obligation de travailler ses terres et celles de son prêteur pour le bénéfice de ce dernier. On débouche alors sur un véritable esclavage pour cause de surendettement […]. ».
Et on voit aussi dans cet ouvrage que dans l’Antiquité, les banques prêtent surtout aux riches, et les riches se prêtent entre eux. « Si les activités de prêt sont importantes et diversifiées, il semble qu’elles restent étroitement liées à la richesse d’une élite tirant l’essentiel de ses revenus de la terre. ».
« Si l'on excepte les cas tardifs et exceptionnels de quelques très grandes villes comme Alexandrie ( ?), Rome et Ostie, où des maisons à appartements ont existé, la maison, à Rome comme en Grèce, est individuelle (oïcos ou oïkia en Grèce, domus en Italie) : elle abrite une cellule familiale, élargie d'habitude à certains proches parents et entourée d'un plus ou moins grand nombre d'esclaves ou de serviteurs ; cette maisonnée est dirigée par le père de famille, qui dispose seul des droits politiques et civils. Ainsi la maison antique apparaît-elle comme l'expression architecturale de l'autonomie et de la prépondérance politique et sociale du citoyen. Dans le domaine de l'habitat comme en bien d'autres, nous ne percevons presque jamais que ce qui concerne cette minorité privilégiée. »
Habitat. L’habitat gréco-romain, Encyclopédie Universalis, extrait en ligne
« Les paysans ne possèdent généralement que des cabanes en pierre ou en torchis, sans fenêtres, dont le toit est en chaume. La population plus aisée dispose, quant à elle, d'une salle centrale et de deux chambres à coucher. Quant aux plus riches, leur nombre de pièces dépasse la dizaine… »
Olympos, la Grèce antique – Maison
En ville, les plus pauvres louent les derniers étages des « insulae »
Au Moyen-âge, il semble qu’en ville les pauvres soient aussi essentiellement locataires : voir
Vivre en ville au Moyen-âgeJean-Pierre Leguay, p. 84 et suivantes, en ligne sur Google Livres.
Quant aux paysans, pour simplifier (beaucoup), on peut dire qu’ils dépendent le plus souvent d’un seigneur : voir l’ouvrage L’histoire de la finance précédemment cité, p. 74-88. Par ailleurs la condamnation de l’usure par le christianisme freine le crédit tel que nous le connaissons.
Sous l’Ancien régime, si « l’endettement des ruraux comme celui des citadins est [un] trait omniprésent », il s’agit essentiellement d’assurer sa subsistance, ou de payer son loyer, comme on peut le constater à la lecture de L’économie morale. Pauvreté, crédit et confiance dans l’Europe préindustrielle, Laurence Fontaine.
Il faudra donc attendre le XIXe et la révolution industrielle pour que l’accession des pauvres au logement devienne un vrai sujet et que se développent des politiques et des systèmes en ce sens.
Voir l’article Historique du logement social en France, Wikipedia.
« Un des signes les plus pénibles de la condition ouvrière reste le logement, qui distingue nettement l'ouvrier du reste de la société. Ce logement, mal éclairé, sans hygiène et assorti d'un nombre dérisoire de meubles, est exigu (le quart des ouvriers parisiens vit dans une seule pièce) et mal équipé, ce qui contraint encore souvent à réchauffer ses aliments à la gargote.
Et pourtant ces logements sordides sont chers (plus de 20% de hausse à Paris entre 1900 et 1913), car il existe une véritable crise du logement populaire. […]. C'est seulement en 1894, avec la loi Siegfried qui crée les habitations à bon marché, que l'État commence par des encouragements fiscaux à intervenir dans le logement social. Mais elles restent gérées par le privé, et il faut attendre 1912 pour que les municipalités encouragent la construction locative et que soient mis en place les offices publics d'HBM. Pour une autre grande partie de la classe ouvrière, celle qui habite les cités ouvrières des "villes-usines", l'horizon est différent. Les grandes compagnies minières et métallurgiques construisent des cités dans lesquelles le patronat aide les ouvriers à devenir progressivement propriétaire d'une maisonnette et d'un bout de jardin. Cet enracinement progressif est voulu par les entreprises pour fixer une main d'oeuvre volatile. L'acquisition lente d'une maison participe de toute une politique de contrôle social paternaliste qui prend en charge l'ouvrier, lui "offre" une école et une église, des moyens de promotion interne (le fils d'un ouvrier Schneider peut devenir ingénieur Schneider grâce aux seules écoles Schneider), subventionne les associations sportives et culturelles, et un système de retraites lié à une caisse d'entreprise gérée par le patronat. Si l'ouvrier quitte ce cadre, il perd tout. »
Source : La condition ouvrière au XIXe siècle
Voir aussi :
Un monumental ouvrage sur l’accession à la propriété, recension du livre « L’accession à la propriété du logement ».
Pour une histoire sociale du crédit. L’exemple du logement en Europe au XIXe siècle, Michel Lescure, Nouvelles approches en histoire économique, 23/2001
Une histoire de la propriété, Marianne Béraud, recension du livre Penser la propriété, Peter Garnsey
Sociologie du logement, Yankel Fijalkow
Histoire de la construction moderne et contemporaine, , p. 241 et suivantes
Bonnes lectures !
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