Bible
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 11/03/2016 à 11h00
236 vues
Question d'origine :
La bible réservée aux clercs ? au Moyen-âge ? après la Réforme ? et jusqu'à quand ?
Réponse du Guichet

Bonjour,
En effet, avant l’invention de l’imprimerie, peu de laïcs pouvaient accéder directement au texte de la Bible : le nombre limité de copies, et le problème épineux de la traduction, ne permettaient pas une diffusion populaire du texte écrit à vaste échelle en langue vernaculaire, hors du contrôle de l’Eglise...
Dans son article Deux moments-clés dans l’histoire de la traduction biblique, Nicole Gueunier revient sur les principales étapes de l’histoire de la traduction de la Bible :
L’histoire de la traduction biblique a connu de nombreux «moments-clés» […]. On citera seulement, en Occident et pour la Bible juive, la version grecque dite des «Septante» (LXX), produite en milieu juif hellénisé d’Égypte aux iiie-iie siècles av. J.-C., refusée par le judaïsme rabbinique au profit de celle d’Aquila (iie siècle ap. J.-C.), beaucoup plus littérale par rapport au texte hébraïque. Déjà un premier problème de traduction: la meilleure est-elle «sourcière» (Aquila) ou plutôt «cibliste» (la LXX)? Terminologie contemporaine (elle date du xxe siècle), mais question déjà bien connue, hors Écritures Saintes, chez les écrivains latins traducteurs des auteurs grecs. Surtout dans le judaïsme dès l’époque préchrétienne, quand la langue sacrée, l’hébreu, devient incompréhensible au peuple, le rite cultuel en conserve la forme. Mais dans les synagogues, c’est en araméen qu’à la suite de la lecture du texte biblique en hébreu, les targumim délivrent le message présenté comme une reformulation incluant des commentaires interprétatifs.
Pour la Bible chrétienne, c’est-à-dire regroupant l’Ancien et le Nouveau Testament, à l’ensemble appelé «Vieille Latine» (fin du iie siècle apr. J.-C.), qui comprenait des éléments issus des Églises d’Afrique mais aussi de Rome, succéda l’œuvre de Jérôme (ive siècle apr. J.-C.) qui elle-même complétée et remaniée par ses disciples donna lieu à l’édition dite «Vulgate». Jérôme, qui avait utilisé les versions grecques et les commentaires des Pères qui les citaient, revendiqua hautement la veritas hebraica pour la traduction latine du Premier Testament. La Vulgate latine demeura jusqu’au xxe siècle le texte officiel de l’Église catholique de préférence aux versions en langues anciennes et aux traductions en langues «vulgaires» européennes, déjà présentes au Moyen Âge. Là se pose un autre problème de traduction qui va exploser à la Renaissance: quels sont les textes authentiques? Ceux des langues originelles, ceux de la langue officielle de l’institution ecclésiale? Quel statut accorder aux autres langues cibles, bientôt «nationales»? Problèmes qu’on retrouvera dans les deux moments-clés suivant: le xvie siècle et l’époque contemporaine (xixe-xxie siècles).
L’apparition de la Bible imprimée dans la langue courante, sous l’influence de la Réforme, constitue une véritable « révolution copernicienne » dans l’histoire de la spiritualité :
On ne saurait trop souligner l’importance historique immédiate de l’invention de Gutenberg pour l’étude de la Bible dans les trois langues anciennes – l’hébreu, le grec et le latin – qui l’avaient transmise aux communautés juives et chrétiennes. Cependant, dans l’histoire plus générale de la culture occidentale, son importance est encore infiniment plus grande : c’est en effet l’imprimerie qui fit de la Bible une force culturelle dans la vie courante des Européens puis d’autres sociétés, sur une échelle inconcevable ou impossible auparavant. Et cela fut, au moins au départ, l’œuvre de Martin Luther, savant bibliste et réformateur religieux – et réformateur de l’Eglise parce qu’il avait d’abord été un savant bibliste.
Luther traduisit le Nouveau Testament édité en grec par Erasme en moins de trois mois, l’édition étant prête pour septembre 1522. […]
Les prêches populaires à partir de la Bible, en croissance constante à partir du Moyen Âge tardif, la représentation détaillée d’épisodes de l’Ancien et du Nouveau Testament sur les vitraux et sur les fresques, les poèmes narratifs commençant avec Heliand et autres œuvres similaires : grâce à tous ces intermédiaires, la connaissance de la Bible au Moyen Âge avait certes été beaucoup plus vaste et profonde que la propagande protestante ne l’accorde généralement. Mais la Réforme entraîna un approfondissement croissant de la piété fondée sur la lecture de la Bible. La vie des saints et les innombrables jours de fête liés à leur commémoration, en particulier ceux qui étaient consacrés à la vie de la Vierge et à ses multiples légendes, firent progressivement place à une année liturgique et un calendrier conformés beaucoup plus directement par la Bible. On vit aussi se multiplier lors des baptêmes, à côté des noms de saints traditionnels, le choix de noms plus colorés et « exotiques » tirés de l’Ancien Testament : par exemple Abraham ou Josué pour les garçons, Noémie ou Sarah pour les filles.
Les mises en garde contre les dangers d’une lecture personnelle et directe de la Bible, hors du contrôle de l’Eglise et du clergé, firent place à des exhortations en sens contraire : il fallait désormais lire les Ecritures entre deux sermons publics, voire apporter le texte à l’église. (Mais ces interdits ou mises en garde pouvaient quelquefois paraître justifiés, avec l’apparition de nouvelles sectes procédant d’une lecture idiosyncratique de certains passages traduits) Les sources existantes nous donnent des informations occasionnelles sur la façon dont la foi, la vie et le langage de tous les jours étaient modelés par la connaissance de la Bible : il est difficile d’imaginer que tout cela aurait pu exister, si l’Ecriture n’avait pas été traduite et imprimée pour la consommation populaire.
Un des corollaires de l’impression de la Bible fut la croissance et l’amélioration de la prédication biblique. Que les fidèles apportassent ou non leur Bible personnelle à l’église, […] ils attendaient et exigeaient que le prédicateur appuyât son message sur des références constantes et précises à l’Ecriture sainte, références qu’ils pouvaient ensuite vérifier dans leur édition personnelle.
Source : A qui appartient la Bible ? Jaroslav Pelikan
Nous vous conseillons particulièrement, pour approfondir ce sujet, la lecture de l’ouvrage de Pierre Monat : L’Histoire de la Bible, qui replace la Bible dans son contexte historique, s'interrogeant notamment sur ses origines et sa transmission.
Pour aller plus loin :
- La Bible et l'histoire John Romer
- Comment la Bible est devenue un livre : la révolution de l'écriture et du texte dans l'ancien Israël, William M. Schniedewind
Bonne journée.
En effet, avant l’invention de l’imprimerie, peu de laïcs pouvaient accéder directement au texte de la Bible : le nombre limité de copies, et le problème épineux de la traduction, ne permettaient pas une diffusion populaire du texte écrit à vaste échelle en langue vernaculaire, hors du contrôle de l’Eglise...
Dans son article Deux moments-clés dans l’histoire de la traduction biblique, Nicole Gueunier revient sur les principales étapes de l’histoire de la traduction de la Bible :
L’histoire de la traduction biblique a connu de nombreux «moments-clés» […]. On citera seulement, en Occident et pour la Bible juive, la version grecque dite des «Septante» (LXX), produite en milieu juif hellénisé d’Égypte aux iiie-iie siècles av. J.-C., refusée par le judaïsme rabbinique au profit de celle d’Aquila (iie siècle ap. J.-C.), beaucoup plus littérale par rapport au texte hébraïque. Déjà un premier problème de traduction: la meilleure est-elle «sourcière» (Aquila) ou plutôt «cibliste» (la LXX)? Terminologie contemporaine (elle date du xxe siècle), mais question déjà bien connue, hors Écritures Saintes, chez les écrivains latins traducteurs des auteurs grecs. Surtout dans le judaïsme dès l’époque préchrétienne, quand la langue sacrée, l’hébreu, devient incompréhensible au peuple, le rite cultuel en conserve la forme. Mais dans les synagogues, c’est en araméen qu’à la suite de la lecture du texte biblique en hébreu, les targumim délivrent le message présenté comme une reformulation incluant des commentaires interprétatifs.
Pour la Bible chrétienne, c’est-à-dire regroupant l’Ancien et le Nouveau Testament, à l’ensemble appelé «Vieille Latine» (fin du iie siècle apr. J.-C.), qui comprenait des éléments issus des Églises d’Afrique mais aussi de Rome, succéda l’œuvre de Jérôme (ive siècle apr. J.-C.) qui elle-même complétée et remaniée par ses disciples donna lieu à l’édition dite «Vulgate». Jérôme, qui avait utilisé les versions grecques et les commentaires des Pères qui les citaient, revendiqua hautement la veritas hebraica pour la traduction latine du Premier Testament. La Vulgate latine demeura jusqu’au xxe siècle le texte officiel de l’Église catholique de préférence aux versions en langues anciennes et aux traductions en langues «vulgaires» européennes, déjà présentes au Moyen Âge. Là se pose un autre problème de traduction qui va exploser à la Renaissance: quels sont les textes authentiques? Ceux des langues originelles, ceux de la langue officielle de l’institution ecclésiale? Quel statut accorder aux autres langues cibles, bientôt «nationales»? Problèmes qu’on retrouvera dans les deux moments-clés suivant: le xvie siècle et l’époque contemporaine (xixe-xxie siècles).
L’apparition de la Bible imprimée dans la langue courante, sous l’influence de la Réforme, constitue une véritable « révolution copernicienne » dans l’histoire de la spiritualité :
On ne saurait trop souligner l’importance historique immédiate de l’invention de Gutenberg pour l’étude de la Bible dans les trois langues anciennes – l’hébreu, le grec et le latin – qui l’avaient transmise aux communautés juives et chrétiennes. Cependant, dans l’histoire plus générale de la culture occidentale, son importance est encore infiniment plus grande : c’est en effet l’imprimerie qui fit de la Bible une force culturelle dans la vie courante des Européens puis d’autres sociétés, sur une échelle inconcevable ou impossible auparavant. Et cela fut, au moins au départ, l’œuvre de Martin Luther, savant bibliste et réformateur religieux – et réformateur de l’Eglise parce qu’il avait d’abord été un savant bibliste.
Luther traduisit le Nouveau Testament édité en grec par Erasme en moins de trois mois, l’édition étant prête pour septembre 1522. […]
Les prêches populaires à partir de la Bible, en croissance constante à partir du Moyen Âge tardif, la représentation détaillée d’épisodes de l’Ancien et du Nouveau Testament sur les vitraux et sur les fresques, les poèmes narratifs commençant avec Heliand et autres œuvres similaires : grâce à tous ces intermédiaires, la connaissance de la Bible au Moyen Âge avait certes été beaucoup plus vaste et profonde que la propagande protestante ne l’accorde généralement. Mais la Réforme entraîna un approfondissement croissant de la piété fondée sur la lecture de la Bible. La vie des saints et les innombrables jours de fête liés à leur commémoration, en particulier ceux qui étaient consacrés à la vie de la Vierge et à ses multiples légendes, firent progressivement place à une année liturgique et un calendrier conformés beaucoup plus directement par la Bible. On vit aussi se multiplier lors des baptêmes, à côté des noms de saints traditionnels, le choix de noms plus colorés et « exotiques » tirés de l’Ancien Testament : par exemple Abraham ou Josué pour les garçons, Noémie ou Sarah pour les filles.
Les mises en garde contre les dangers d’une lecture personnelle et directe de la Bible, hors du contrôle de l’Eglise et du clergé, firent place à des exhortations en sens contraire : il fallait désormais lire les Ecritures entre deux sermons publics, voire apporter le texte à l’église. (Mais ces interdits ou mises en garde pouvaient quelquefois paraître justifiés, avec l’apparition de nouvelles sectes procédant d’une lecture idiosyncratique de certains passages traduits) Les sources existantes nous donnent des informations occasionnelles sur la façon dont la foi, la vie et le langage de tous les jours étaient modelés par la connaissance de la Bible : il est difficile d’imaginer que tout cela aurait pu exister, si l’Ecriture n’avait pas été traduite et imprimée pour la consommation populaire.
Un des corollaires de l’impression de la Bible fut la croissance et l’amélioration de la prédication biblique. Que les fidèles apportassent ou non leur Bible personnelle à l’église, […] ils attendaient et exigeaient que le prédicateur appuyât son message sur des références constantes et précises à l’Ecriture sainte, références qu’ils pouvaient ensuite vérifier dans leur édition personnelle.
Source : A qui appartient la Bible ? Jaroslav Pelikan
Nous vous conseillons particulièrement, pour approfondir ce sujet, la lecture de l’ouvrage de Pierre Monat : L’Histoire de la Bible, qui replace la Bible dans son contexte historique, s'interrogeant notamment sur ses origines et sa transmission.
- La Bible et l'histoire John Romer
- Comment la Bible est devenue un livre : la révolution de l'écriture et du texte dans l'ancien Israël, William M. Schniedewind
Bonne journée.
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter