Question d'origine :
S.V.P.
Pourriez vous m'aider à retrouver quelques renseignements concernant un jeune berger, à l'origine quasiment inculte, mais détecté comme super intelligent aux tests effectués à l'occasion du service militaire.
Ce dernier,à qui l'on a fait faire de longues et brillantes études, est allé jusqu'à un doctorat de sciences, si je me souviens bien ; bref, de berger, au départ, il devint professeur de faculté...itinéraire assez peu banal !
J'avais pris connaissance de cela , à la lecture de Paris-Match, vers 1969-1970 environ, de plus radios et télévision françaises en ont abondamment parlé à l'époque .
A tout hasard, si cela vous dit quelque chose ? L'idéal serait de solliciter le réseau des retraités de votre maison.pour de telles questions...dans tous les cas , je vous remercie par avance.
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 23/04/2015 à 12h55
Bonjour,
Il s’agit de Jean Frêne, « Le conscrit de Longes ». Son histoire a été remise à l’honneur en 2000 par son Université, Poitiers, au moment de la remise de la médaille d’or de Tribologie, consacrant sa recherche :
« Jean Frêne est un rescapé du système éducatif. Il n'a pas été un surdoué qui s'ignore mais il s'en fallut de peu. En 1961, Jean Frêne est un ouvrier agricole âgé de vingt ans. Il est appelé pour faire ses trois jours au service national, obtient 19/20 aux tests d'aptitude de l'armée. Ces bons résultats remontent jusqu'au ministère, Jean Frêne bénéficie d'un sursis et d'une bourse pour reprendre des études trop vite interrompues.
Il décroche son diplôme d'ingénieur Mécanique cinq ans plus tard et enchaîne sur un doctorat qui lui vaudra les félicitations du jury et la reconnaissance de ses pairs. »
(« De l’or au pied d’un grand Frêne »)
Hormis que cet exemple est considéré comme une étape clé dans la validation des tests de QI, ce type de récit entre dans la tradition de l’illettré savant, dont le berger est une figure récurrente :
« A la demande de son fils, Thomas [Platter] le père a commencé à écrire sa vie le 28 janvier 1572. Une telle entreprise semble paradoxale chez un homme tard venu à l'alphabétisation. Berger, chevrier, vacher dans son Valais natal, puis écolier gyrovague et mendiant dans toutes les Allemagnes, il n'a appris à lire et à écrire qu'à vingt ans passés. Ses années de formation se sont déroulées hors de l'écrit, dans la compagnie des bandes écolières et des oiseaux. C'est pourtant cet illettré durable qui rédige l'une des premières autobiographies écrites par un homme d'origine villageoise, sinon paysanne. Comment l'expliquer ?
S'il n'est entré qu'avec grand retard dans la culture de l'écrit, Thomas a ensuite brûlé les étapes, devenant très vite professeur d'hébreu, de grec et de latin, trois langues apprises dès qu'il eut conquis la lecture et l'écriture. La prédisposition autobiographique de Thomas puise pourtant à d'autres sources que ce don pour l'étude. Il a été berger. Or, comme le constate Daniel Fabre, c'est dans cet état que l'on rencontre "des autobiographies, plus précoces et plus nombreuses que pour tout autre métier" . Thomas Platter est le premier d'une imposante lignée qui comprend, pour s'en tenir à l'Ancien Régime, Pierre Prion, Jamerey-Duval, Jean-Baptiste Pollin, Uli Braker et beaucoup d'autres. Maître des marques, des comptes et du calendrier, le berger est la figure exemplaire de l' "illettré savant". Cette compétence professionnelle fonde les représentations lettrées des bergers, déchiffreurs experts des signes et des secrets, comme les pratiques d'écriture effectives (entre autres autobiographiques) de ceux qui ont connu la condition pastorale. »
(Roger Chartier, « Le geste autobiographique : Pourquoi et comment les XVe et XVIe siècles virent-ils une renaissance de l'écriture du moi ? Réponse avec la famille Platter », Le Monde, Vendredi 27 janvier 1995, p. 1)
Nous trouvons de nos jours un exemple iranien d’un berger kurde devenu docteur. Le Dr Tofy Mussivand, spécialiste de la chirurgie cardiaque a connu ce parcours, dont le récit est l’objet du film Un jeune berger devenu Roi des Cœurs, dans la série canadienne "Mémoire d’un pays", qui met en valeur le parcours méritant d’émigrés du monde entier.
Voir aussi :
Daniel Favre, « Le berger des signes » [accès payant]
« Sadam Al Hamdani, «illettré aux pieds nus» devenu poète », Nord Éclair, Jeudi 15 mai 2014, p. 2354.
« Marie Rouault le berger géologue »
Bonne journée.
Il s’agit de Jean Frêne, « Le conscrit de Longes ». Son histoire a été remise à l’honneur en 2000 par son Université, Poitiers, au moment de la remise de la médaille d’or de Tribologie, consacrant sa recherche :
« Jean Frêne est un rescapé du système éducatif. Il n'a pas été un surdoué qui s'ignore mais il s'en fallut de peu. En 1961, Jean Frêne est un ouvrier agricole âgé de vingt ans. Il est appelé pour faire ses trois jours au service national, obtient 19/20 aux tests d'aptitude de l'armée. Ces bons résultats remontent jusqu'au ministère, Jean Frêne bénéficie d'un sursis et d'une bourse pour reprendre des études trop vite interrompues.
Il décroche son diplôme d'ingénieur Mécanique cinq ans plus tard et enchaîne sur un doctorat qui lui vaudra les félicitations du jury et la reconnaissance de ses pairs. »
(« De l’or au pied d’un grand Frêne »)
Hormis que cet exemple est considéré comme une étape clé dans la validation des tests de QI, ce type de récit entre dans la tradition de l’illettré savant, dont le berger est une figure récurrente :
« A la demande de son fils, Thomas [Platter] le père a commencé à écrire sa vie le 28 janvier 1572. Une telle entreprise semble paradoxale chez un homme tard venu à l'alphabétisation. Berger, chevrier, vacher dans son Valais natal, puis écolier gyrovague et mendiant dans toutes les Allemagnes, il n'a appris à lire et à écrire qu'à vingt ans passés. Ses années de formation se sont déroulées hors de l'écrit, dans la compagnie des bandes écolières et des oiseaux. C'est pourtant cet illettré durable qui rédige l'une des premières autobiographies écrites par un homme d'origine villageoise, sinon paysanne. Comment l'expliquer ?
S'il n'est entré qu'avec grand retard dans la culture de l'écrit, Thomas a ensuite brûlé les étapes, devenant très vite professeur d'hébreu, de grec et de latin, trois langues apprises dès qu'il eut conquis la lecture et l'écriture. La prédisposition autobiographique de Thomas puise pourtant à d'autres sources que ce don pour l'étude. Il a été berger. Or, comme le constate Daniel Fabre, c'est dans cet état que l'on rencontre "des autobiographies, plus précoces et plus nombreuses que pour tout autre métier" . Thomas Platter est le premier d'une imposante lignée qui comprend, pour s'en tenir à l'Ancien Régime, Pierre Prion, Jamerey-Duval, Jean-Baptiste Pollin, Uli Braker et beaucoup d'autres. Maître des marques, des comptes et du calendrier, le berger est la figure exemplaire de l' "illettré savant". Cette compétence professionnelle fonde les représentations lettrées des bergers, déchiffreurs experts des signes et des secrets, comme les pratiques d'écriture effectives (entre autres autobiographiques) de ceux qui ont connu la condition pastorale. »
(Roger Chartier, « Le geste autobiographique : Pourquoi et comment les XVe et XVIe siècles virent-ils une renaissance de l'écriture du moi ? Réponse avec la famille Platter », Le Monde, Vendredi 27 janvier 1995, p. 1)
Nous trouvons de nos jours un exemple iranien d’un berger kurde devenu docteur. Le Dr Tofy Mussivand, spécialiste de la chirurgie cardiaque a connu ce parcours, dont le récit est l’objet du film Un jeune berger devenu Roi des Cœurs, dans la série canadienne "Mémoire d’un pays", qui met en valeur le parcours méritant d’émigrés du monde entier.
Daniel Favre, « Le berger des signes » [accès payant]
« Sadam Al Hamdani, «illettré aux pieds nus» devenu poète », Nord Éclair, Jeudi 15 mai 2014, p. 2354.
« Marie Rouault le berger géologue »
Bonne journée.
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