Le bal des bonnes
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 08/07/2016 à 15h33
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Question d'origine :
Il existait au XIXe et XXe des bals organisés pour les domestiques et employés de maison. A Paris, fin XIXe, les domestiques étaient parfois si fiers de leur appartenance à tel ou tel milieu que ces bals étaient finalement parmi les plus élégants (le bal des Majordome obligeait le port du smoking, par exemple). Mais jusqu'à quelle époque ? Durant les années 1930 ?La salle Wagram fut l'un des établissements à organiser ce type de bal. Quelles traces retrouve-t-on (et où?) de ces bals surnommés Bal des boniches au XXe siècle ? Merci!
Réponse du Guichet

Bonjour,
Ces bals étaient organisés par les syndicats des gens de maisons, ou bien, dans les grandes maisons, par les maîtres eux-mêmes :
L’élitisme, pour le domestique, est la seule manière d’acquérir du lustre à ses propres yeux. C’est ainsi que s’explique l’élitisme des syndicats de gens de maison, comme le Genêt ou la Chambre syndicale des employés gens de maison. Ce dernier s’est décerné le titre de « tribu des bien choisis ». Le bal annuel qu’il organise salle Wagram est destiné, par sa tenue, à rehausser le prestige des domestiques : « le mieux tenu et le plus réussi de tous les bals corporatifs de Paris » (Journal des gens de maison, 1er février 1897). Le journal cite des extraits de la presse pârisienne à propos du bal de 1896, pour montrer l’unanimité de l’admiration : « Comme aux alentours de l’Hôtel de Ville, les soirs de gala, il y avait foule sur les trottoirs pour voir arriver les « cavaliers » et leurs danseuses. Avec cela, un encombrement de voitures ainsi qu’aux fêtes mondaines les plus « select ». En un mot, toutes les apparences d’une véritable et très imposante solennité » (la République française, 1896). Le Figaro du 3 février 1896 commentait de son côté : « Même dans le feu des derniers quadrilles la tenue reste d’une correction que l’on ne trouve pas toujours aux bals de l’Hôtel de Ville. ». Paul Chabot signale ces bals de gens de maison, que son père trouvait « un peu trop guindés », celui des maîtres d’hôtel, en particulier, auquel il fallait assister en smoking.
Le même souci éperdu de respectabilité se lit dans le Serviteur, lorsqu’il rend compte des réunions des membres du Cercle des gens de maison du Genêt. Le registre n’est pas le même, il n’est plus question de faire chic ni mondain, mais « familial » : « Nos excellents associés n’ont pas trompé notre attente, leur fête a été simple, de bon ton, charmante. Ils ont dansé, comme on danse au pays, sous l’œil bienveillant des parents entre gens qui se connaissent, s’estiment et se respectent » (4 mars 1908). Le journal du 4 novembre 1908 parle ainsi de la réunion du troisième dimanche d’octobre : « Sans se faire prier, tout simplement et avec une grâce charmante, Mlle Aline Méchard, femme de chambre, monte sur l’estrade et, d’une voix pleine et sonore, chante le Credo du paysan, dont le refrain est repris par toute l’assistance, avec un remarquable entrain… » Et de conclure : « Rien de plus familial, de plus gai et de plus charmant. »
Le siècle a tourné, nous sommes ici en plein dans le mythe du retour à la terre.
La place des bonnes : la domesticité féminine à Paris en 1900, Anne Martin-Fugier (p.204-205)
Si l’on en croit le Figaro du 3 février 1896, les domestiques valsent bien parce qu’ils ont pris des cours : « Un professeur de danse de l’Opéra a eu l’idée géniale de créer dans le quartier Saint-Denis une école de danse du soir à l’usage des gens de maison ; il est en train de réaliser une fortune. » Pour qu’une école de danse du soir réservée aux domestiques connaisse tant de succèse, il faut bien croire qu’ils aimaient danser, et y consacraient du temps, et de l’argent.
Les témoignages à ce sujet nous manquent, malheureusement. Seule Juliette Sauget signale qu’en 1908 elle fréquente le bal de l’Elysée-Montmartre, très en vogue, voisin du IXe arrondissement où elle travaille. […]
Le bal populaire […] fait peur aux bourgeois. C’est un lieu de mauvaises fréquentations, prélude à toutes les perditions. C’est pourquoi il y a récupération par les maîtres du divertissement que représente la danse pour les domestiques, lorsqu’ils le peuvent ; c’est-à-dire dans les grandes maisons ou dans les bals organisés par les syndicats de gens de maison. Ces bals-là, où les serviteurs dansent entre eux, présentent l’avantage de les préserver du contact avec le peuple : c’est une manière, pour les maîtres qui organisent les bals, de se préserver eux-mêmes en contrôlant les fréquentations de leurs domestiques.
Dans les grandes maisons, le bal des domestiques était une coutume traditionnelle lorsqu’on était à la campagne. Ainsi chez les d’Harcourt, dans leur résidence d’été à Sainte-Eusoge. Chaque samedi soir, la trentaine de serviteurs (ceux de Sainte-Eusoge, ceux de Paris et les saisonnières) organisent le bal dans la grande salle des gens : « Le bal tant attendu fournissait l’occasion de se mettre en valeur ; les femmes mettaient leur point d’honneur à se montrer élégantes et plus d’une demandait à la couturière du pays de lui confectionner une robe pour ce qui était leur seule distraction […] Ce n’est pas que le bal durait longtemps, c’était l’affaire de deux heures, mais durant ce temps-là on s’en donnait à cœur joie. » Milieu privilégié de la domesticité de grande maison : on reste entre soi.
On retrouve cette atmosphère « familiale » dans les réunions dominicales du Cercle des gens de maison du Genêt. Si l’on danse au cours de ces petites fêtes du dimanche après-midi, c’est, comme nous le montrent les commentaires du Serviteur cités plus haut, dans une atmosphère digne de la comtesse de Ségur. Bon ton, simplicité, franche camaraderie : nous sommes loin des promiscuités du bal populaire. Voilà la grande source d’inconnu aseptisée et rentrée dans l’ordre bourgeois.
p. 283-285.

Source : [Bal des gens de maison, rue du Mont-Blanc] : [dessin] / [Claude-Louis Desrais], Gallica
Le Petit Parisien du 20 février 1910 mentionne le bal des gens de maison :
Le bal de la Protectrice des gens de maison, dans une salle de l'avenue de Clichy, fut des plus brillants.
Un article du Figaro du 6 septembre 1921 consacre également un article aux bals des gens de maison, nous pouvons donc confirmer qu’ils ont perduré au moins jusqu’aux années 1920.
Les numéros du Réveil des gens de maison disponibles sur Gallica (juin 1927, janvier et mars 1928) ne mentionnent pas de bal.
Dans les années 1930 les usages ont peut-être changé : nous ne trouvons pas de mention de bal pour l’année 1930, et en 1931 c’est une matinée artistique et théâtrale qui est offerte par le Syndicat professionnel des Gens de Maison. (source : L’Ouest-Eclair, 1931-11-04)
Des recherches plus approfondies seraient nécessaires pour situer plus précisément la disparition des bals des gens de maison.
Bonne journée.
Ces bals étaient organisés par les syndicats des gens de maisons, ou bien, dans les grandes maisons, par les maîtres eux-mêmes :
L’élitisme, pour le domestique, est la seule manière d’acquérir du lustre à ses propres yeux. C’est ainsi que s’explique l’élitisme des syndicats de gens de maison, comme le Genêt ou la Chambre syndicale des employés gens de maison. Ce dernier s’est décerné le titre de « tribu des bien choisis ». Le bal annuel qu’il organise salle Wagram est destiné, par sa tenue, à rehausser le prestige des domestiques : « le mieux tenu et le plus réussi de tous les bals corporatifs de Paris » (Journal des gens de maison, 1er février 1897). Le journal cite des extraits de la presse pârisienne à propos du bal de 1896, pour montrer l’unanimité de l’admiration : « Comme aux alentours de l’Hôtel de Ville, les soirs de gala, il y avait foule sur les trottoirs pour voir arriver les « cavaliers » et leurs danseuses. Avec cela, un encombrement de voitures ainsi qu’aux fêtes mondaines les plus « select ». En un mot, toutes les apparences d’une véritable et très imposante solennité » (la République française, 1896). Le Figaro du 3 février 1896 commentait de son côté : « Même dans le feu des derniers quadrilles la tenue reste d’une correction que l’on ne trouve pas toujours aux bals de l’Hôtel de Ville. ». Paul Chabot signale ces bals de gens de maison, que son père trouvait « un peu trop guindés », celui des maîtres d’hôtel, en particulier, auquel il fallait assister en smoking.
Le même souci éperdu de respectabilité se lit dans le Serviteur, lorsqu’il rend compte des réunions des membres du Cercle des gens de maison du Genêt. Le registre n’est pas le même, il n’est plus question de faire chic ni mondain, mais « familial » : « Nos excellents associés n’ont pas trompé notre attente, leur fête a été simple, de bon ton, charmante. Ils ont dansé, comme on danse au pays, sous l’œil bienveillant des parents entre gens qui se connaissent, s’estiment et se respectent » (4 mars 1908). Le journal du 4 novembre 1908 parle ainsi de la réunion du troisième dimanche d’octobre : « Sans se faire prier, tout simplement et avec une grâce charmante, Mlle Aline Méchard, femme de chambre, monte sur l’estrade et, d’une voix pleine et sonore, chante le Credo du paysan, dont le refrain est repris par toute l’assistance, avec un remarquable entrain… » Et de conclure : « Rien de plus familial, de plus gai et de plus charmant. »
Le siècle a tourné, nous sommes ici en plein dans le mythe du retour à la terre.
La place des bonnes : la domesticité féminine à Paris en 1900, Anne Martin-Fugier (p.204-205)
Si l’on en croit le Figaro du 3 février 1896, les domestiques valsent bien parce qu’ils ont pris des cours : « Un professeur de danse de l’Opéra a eu l’idée géniale de créer dans le quartier Saint-Denis une école de danse du soir à l’usage des gens de maison ; il est en train de réaliser une fortune. » Pour qu’une école de danse du soir réservée aux domestiques connaisse tant de succèse, il faut bien croire qu’ils aimaient danser, et y consacraient du temps, et de l’argent.
Les témoignages à ce sujet nous manquent, malheureusement. Seule Juliette Sauget signale qu’en 1908 elle fréquente le bal de l’Elysée-Montmartre, très en vogue, voisin du IXe arrondissement où elle travaille. […]
Le bal populaire […] fait peur aux bourgeois. C’est un lieu de mauvaises fréquentations, prélude à toutes les perditions. C’est pourquoi il y a récupération par les maîtres du divertissement que représente la danse pour les domestiques, lorsqu’ils le peuvent ; c’est-à-dire dans les grandes maisons ou dans les bals organisés par les syndicats de gens de maison. Ces bals-là, où les serviteurs dansent entre eux, présentent l’avantage de les préserver du contact avec le peuple : c’est une manière, pour les maîtres qui organisent les bals, de se préserver eux-mêmes en contrôlant les fréquentations de leurs domestiques.
Dans les grandes maisons, le bal des domestiques était une coutume traditionnelle lorsqu’on était à la campagne. Ainsi chez les d’Harcourt, dans leur résidence d’été à Sainte-Eusoge. Chaque samedi soir, la trentaine de serviteurs (ceux de Sainte-Eusoge, ceux de Paris et les saisonnières) organisent le bal dans la grande salle des gens : « Le bal tant attendu fournissait l’occasion de se mettre en valeur ; les femmes mettaient leur point d’honneur à se montrer élégantes et plus d’une demandait à la couturière du pays de lui confectionner une robe pour ce qui était leur seule distraction […] Ce n’est pas que le bal durait longtemps, c’était l’affaire de deux heures, mais durant ce temps-là on s’en donnait à cœur joie. » Milieu privilégié de la domesticité de grande maison : on reste entre soi.
On retrouve cette atmosphère « familiale » dans les réunions dominicales du Cercle des gens de maison du Genêt. Si l’on danse au cours de ces petites fêtes du dimanche après-midi, c’est, comme nous le montrent les commentaires du Serviteur cités plus haut, dans une atmosphère digne de la comtesse de Ségur. Bon ton, simplicité, franche camaraderie : nous sommes loin des promiscuités du bal populaire. Voilà la grande source d’inconnu aseptisée et rentrée dans l’ordre bourgeois.
p. 283-285.
Source : [Bal des gens de maison, rue du Mont-Blanc] : [dessin] / [Claude-Louis Desrais], Gallica
Le Petit Parisien du 20 février 1910 mentionne le bal des gens de maison :
Le bal de la Protectrice des gens de maison, dans une salle de l'avenue de Clichy, fut des plus brillants.
Un article du Figaro du 6 septembre 1921 consacre également un article aux bals des gens de maison, nous pouvons donc confirmer qu’ils ont perduré au moins jusqu’aux années 1920.
Les numéros du Réveil des gens de maison disponibles sur Gallica (juin 1927, janvier et mars 1928) ne mentionnent pas de bal.
Dans les années 1930 les usages ont peut-être changé : nous ne trouvons pas de mention de bal pour l’année 1930, et en 1931 c’est une matinée artistique et théâtrale qui est offerte par le Syndicat professionnel des Gens de Maison. (source : L’Ouest-Eclair, 1931-11-04)
Des recherches plus approfondies seraient nécessaires pour situer plus précisément la disparition des bals des gens de maison.
Bonne journée.
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