Origine des chansons de cour d'école
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 17/09/2019 à 19h25
2732 vues
Question d'origine :
Bonjour,
Je me demande comment des chansons manifestement écrites par des adultes, comme "C'est tonton Chirac à la guerre 14-18" ou "Balibalo" se retrouvent chantées dans les cours d'école par de petits enfants, comme moi quand j'avais 7 ans. Qui écrit ces chansons et comment se transmettent-elles ensuite uniquement via les enfants ?
Merci pour votre travail formidable !
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 18/09/2019 à 15h15
Bonjour,
Comme nous l’apprend Jany Rouger, il existe une véritable tradition orale enfantine qui se transmet par le bouche-à-oreille dans les cours de récréation, et où la créativité côtoie le goût pour la transgression :
« Parlons d’abord des clichés souvent véhiculés sur cette tradition. D’une manière générale, elle est souvent considérée comme une sous-culture (comme l’a longtemps été la tradition orale dans son ensemble pour les « cultureux ») et pour les musiciens, une sous-musique. On dénie à l’enfant la capacité de générer sa propre culture ; de nombreux clichés renvoient les répertoires enfantins à une pâle imitation des répertoires adultes ; et peu connaissent les règles propres à la transmission entre enfants. On pense par exemple que les «comptines »(que beaucoup écrivent « contines », comme s’il s’agissait de petits contes, ce qu’elles sont aussi, par ailleurs) ont été composées par des adultes, et apprises aux enfants qui, bien évidemment, les ont déformées...Cette vision n’est pas sans rappeler celle que beaucoup avaient des langues régionales, pensant qu’elles n’étaient que des patois générés par la déformation grossière du français inhérente à l’état d’inculture de leurs locuteurs ! Ou des cultures de tradition orale, qui ne pouvaient être que des sous-cultures, puisque seule la connaissance de l’écriture permettait d’accéder à la culture dans sa grande majesté.
Bien évidemment, la réalité est tout autre : de même que les langues régionales sont le fruit d’une histoire propre à chacun des territoires sur lequel elles se sont épanouies, et l’expression de leur culture propre, la tradition orale enfantine est bien spécifique à la culture enfantine, et le fruit de la création réelle des enfants. Faut-il rappeler les leçons des premiers grands pédagogues : l’enfant n’est pas un adulte en réduction, mais bien une personne en tant que telle, apte à produire tous les éléments de sa culture, en interaction bien sûr avec les cultures qui l’entourent.
Deuxième cliché souvent véhiculé: la tradition orale enfantine serait en voie de disparition, comme l’est la tradition orale dans son ensemble dans nos sociétés avancées, sous les coups de butoir de l’école, la télévision, Internet et compagnie...Or, il suffit de faire une petite enquête auprès d’enfants d’aujourd’hui pour se rendre compte de l’inanité de telles assertions. Chaque année, j’accompagne des étudiants du CFMI de Poitiers dans une école de Poitiers ou de ses environs. Et chaque année, c’est le même ravissement. Comment choisissez-vous qui sera le loup ? Plouf ! Plouf ! Une vache qui pisse dans un tonneau, c’est rigolo mais c’est salaud ! ou Trou ! Trou ! Pique nique douille, c’est toi l’andouille !
Les comptines (ou «formulettes d’élimination », pour prendre le terme exact) se succèdent, anciennes ou nouvelles. Et des nouvelles, nous en entendons chaque année, nées d’un air de publicité, ou d’une ritournelle à la mode, mais totalement recrées par la verve enfantine. Et des tape-mains, des parodies, souvent grivoises, voire obscènes : la culture enfantine est aussi une culture de transgression. »
Source : Retour sur les rencontres de Saintes, Jany Rouger, Autour de la tradition orale enfantine
Par ailleurs, les enfants ne vivent pas dans un univers isolé ; ils sont exposés aussi à la culture des adultes. Les chansons qui circulent oralement d’enfant à enfant peuvent donc avoir pour source un adulte de l’entourage, les médias… :
« En cherchant dans le journal de terrain de Iona Opie (1993) toutes les occurrences où un enfant dit de qui il a reçu un jeu, une blague ou une chanson, on compte trente-six témoignages. Dans les deux tiers d’entre eux, la source est un autre enfant, frère, cousin ou camarade. La source de cette source, lorsqu’elle est mentionnée, est encore un enfant (dans quatre cas sur cinq). Cinq déclarations d’enfants citent un adulte – et c’est toujours leur père. Sept enfants désignent une source médiatique : un recueil périodique de blagues (en partie alimenté de blagues envoyées par des enfants) ; la chanson The Wall de Pink Floyd, entendue à la radio ; une légende urbaine attribuée au quotidien The Sun (dont on doute que même ce journal ait pu la publier). Les enfants parlent ici de tout ce qui se diffuse dans la cour de récréation – histoires drôles, chansons populaires… –, pas seulement du folklore enfantin. Si l’on se focalise sur les items qui ont déjà une histoire répertoriée dans la tradition enfantine, on ne trouve plus que de la transmission d’enfant à enfant. Ces témoignages viennent corroborer ce que Iona Opie observe par ailleurs. »
Source : Pourquoi les enfants ont-ils des traditions ? Olivier Morin
On comprend alors comment une chanson comme Le Père Dupanloup (Bali Balo), qui appartient originellement au répertoire paillard des adultes, a pu être entendue et mémorisée, ne serait-ce que par un enfant, puis répétée et transmise au sein des cours d’écoles au fil des générations.
Bonne journée.
Comme nous l’apprend Jany Rouger, il existe une véritable tradition orale enfantine qui se transmet par le bouche-à-oreille dans les cours de récréation, et où la créativité côtoie le goût pour la transgression :
« Parlons d’abord des clichés souvent véhiculés sur cette tradition. D’une manière générale, elle est souvent considérée comme une sous-culture (comme l’a longtemps été la tradition orale dans son ensemble pour les « cultureux ») et pour les musiciens, une sous-musique. On dénie à l’enfant la capacité de générer sa propre culture ; de nombreux clichés renvoient les répertoires enfantins à une pâle imitation des répertoires adultes ; et peu connaissent les règles propres à la transmission entre enfants. On pense par exemple que les «comptines »(que beaucoup écrivent « contines », comme s’il s’agissait de petits contes, ce qu’elles sont aussi, par ailleurs) ont été composées par des adultes, et apprises aux enfants qui, bien évidemment, les ont déformées...Cette vision n’est pas sans rappeler celle que beaucoup avaient des langues régionales, pensant qu’elles n’étaient que des patois générés par la déformation grossière du français inhérente à l’état d’inculture de leurs locuteurs ! Ou des cultures de tradition orale, qui ne pouvaient être que des sous-cultures, puisque seule la connaissance de l’écriture permettait d’accéder à la culture dans sa grande majesté.
Bien évidemment, la réalité est tout autre : de même que les langues régionales sont le fruit d’une histoire propre à chacun des territoires sur lequel elles se sont épanouies, et l’expression de leur culture propre, la tradition orale enfantine est bien spécifique à la culture enfantine, et le fruit de la création réelle des enfants. Faut-il rappeler les leçons des premiers grands pédagogues : l’enfant n’est pas un adulte en réduction, mais bien une personne en tant que telle, apte à produire tous les éléments de sa culture, en interaction bien sûr avec les cultures qui l’entourent.
Deuxième cliché souvent véhiculé: la tradition orale enfantine serait en voie de disparition, comme l’est la tradition orale dans son ensemble dans nos sociétés avancées, sous les coups de butoir de l’école, la télévision, Internet et compagnie...Or, il suffit de faire une petite enquête auprès d’enfants d’aujourd’hui pour se rendre compte de l’inanité de telles assertions. Chaque année, j’accompagne des étudiants du CFMI de Poitiers dans une école de Poitiers ou de ses environs. Et chaque année, c’est le même ravissement. Comment choisissez-vous qui sera le loup ? Plouf ! Plouf ! Une vache qui pisse dans un tonneau, c’est rigolo mais c’est salaud ! ou Trou ! Trou ! Pique nique douille, c’est toi l’andouille !
Les comptines (ou «formulettes d’élimination », pour prendre le terme exact) se succèdent, anciennes ou nouvelles. Et des nouvelles, nous en entendons chaque année, nées d’un air de publicité, ou d’une ritournelle à la mode, mais totalement recrées par la verve enfantine. Et des tape-mains, des parodies, souvent grivoises, voire obscènes : la culture enfantine est aussi une culture de transgression. »
Source : Retour sur les rencontres de Saintes, Jany Rouger, Autour de la tradition orale enfantine
Par ailleurs, les enfants ne vivent pas dans un univers isolé ; ils sont exposés aussi à la culture des adultes. Les chansons qui circulent oralement d’enfant à enfant peuvent donc avoir pour source un adulte de l’entourage, les médias… :
« En cherchant dans le journal de terrain de Iona Opie (1993) toutes les occurrences où un enfant dit de qui il a reçu un jeu, une blague ou une chanson, on compte trente-six témoignages. Dans les deux tiers d’entre eux, la source est un autre enfant, frère, cousin ou camarade. La source de cette source, lorsqu’elle est mentionnée, est encore un enfant (dans quatre cas sur cinq). Cinq déclarations d’enfants citent un adulte – et c’est toujours leur père. Sept enfants désignent une source médiatique : un recueil périodique de blagues (en partie alimenté de blagues envoyées par des enfants) ; la chanson The Wall de Pink Floyd, entendue à la radio ; une légende urbaine attribuée au quotidien The Sun (dont on doute que même ce journal ait pu la publier). Les enfants parlent ici de tout ce qui se diffuse dans la cour de récréation – histoires drôles, chansons populaires… –, pas seulement du folklore enfantin. Si l’on se focalise sur les items qui ont déjà une histoire répertoriée dans la tradition enfantine, on ne trouve plus que de la transmission d’enfant à enfant. Ces témoignages viennent corroborer ce que Iona Opie observe par ailleurs. »
Source : Pourquoi les enfants ont-ils des traditions ? Olivier Morin
On comprend alors comment une chanson comme Le Père Dupanloup (Bali Balo), qui appartient originellement au répertoire paillard des adultes, a pu être entendue et mémorisée, ne serait-ce que par un enfant, puis répétée et transmise au sein des cours d’écoles au fil des générations.
Bonne journée.
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