Question d'origine :
Bonjour camarades ! Déjà, bravo pour tout votre travail. Ma question est simple (ou pas) : depuis le début des mouvements sociaux en tant que tels au XIXe siècle, peut-on dire qu'il y a une réelle corrélation entre luttes sociales (entendu ici sous forme de grèves, manifestations et autres arrachages de chemises) et progrès législatifs ? En d'autres termes, les luttes ont-elles été systématiquement récompensées par des évolutions de situation pour les travailleurs, et de telles évolutions ont-elles eu nécéssairement besoin de luttes pour émerger et aboutir ? Belle journée,
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 23/09/2019 à 14h57
Bonjour,
Voilà une vaste question ! En l’absence de précisions de votre part, nous restreignons notre recherche d’exemples à la France.
Selon un article de scienceshumaines.com :
« La France est l’héritière d’une longue et riche histoire de mouvements sociaux. L’expression elle-même – mouvement social – naît durant la première moitié du XIXe siècle. L’acception ici retenue par les auteurs rassemble « toutes les interventions collectives destinées à transformer les conditions d’existence de leurs acteurs, à contester les hiérarchies ou les relations sociales, et à générer, pour cela, des identités collectives et des sentiments d’appartenance ». Elle est donc assez ouverte, comprenant émeutes, grèves, pétitions, mais aussi campagnes électorales et pratiques de la monarchie de Juillet (enterrements d’opposition, banquets protestataires et charivaris politiques). »
Les formes prises par les luttes sociales ont pris diverses formes au cours du XIXe siècle, débouchant, au début du siècle suivant, sur les formes d’action que nous connaissons, et qui semblent en crise :
« Si la Commune discrédite l’insurrection, l’échec des grèves de 1920 ruine l’idée d’une grève générale prônée par le syndicalisme révolutionnaire jusqu’à la Première Guerre mondiale. Les pratiques contestataires vont désormais se nationaliser alors que s’instaurent de nouveaux rapports entre classe ouvrière et État social, et ce jusqu’aux années 1970.
Le déclin du PCF, la mondialisation, le chômage de masse ont profondément modifié le paysage social. Les grèves de 1995 marquent une nouvelle étape puisque désormais « l’individualisation de la “deuxième modernité” contemporaine identifie moins les êtres par leur rôle et statut qu’à travers leur singularité irréductible ». La lutte sociale semble donc devenir individuelle aujourd’hui. »
Cette histoire est indissociable de celle du syndicalisme français, dont on peut lire un résumé sur herodote.net :
« En 1879 naît la première fédération nationale professionnelle, celle des chapeliers, suivie deux ans plus tard par celle du Livre puis en 1883 par celle des mineurs. Sous la présidence de Jules Grévy, la majorité parlementaire se résout à légaliser leur existence.
Le syndicalisme accélère sa croissance sous l'impulsion de socialistes d'obédience marxiste et de militants chrétiens inspirés par l'encyclique Rerum Novarum de Léon XIII.
[…]
La Fédération nationale échappe quant à elle à la tutelle de l'État et défie même celui-ci en portant à sa tête en 1895 un jeune militant anarchiste, Fernand Pelloutier (24 ans), lequel a rejeté le terrorisme façon Ravachol au profit de l'action militante.
La même année, la Fédération nationale des Bourses du Travail se rapproche de la Fédération des syndicats pour fonder à Limoges la Confédération Générale du Travail (CGT). Il s'agit de la première union nationale de syndicats, qui inclut notamment la Fédération du Livre et la Fédération des cheminots.
Au congrès de Montpellier, en 1902, les Bourses du Travail se transforment en unions départementales multiprofessionnelles et se fondent au sein de la CGT. Celle-ci se dote ce faisant de structures fédérales solides et de réels moyens d’action.
[…]
En 1919, une rivale se dresse devant la CGT. C'est la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), créée à l'initiative de la Fédération des syndicats féminins et du Syndicat parisien des employés du commerce et de l'industrie. Elle se veut réformiste et apolitique, fidèle à la doctrine sociale de l'Église.
La situation se gâte en 1920. La SFIO ne parvient pas à faire passer des réformes sociales. Quant à la CGT, elle multiplie les grèves tournantes à l’initiative de ses « comités syndicalistes révolutionnaires » (CSR) de tonalité anarchiste et lance une grève générale le 1er mai. Tout cela aboutit à un échec et n’empêche pas des licenciements massifs dans la métallurgie.
À la fin de l’année 1920, la SFIO se déchire au congrès de Tours. La majorité de ses militants rejoint le Parti communiste français (PCF) et fait allégeance à Lénine.
L’année suivante, le 25 juillet 1921, le XVIe congrès de la CGT s'ouvre au palais Rameau, à Lille, dans un climat de grande violence. Des coups de feu sont même tirés et l'on compte une trentaine de blessés.
Léon Jouhaux, réformiste bon teint, obtient la dissolution des comités anarchistes, les CSR. Mais il ne peut éviter le départ d’une minorité, un tiers environ des 700 000 adhérents. Proche du PCF et des bolchéviques, elle va constituer la CGT Unitaire.
Les deux frères ennemis referont leur union le 2-5 mars 1936, au congrès de Toulouse, avec l'aval de Staline, en prélude à la victoire du Front populaire. Bien que réunifiée, avec un total de cinq millions d'adhérents, la CGT va se montrer toutefois incapable de maîtriser le soulèvement spontané qui suit les élections et conduit à deux millions de grévistes.
C'est au secrétaire général du parti communiste Maurice Thorez qu'il reviendra de siffler la fin de la récréation le 11 juin 1936 : « Il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue ». »
L’une des gloires de cette histoire syndicale sera sans doute son action au sein du Comité national de la Résistance (CNR), dont les préconisations donneront lieu, juste après la fin de la seconde guerre mondiale, à nombre d’acquis sociaux, dont rien moins que la création de la Sécurité sociale :
« Le CNR, qui réunit des représentants de la Résistance, des partis de la France libre et des syndicats (CGT et CFTC), publie le 15 mars 1944 un programme d'action qui […] préconise un rôle accru de l'État et des syndicats dans la vie économique : « retour à la nation des grands moyens de production monopolisée (...), droit d’accès aux fonctions de direction et d’administration pour les ouvriers possédant les qualifications nécessaires (...), participation des travailleurs à la direction de l’économie, (...) reconstitution d’un syndicalisme indépendant doté de larges pouvoirs dans l’organisation de la vie économique et sociale, (...) sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ».
Dans cet esprit va se développer le paritarisme, autrement dit la gestion conjointe des organismes sociaux (Sécurité sociale, emploi, logement, médecine du travail, formation professionnelle...) par les syndicats ouvriers et patronaux. Elle est mise en œuvre par l'ordonnance du 19 octobre 1945 (...). »
Notons que si le CNR tenait son autorité non d’une lutte sociale mais d’une lutte contre l’occupant allemand, son action fit boule de neige et déboucha sur une suite de grèves « insurrectionnelles » qui entraînera fin 1947 la sortie du PCF du gouvernement… Comme quoi des réformes sociales peuvent donner lieu à des mouvements.
On oublie souvent, à l’inverse, que les réformes menées par le gouvernement de Léon Blum, en 1936, ont été imposées au Front populaire par un mois de grève :
« Le mouvement de grèves […] prend naissance le 11 mai au Havre (usine Bréguet), gagne Toulouse le 13 (usine Latécoère). De là, les grèves se multiplient rapidement, touchent le 14 mai la région parisienne, et tout d’abord les usines Bloch de Courbevoie, avant de se généraliser dans la métallurgie. […] Ces grèves étonnent tout le monde, même Léon Blum, par leur nombre et leur ampleur. Illégales, elles n’en sont pas moins pacifiques. […] C’est dans ces conditions difficiles que Léon Blum constitue son cabinet le 4 juin. »
(Source : Dictionnaire d'histoire de France Perrin [Livre])
La nomination du gouvernement représentant l’union des gauches (sauf les communistes, « qui ont décliné, promettant seulement leur soutien ») ne suffira pas à apaiser les syndicats : les grèves continueront jusqu’à ce qu’une confrontation ait lieu, le 7 juin, entre ceux-ci, le gouvernement et le patronat ; et que les négociations aboutissent sur les accords dits « de Matignon », prévoyant des augmentations de salaires, ainsi qu’une promesse du gouvernement de légiférer rapidement sur les congés payés et le temps de travail. Un article de La Croix reproduisant le numéro du journal du lendemain, montre bien que tous les foyers de contestation étaient loin d’être éteints :
« [L’accord de Matignon] porte sur le droit syndical, la reconnaissance des délégués d’atelier, une augmentation des salaires variant de 7 à 15 % selon les régions, les modalités et les conditions d’une reprise éventuelle du travail, l’application, par le patronat, des lois dont les projets vont être déposés sur le bureau de la Chambre et qui visent les contrats collectifs du travail, les congés payés et la semaine de quarante heures.
En outre, les patrons et représentants du patronat acceptent d’appliquer le contrat collectif, les congés payés et la semaine de quarante heures dès qu’ils auront été votés par le Parlement.
[…]
La grève continue à Paris dans de nombreux corps de métiers, mais on s’attend un peu partout à une prochaine reprise du travail, bien que les ouvriers du bâtiment aient précisément choisi ce début de semaine pour déclencher, à leur tour, la grève.
Les directeurs des grands magasins de nouveautés ne faisant pas partie de la Confédération générale de la production, les accords conclus dimanche soir avec la G. G. T. ne jouent pas pour eux. Ils doivent étudier dans l’après-midi de lundi les revendications de leur personnel. On prévoit, de ce côté, la reprise du travail dès mardi.
[…]
Après vingt-quatre heures de grève, les employés de tramways et autobus de Versailles ont repris le travail dimanche. Par contre, se sont mis en grève :
– À Argenteuil : les transports départementaux et les magasins à prix unique ;
– À Essonnes : une usine de constructions mécaniques occupant 380 ouvriers ;
– À Versailles : les magasins à prix unique (60 employés) :
– À Athis-Mons : une entreprise de charbonnage.
Et jusqu’au Syndicat des lads de Maisons-Laffite qui a remis au président de l’Association des entraîneurs un cahier de revendications, réclamant entre autres choses : l’augmentation des salaires, le payement des jours de congé et la diminution du nombre des chevaux à soigner. »
Mouvement social emblématique s’il en est, mai 68 débouchera sur les accords de Grenelle, signés 27 mai 1968 :
« Les discussions entre les partenaires sociaux aboutissent à une augmentation de 35 % du smic. Le salaire minimum interprofessionnel de croissance est fixé à 600 francs par mois. Les autres salaires augmentent de 7 %. Par ailleurs, les accords de Grenelle amorcent la réduction du temps de travail. Les travailleurs de France découvrent la semaine de 40 heures.
Au nombre des avancées sociales, on notera le libre exercice du droit syndical dans les entreprises, l'aménagement des allocations familiales et la réforme des allocations de salaire unique, l'augmentation de la prestation minimum versée aux personnes âgées et la récupération des journées de grève. En matière de Sécurité sociale, le ticket modérateur est ramené de 30 à 25 %. »
(Source : lemonde.fr)
Pourtant les organisations syndicales, déçues, récusent le terme d’accord, et parlent de « constat » de Grenelle. Quoi qu’il en soit, les luttes de mai 68 deviendront une comparaison obligée pour tous les mouvements sociaux qui suivront. Dans l’Est républicain, le cheminot et syndicaliste Pierre Blairet, interrogé l’année dernière, formulait une comparaison avec le mouvement des cheminots contre la réforme de leur statut et la transformation de la SNCF en Société anonyme :
« Mai-68, il s’en souvient comme si c’était hier. Il était à Verdun le 18 mai, jour du blocage. « C’était la première gare occupée du Grand Est », confie-t-il. Sur la table de la salle à manger de son domicile d’Étain, est posé un ouvrage publié aux Éditions du Rocher. Un entretien avec Alain-Gilles Minella dans la collection « Ma vie est mon métier » dirigée par Alphonse Boudard. Un livre qui fait part de sa vie de cheminot et notamment en Mai-68.
D’ailleurs, Pierrot signale le « mécontentement général » à l’époque et les revendications salariales. Trouve-t-il qu’aujourd’hui, l’ambiance est similaire ? « Oui », dit-il. « Mais c’est un peu l’anarchie. Les fédérations syndicales ne sont pas unies, ça pose problème ».
[…]
« On avait des meetings le matin et le soir. Je leur ai dit : l’hôpital c’est nos parents, nos enfants, nos amis. Et la maternité aussi. Il y avait des durs qui disaient : non, il ne faut pas de ravitaillement ».
Mai-68 a été aussi « un formidable espoir ». Et Pierrot de citer les avancées après les discussions : « On avait des repos supplémentaires, on a réussi à avoir des primes, des augmentations de salaire, des retraites supérieures… » Mais il fait un constat : « Avant, on faisait grève pour améliorer, aujourd’hui, c’est pour défendre ce qu’on a gagné. En 1920, il y a eu de grandes grèves des cheminots. Les droits acquis, ça a été grâce à la lutte des cheminots ». Et d’enchaîner sur le mouvement des cheminots actuel : « Ils ont raison de se battre. Ils ne se battent pas pour eux, mais pour les travailleurs. Il faut de la solidarité entre le privé et le public ».
Depuis Mai-68 et même avant, Pierre Blairet n’a cessé de se battre et ne sombre pas dans le pessimisme : « Oui, je suis optimiste. Les travailleurs se battront. Rien n’est jamais acquis sans lutte ». »
Mais, preuve que l’activisme syndical n’est pas toujours couronné de succès, la loi de réforme de la SNCF a été adoptée le 14 juin malgré les grèves… tout comme la loi El Khomri, relative à la « modernisation du dialogue social », pourtant accueillie par un mouvement social « l’un des plus longs observés depuis 1945 » selon Le Parisien, ou la réforme du code du travail de 2017…
C’est que les rapports de forces traversant le monde du travail en France ont considérablement changé en cinquante ans, constatent avec perplexité les participants à une table ronde d’acteurs sociaux et de militants publiée sur blogs.mediapart.fr :
« […] le tournant néo-libéral engagé dans les années 80 avec un gouvernement de gauche les déceptions après la prise de participation publique majoritaire dans l’entreprise, c’est l’idée même de dépassement du capitalisme qui ne parait plus crédible. Dans ce contexte le capitalisme s’organise mondialement: fusions, concentrations, en France, Europe, monde, se succèdent et attaquent fortement travail, emplois, régions, statuts, acquis. Le rejet des attaques est large, mais s’accompagne du renvoi, de fait, à plus tard, de toute visée post-capitaliste. Les luttes se tronçonnent, se replient sur l’entreprise, l’activité, la catégorie, les jeunes, les plus âgés. Pourtant quelques luttes échappent à ce schéma, telle la lutte pour le maintien du centre de recherches à Romainville (93) au début des années 2000 mobilise des chercheurs de l’entreprise et de la recherche publique pour donner un autre sens à la recherche et mobilise une chaîne d’activités (production, administratifs, entretien, ouvriers, techniciens et cadres), des élus départementaux et régionaux, autour du rôle social de la santé. Et c’est vrai également, que ces luttes ne portent pas suffisamment des ruptures essentielles dans la logique de la multinationale. Constatons aussi que les forces politiques nationales sont fixées sur des échéances électorales. Ainsi on est passé par étapes, dans le pays, d’une posture offensive socialement à, faute d’horizon alternatif, à une posture défensive. Le capital, lui, repassait à l’offensive en France et dans le monde et menait et gagnait une bataille idéologique (lois du marché, fin de l’histoire).
(Danièle Montel )
[…]
Dans les années 1968 des « Grenelle » (des négociations avec le grand patronat) pouvaient enregistrer des gains. Mais c'était aussi la phase historique où la remise en cause de l'ordre mondial était la plus tangible avec un rapport de force bien plus favorable qu'aujourd'hui. Ce qui a manqué, hier comme aujourd'hui dans des conditions différentes, c'est un « mouvement ouvrier » (politico-syndical) qui mette en avant une « Économie politique des travailleurs » de tous genres et de toutes origines, en défense de la dignité, des droits et de la satisfaction de besoins de base pour tou.tes, sur des bases d'auto-organisation égalitaire radicale - socialiste.
(Catherine Samary)
(Source : lemonde.fr)
Mais chaque mouvement mériterait d’être étudié au cas par cas, puisqu’il est difficile de définir une courbe ascendante ou descendante de l’efficacité des mouvements sociaux du siècle dernier, selon Wikipédia » « Les mouvements de 1910, 1920, 1944, 1947, 1953, 1968, 1986 obtiennent la satisfaction des revendications, ceux de 1938, 1948 et 1971 échouent. Les mineurs ont été une profession très combative. Les gouvernements sont également attentifs au mouvement des enseignants et des étudiants. Les grèves de 2010 contre la réforme des retraites ont recueilli un large soutien populaire dans les sondages. »
Ce qui ne veut pas dire qu’il soit facile de décider de la réussite ou de l’échec, en matière de luttes sociales ! Selon l’ouvrage Comment lutter ? [Livre] : sociologie et mouvements sociaux / Lilian Mathieu, « Les revendications d’un mouvement social sont rarement une donnée stable, mais changent au fil du temps, et spécialement à mesure de l’évolution du rapport de force instauré par la mobilisation. Une évolution favorable de ce rapport de force peut ainsi conduire les protestataires à une surenchère revendicative lorsque, découvrant la faiblesse inespérée de leur adversaire, ils s’en saisissent pour faire valoir de nouvelles exigences. À l’inverse, une évolution défavorable peut les conduire à réviser leurs objectifs à la baisse, au point parfois de n’arracher au final que des concessions purement symboliques qui permettront seulement dene pas s’avouer totalement vaincu. Surtout, les revendications officiellement affichées par un mouvement social ont généralement pour fonction de signifier sa détermination à l’adversaire; tous les militants savent que les nouveaux avantages éventuellement retirés de la mobilisation le seront à l’issue d’une négociation au cours de laquelle chaque camp sera obligé de procéder à des concessions – d’où la nécessité d’aborder cette phase de négociation en position de force, en ayant d’emblée « placé la barre très haut ». En regard de quels critères objectifs, dans ces conditions, mesurer la réussite d’une mobilisation? »
Cette indétermination de la victoire ou de l’échec n’est pas forcément une mauvaise chose ; selon l’auteur, au-delà de la satisfaction des revendications, il arrive que l’action collective en elle-même soit déjà une victoire :
« Ces distinctions permettent de souligner que, tout spécialement dans le cas des groupes très dominés ou soumis à une répression brutale, le simple fait de parvenir à se mobiliser pour exprimer des revendications constitue en lui-même un premier acquis, et est à ce titre aussi important que l’obtention des nouveaux avantages revendiqués, en ce qu’il constitue une première base sur laquelle vont pouvoir se construire les mobilisations futures. Le mouvement des chômeurs de l’hiver 1997 (Demazière & Pignoni 1998), par exemple, n’a certes pas obtenu l’augmentation significative des minima sociaux qu’il exigeait, mais la réception des principales organisations de « privés d’emploi » par le Premier ministre les a instituées en porte-parole légitimes de ce groupe particulier, aux intérêts et besoins eux aussi spécifiques, que sont les chômeurs. Elle a signifié en acte que la représentation de ce groupe ne pouvait plus être assurée uniquement par ceux qui jusqu’alors prétendaient en avoir le monopole, à savoir les syndicats, et a en quelque sorte fait accéder les chômeurs à une nouvelle forme d’existence politique. Dans les cas de populations stigmatisées ou réprimées, le simple fait que leurs membres osent afficher publiquement leurs revendications dans une action collective est en soi une réussite, fondatrice de l’existence politique du groupe: il y a quelques dizaines d’années, la révélation publique de son homosexualité ou que l’on a subi un avortement ont constitué de tels actes transgressifs, particulièrement risqués pour celles et ceux qui les ont accomplis mais qui ont permis à leurs pairs d’acquérir suffisamment de confiance en soi pour s’engager dans un mouvement revendicatif de plus grande ampleur. »
Pour aller plus loin :
- Histoire des mouvements sociaux en France [Livre] : de 1814 à nos jours / sous la direction de Michel Pigenet et Danielle Tartakowsky
- Guerre froide, grèves rouges [Livre] : les grèves insurrectionnelles de 1947 : Parti communiste, stalinisme et luttes sociales en France / Robert Mencherini ; préface de Maurice Agulhon
- Naissance de la convention collective [Livre] : débats juridiques et luttes sociales en France au début du 20e siècle / Claude Didry ; préf. Evelyne Serverin
- Le temps des révoltes [Livre] : une histoire en cartes postales des luttes sociales à la Belle époque / Anne Steiner
- De l'histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire [Livre] / actes du Colloque international Pour un autre futur [organisé en mai 2000 par la CNT française à la Bourse du travail de Saint-Denis]
- Histoire du sabotage [Livre] : de la CGT à la Résistance / Sébastien Albertelli ; sous la direction d'Olivier Wieviorka
- Quand le travail se précarise, quelles résistances collectives ? [Livre] / sous la direction de Sophie Béroud et Paul Bouffartigue
- Modestes propositions aux grévistes [Livre] : pour en finir avec ceux qui nous empêchent de vivre en escroquant le bien public / Raoul Vaneigem
- Le Maitron, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et du mouvement social
- Reportage « Les grèves de mai-juin 1936 en région parisienne et dans le Nord » sur fresques.ina.fr
- Page sur les travailleurs étrangers et coloniaux, à la fois acteurs et enjeux des luttes sociales aux XIXe et XXe siècles, - Musée de l’histoire de l’immigration
- « Luttes sociales : sur le chemin de la Révolution », série de quatre émissions sur franceculture.fr
Bonne journée.
Voilà une vaste question ! En l’absence de précisions de votre part, nous restreignons notre recherche d’exemples à la France.
Selon un article de scienceshumaines.com :
« La France est l’héritière d’une longue et riche histoire de mouvements sociaux. L’expression elle-même – mouvement social – naît durant la première moitié du XIXe siècle. L’acception ici retenue par les auteurs rassemble « toutes les interventions collectives destinées à transformer les conditions d’existence de leurs acteurs, à contester les hiérarchies ou les relations sociales, et à générer, pour cela, des identités collectives et des sentiments d’appartenance ». Elle est donc assez ouverte, comprenant émeutes, grèves, pétitions, mais aussi campagnes électorales et pratiques de la monarchie de Juillet (enterrements d’opposition, banquets protestataires et charivaris politiques). »
Les formes prises par les luttes sociales ont pris diverses formes au cours du XIXe siècle, débouchant, au début du siècle suivant, sur les formes d’action que nous connaissons, et qui semblent en crise :
« Si la Commune discrédite l’insurrection, l’échec des grèves de 1920 ruine l’idée d’une grève générale prônée par le syndicalisme révolutionnaire jusqu’à la Première Guerre mondiale. Les pratiques contestataires vont désormais se nationaliser alors que s’instaurent de nouveaux rapports entre classe ouvrière et État social, et ce jusqu’aux années 1970.
Le déclin du PCF, la mondialisation, le chômage de masse ont profondément modifié le paysage social. Les grèves de 1995 marquent une nouvelle étape puisque désormais « l’individualisation de la “deuxième modernité” contemporaine identifie moins les êtres par leur rôle et statut qu’à travers leur singularité irréductible ». La lutte sociale semble donc devenir individuelle aujourd’hui. »
Cette histoire est indissociable de celle du syndicalisme français, dont on peut lire un résumé sur herodote.net :
« En 1879 naît la première fédération nationale professionnelle, celle des chapeliers, suivie deux ans plus tard par celle du Livre puis en 1883 par celle des mineurs. Sous la présidence de Jules Grévy, la majorité parlementaire se résout à légaliser leur existence.
Le syndicalisme accélère sa croissance sous l'impulsion de socialistes d'obédience marxiste et de militants chrétiens inspirés par l'encyclique Rerum Novarum de Léon XIII.
[…]
La Fédération nationale échappe quant à elle à la tutelle de l'État et défie même celui-ci en portant à sa tête en 1895 un jeune militant anarchiste, Fernand Pelloutier (24 ans), lequel a rejeté le terrorisme façon Ravachol au profit de l'action militante.
La même année, la Fédération nationale des Bourses du Travail se rapproche de la Fédération des syndicats pour fonder à Limoges la Confédération Générale du Travail (CGT). Il s'agit de la première union nationale de syndicats, qui inclut notamment la Fédération du Livre et la Fédération des cheminots.
Au congrès de Montpellier, en 1902, les Bourses du Travail se transforment en unions départementales multiprofessionnelles et se fondent au sein de la CGT. Celle-ci se dote ce faisant de structures fédérales solides et de réels moyens d’action.
[…]
En 1919, une rivale se dresse devant la CGT. C'est la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), créée à l'initiative de la Fédération des syndicats féminins et du Syndicat parisien des employés du commerce et de l'industrie. Elle se veut réformiste et apolitique, fidèle à la doctrine sociale de l'Église.
La situation se gâte en 1920. La SFIO ne parvient pas à faire passer des réformes sociales. Quant à la CGT, elle multiplie les grèves tournantes à l’initiative de ses « comités syndicalistes révolutionnaires » (CSR) de tonalité anarchiste et lance une grève générale le 1er mai. Tout cela aboutit à un échec et n’empêche pas des licenciements massifs dans la métallurgie.
À la fin de l’année 1920, la SFIO se déchire au congrès de Tours. La majorité de ses militants rejoint le Parti communiste français (PCF) et fait allégeance à Lénine.
L’année suivante, le 25 juillet 1921, le XVIe congrès de la CGT s'ouvre au palais Rameau, à Lille, dans un climat de grande violence. Des coups de feu sont même tirés et l'on compte une trentaine de blessés.
Léon Jouhaux, réformiste bon teint, obtient la dissolution des comités anarchistes, les CSR. Mais il ne peut éviter le départ d’une minorité, un tiers environ des 700 000 adhérents. Proche du PCF et des bolchéviques, elle va constituer la CGT Unitaire.
Les deux frères ennemis referont leur union le 2-5 mars 1936, au congrès de Toulouse, avec l'aval de Staline, en prélude à la victoire du Front populaire. Bien que réunifiée, avec un total de cinq millions d'adhérents, la CGT va se montrer toutefois incapable de maîtriser le soulèvement spontané qui suit les élections et conduit à deux millions de grévistes.
C'est au secrétaire général du parti communiste Maurice Thorez qu'il reviendra de siffler la fin de la récréation le 11 juin 1936 : « Il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue ». »
L’une des gloires de cette histoire syndicale sera sans doute son action au sein du Comité national de la Résistance (CNR), dont les préconisations donneront lieu, juste après la fin de la seconde guerre mondiale, à nombre d’acquis sociaux, dont rien moins que la création de la Sécurité sociale :
« Le CNR, qui réunit des représentants de la Résistance, des partis de la France libre et des syndicats (CGT et CFTC), publie le 15 mars 1944 un programme d'action qui […] préconise un rôle accru de l'État et des syndicats dans la vie économique : « retour à la nation des grands moyens de production monopolisée (...), droit d’accès aux fonctions de direction et d’administration pour les ouvriers possédant les qualifications nécessaires (...), participation des travailleurs à la direction de l’économie, (...) reconstitution d’un syndicalisme indépendant doté de larges pouvoirs dans l’organisation de la vie économique et sociale, (...) sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ».
Dans cet esprit va se développer le paritarisme, autrement dit la gestion conjointe des organismes sociaux (Sécurité sociale, emploi, logement, médecine du travail, formation professionnelle...) par les syndicats ouvriers et patronaux. Elle est mise en œuvre par l'ordonnance du 19 octobre 1945 (...). »
Notons que si le CNR tenait son autorité non d’une lutte sociale mais d’une lutte contre l’occupant allemand, son action fit boule de neige et déboucha sur une suite de grèves « insurrectionnelles » qui entraînera fin 1947 la sortie du PCF du gouvernement… Comme quoi des réformes sociales peuvent donner lieu à des mouvements.
On oublie souvent, à l’inverse, que les réformes menées par le gouvernement de Léon Blum, en 1936, ont été imposées au Front populaire par un mois de grève :
« Le mouvement de grèves […] prend naissance le 11 mai au Havre (usine Bréguet), gagne Toulouse le 13 (usine Latécoère). De là, les grèves se multiplient rapidement, touchent le 14 mai la région parisienne, et tout d’abord les usines Bloch de Courbevoie, avant de se généraliser dans la métallurgie. […] Ces grèves étonnent tout le monde, même Léon Blum, par leur nombre et leur ampleur. Illégales, elles n’en sont pas moins pacifiques. […] C’est dans ces conditions difficiles que Léon Blum constitue son cabinet le 4 juin. »
(Source : Dictionnaire d'histoire de France Perrin [Livre])
La nomination du gouvernement représentant l’union des gauches (sauf les communistes, « qui ont décliné, promettant seulement leur soutien ») ne suffira pas à apaiser les syndicats : les grèves continueront jusqu’à ce qu’une confrontation ait lieu, le 7 juin, entre ceux-ci, le gouvernement et le patronat ; et que les négociations aboutissent sur les accords dits « de Matignon », prévoyant des augmentations de salaires, ainsi qu’une promesse du gouvernement de légiférer rapidement sur les congés payés et le temps de travail. Un article de La Croix reproduisant le numéro du journal du lendemain, montre bien que tous les foyers de contestation étaient loin d’être éteints :
« [L’accord de Matignon] porte sur le droit syndical, la reconnaissance des délégués d’atelier, une augmentation des salaires variant de 7 à 15 % selon les régions, les modalités et les conditions d’une reprise éventuelle du travail, l’application, par le patronat, des lois dont les projets vont être déposés sur le bureau de la Chambre et qui visent les contrats collectifs du travail, les congés payés et la semaine de quarante heures.
En outre, les patrons et représentants du patronat acceptent d’appliquer le contrat collectif, les congés payés et la semaine de quarante heures dès qu’ils auront été votés par le Parlement.
[…]
La grève continue à Paris dans de nombreux corps de métiers, mais on s’attend un peu partout à une prochaine reprise du travail, bien que les ouvriers du bâtiment aient précisément choisi ce début de semaine pour déclencher, à leur tour, la grève.
Les directeurs des grands magasins de nouveautés ne faisant pas partie de la Confédération générale de la production, les accords conclus dimanche soir avec la G. G. T. ne jouent pas pour eux. Ils doivent étudier dans l’après-midi de lundi les revendications de leur personnel. On prévoit, de ce côté, la reprise du travail dès mardi.
[…]
Après vingt-quatre heures de grève, les employés de tramways et autobus de Versailles ont repris le travail dimanche. Par contre, se sont mis en grève :
– À Argenteuil : les transports départementaux et les magasins à prix unique ;
– À Essonnes : une usine de constructions mécaniques occupant 380 ouvriers ;
– À Versailles : les magasins à prix unique (60 employés) :
– À Athis-Mons : une entreprise de charbonnage.
Et jusqu’au Syndicat des lads de Maisons-Laffite qui a remis au président de l’Association des entraîneurs un cahier de revendications, réclamant entre autres choses : l’augmentation des salaires, le payement des jours de congé et la diminution du nombre des chevaux à soigner. »
Mouvement social emblématique s’il en est, mai 68 débouchera sur les accords de Grenelle, signés 27 mai 1968 :
« Les discussions entre les partenaires sociaux aboutissent à une augmentation de 35 % du smic. Le salaire minimum interprofessionnel de croissance est fixé à 600 francs par mois. Les autres salaires augmentent de 7 %. Par ailleurs, les accords de Grenelle amorcent la réduction du temps de travail. Les travailleurs de France découvrent la semaine de 40 heures.
Au nombre des avancées sociales, on notera le libre exercice du droit syndical dans les entreprises, l'aménagement des allocations familiales et la réforme des allocations de salaire unique, l'augmentation de la prestation minimum versée aux personnes âgées et la récupération des journées de grève. En matière de Sécurité sociale, le ticket modérateur est ramené de 30 à 25 %. »
(Source : lemonde.fr)
Pourtant les organisations syndicales, déçues, récusent le terme d’accord, et parlent de « constat » de Grenelle. Quoi qu’il en soit, les luttes de mai 68 deviendront une comparaison obligée pour tous les mouvements sociaux qui suivront. Dans l’Est républicain, le cheminot et syndicaliste Pierre Blairet, interrogé l’année dernière, formulait une comparaison avec le mouvement des cheminots contre la réforme de leur statut et la transformation de la SNCF en Société anonyme :
« Mai-68, il s’en souvient comme si c’était hier. Il était à Verdun le 18 mai, jour du blocage. « C’était la première gare occupée du Grand Est », confie-t-il. Sur la table de la salle à manger de son domicile d’Étain, est posé un ouvrage publié aux Éditions du Rocher. Un entretien avec Alain-Gilles Minella dans la collection « Ma vie est mon métier » dirigée par Alphonse Boudard. Un livre qui fait part de sa vie de cheminot et notamment en Mai-68.
D’ailleurs, Pierrot signale le « mécontentement général » à l’époque et les revendications salariales. Trouve-t-il qu’aujourd’hui, l’ambiance est similaire ? « Oui », dit-il. « Mais c’est un peu l’anarchie. Les fédérations syndicales ne sont pas unies, ça pose problème ».
[…]
« On avait des meetings le matin et le soir. Je leur ai dit : l’hôpital c’est nos parents, nos enfants, nos amis. Et la maternité aussi. Il y avait des durs qui disaient : non, il ne faut pas de ravitaillement ».
Mai-68 a été aussi « un formidable espoir ». Et Pierrot de citer les avancées après les discussions : « On avait des repos supplémentaires, on a réussi à avoir des primes, des augmentations de salaire, des retraites supérieures… » Mais il fait un constat : « Avant, on faisait grève pour améliorer, aujourd’hui, c’est pour défendre ce qu’on a gagné. En 1920, il y a eu de grandes grèves des cheminots. Les droits acquis, ça a été grâce à la lutte des cheminots ». Et d’enchaîner sur le mouvement des cheminots actuel : « Ils ont raison de se battre. Ils ne se battent pas pour eux, mais pour les travailleurs. Il faut de la solidarité entre le privé et le public ».
Depuis Mai-68 et même avant, Pierre Blairet n’a cessé de se battre et ne sombre pas dans le pessimisme : « Oui, je suis optimiste. Les travailleurs se battront. Rien n’est jamais acquis sans lutte ». »
Mais, preuve que l’activisme syndical n’est pas toujours couronné de succès, la loi de réforme de la SNCF a été adoptée le 14 juin malgré les grèves… tout comme la loi El Khomri, relative à la « modernisation du dialogue social », pourtant accueillie par un mouvement social « l’un des plus longs observés depuis 1945 » selon Le Parisien, ou la réforme du code du travail de 2017…
C’est que les rapports de forces traversant le monde du travail en France ont considérablement changé en cinquante ans, constatent avec perplexité les participants à une table ronde d’acteurs sociaux et de militants publiée sur blogs.mediapart.fr :
« […] le tournant néo-libéral engagé dans les années 80 avec un gouvernement de gauche les déceptions après la prise de participation publique majoritaire dans l’entreprise, c’est l’idée même de dépassement du capitalisme qui ne parait plus crédible. Dans ce contexte le capitalisme s’organise mondialement: fusions, concentrations, en France, Europe, monde, se succèdent et attaquent fortement travail, emplois, régions, statuts, acquis. Le rejet des attaques est large, mais s’accompagne du renvoi, de fait, à plus tard, de toute visée post-capitaliste. Les luttes se tronçonnent, se replient sur l’entreprise, l’activité, la catégorie, les jeunes, les plus âgés. Pourtant quelques luttes échappent à ce schéma, telle la lutte pour le maintien du centre de recherches à Romainville (93) au début des années 2000 mobilise des chercheurs de l’entreprise et de la recherche publique pour donner un autre sens à la recherche et mobilise une chaîne d’activités (production, administratifs, entretien, ouvriers, techniciens et cadres), des élus départementaux et régionaux, autour du rôle social de la santé. Et c’est vrai également, que ces luttes ne portent pas suffisamment des ruptures essentielles dans la logique de la multinationale. Constatons aussi que les forces politiques nationales sont fixées sur des échéances électorales. Ainsi on est passé par étapes, dans le pays, d’une posture offensive socialement à, faute d’horizon alternatif, à une posture défensive. Le capital, lui, repassait à l’offensive en France et dans le monde et menait et gagnait une bataille idéologique (lois du marché, fin de l’histoire).
(Danièle Montel )
[…]
Dans les années 1968 des « Grenelle » (des négociations avec le grand patronat) pouvaient enregistrer des gains. Mais c'était aussi la phase historique où la remise en cause de l'ordre mondial était la plus tangible avec un rapport de force bien plus favorable qu'aujourd'hui. Ce qui a manqué, hier comme aujourd'hui dans des conditions différentes, c'est un « mouvement ouvrier » (politico-syndical) qui mette en avant une « Économie politique des travailleurs » de tous genres et de toutes origines, en défense de la dignité, des droits et de la satisfaction de besoins de base pour tou.tes, sur des bases d'auto-organisation égalitaire radicale - socialiste.
(Catherine Samary)
(Source : lemonde.fr)
Mais chaque mouvement mériterait d’être étudié au cas par cas, puisqu’il est difficile de définir une courbe ascendante ou descendante de l’efficacité des mouvements sociaux du siècle dernier, selon Wikipédia » « Les mouvements de 1910, 1920, 1944, 1947, 1953, 1968, 1986 obtiennent la satisfaction des revendications, ceux de 1938, 1948 et 1971 échouent. Les mineurs ont été une profession très combative. Les gouvernements sont également attentifs au mouvement des enseignants et des étudiants. Les grèves de 2010 contre la réforme des retraites ont recueilli un large soutien populaire dans les sondages. »
Ce qui ne veut pas dire qu’il soit facile de décider de la réussite ou de l’échec, en matière de luttes sociales ! Selon l’ouvrage Comment lutter ? [Livre] : sociologie et mouvements sociaux / Lilian Mathieu, « Les revendications d’un mouvement social sont rarement une donnée stable, mais changent au fil du temps, et spécialement à mesure de l’évolution du rapport de force instauré par la mobilisation. Une évolution favorable de ce rapport de force peut ainsi conduire les protestataires à une surenchère revendicative lorsque, découvrant la faiblesse inespérée de leur adversaire, ils s’en saisissent pour faire valoir de nouvelles exigences. À l’inverse, une évolution défavorable peut les conduire à réviser leurs objectifs à la baisse, au point parfois de n’arracher au final que des concessions purement symboliques qui permettront seulement dene pas s’avouer totalement vaincu. Surtout, les revendications officiellement affichées par un mouvement social ont généralement pour fonction de signifier sa détermination à l’adversaire; tous les militants savent que les nouveaux avantages éventuellement retirés de la mobilisation le seront à l’issue d’une négociation au cours de laquelle chaque camp sera obligé de procéder à des concessions – d’où la nécessité d’aborder cette phase de négociation en position de force, en ayant d’emblée « placé la barre très haut ». En regard de quels critères objectifs, dans ces conditions, mesurer la réussite d’une mobilisation? »
Cette indétermination de la victoire ou de l’échec n’est pas forcément une mauvaise chose ; selon l’auteur, au-delà de la satisfaction des revendications, il arrive que l’action collective en elle-même soit déjà une victoire :
« Ces distinctions permettent de souligner que, tout spécialement dans le cas des groupes très dominés ou soumis à une répression brutale, le simple fait de parvenir à se mobiliser pour exprimer des revendications constitue en lui-même un premier acquis, et est à ce titre aussi important que l’obtention des nouveaux avantages revendiqués, en ce qu’il constitue une première base sur laquelle vont pouvoir se construire les mobilisations futures. Le mouvement des chômeurs de l’hiver 1997 (Demazière & Pignoni 1998), par exemple, n’a certes pas obtenu l’augmentation significative des minima sociaux qu’il exigeait, mais la réception des principales organisations de « privés d’emploi » par le Premier ministre les a instituées en porte-parole légitimes de ce groupe particulier, aux intérêts et besoins eux aussi spécifiques, que sont les chômeurs. Elle a signifié en acte que la représentation de ce groupe ne pouvait plus être assurée uniquement par ceux qui jusqu’alors prétendaient en avoir le monopole, à savoir les syndicats, et a en quelque sorte fait accéder les chômeurs à une nouvelle forme d’existence politique. Dans les cas de populations stigmatisées ou réprimées, le simple fait que leurs membres osent afficher publiquement leurs revendications dans une action collective est en soi une réussite, fondatrice de l’existence politique du groupe: il y a quelques dizaines d’années, la révélation publique de son homosexualité ou que l’on a subi un avortement ont constitué de tels actes transgressifs, particulièrement risqués pour celles et ceux qui les ont accomplis mais qui ont permis à leurs pairs d’acquérir suffisamment de confiance en soi pour s’engager dans un mouvement revendicatif de plus grande ampleur. »
- Histoire des mouvements sociaux en France [Livre] : de 1814 à nos jours / sous la direction de Michel Pigenet et Danielle Tartakowsky
- Guerre froide, grèves rouges [Livre] : les grèves insurrectionnelles de 1947 : Parti communiste, stalinisme et luttes sociales en France / Robert Mencherini ; préface de Maurice Agulhon
- Naissance de la convention collective [Livre] : débats juridiques et luttes sociales en France au début du 20e siècle / Claude Didry ; préf. Evelyne Serverin
- Le temps des révoltes [Livre] : une histoire en cartes postales des luttes sociales à la Belle époque / Anne Steiner
- De l'histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire [Livre] / actes du Colloque international Pour un autre futur [organisé en mai 2000 par la CNT française à la Bourse du travail de Saint-Denis]
- Histoire du sabotage [Livre] : de la CGT à la Résistance / Sébastien Albertelli ; sous la direction d'Olivier Wieviorka
- Quand le travail se précarise, quelles résistances collectives ? [Livre] / sous la direction de Sophie Béroud et Paul Bouffartigue
- Modestes propositions aux grévistes [Livre] : pour en finir avec ceux qui nous empêchent de vivre en escroquant le bien public / Raoul Vaneigem
- Le Maitron, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et du mouvement social
- Reportage « Les grèves de mai-juin 1936 en région parisienne et dans le Nord » sur fresques.ina.fr
- Page sur les travailleurs étrangers et coloniaux, à la fois acteurs et enjeux des luttes sociales aux XIXe et XXe siècles, - Musée de l’histoire de l’immigration
- « Luttes sociales : sur le chemin de la Révolution », série de quatre émissions sur franceculture.fr
Bonne journée.
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