Question d'origine :
Bonjour,
J'aimerai savoir à partir de quel moment (a quelle époque ?) l'homme ( avec un petit h...) a eu conscience de son rôle dans la conception de la vie par la femme ?
Bien cordialement
Stéphane
Réponse du Guichet
Le 27/10/2020 à 13h33
Bonjour,
Vous vous demandez à quelle époque les hommes ont pris conscience du rôle du père dans la procréation.
Pour les périodes les plus anciennes, les traces disponibles, peintures, gravures ou statuettes, semblent déjà témoigner d’un questionnement autour de l’enfantement.
Ainsi l’historien et anthropologue Jacques Gélis écrit-il, dans La plus belle histoire de la naissance :
« Au paléolithique supérieur, la question de l’enfantement se manifeste et s’exprime déjà à travers des gravures et des statuettes sculptées dans la pierre, l’os ou l’ivoire : ce sont les fameuses Vénus aurignaciennes. »
Mais ces traces sont bien ténues, et leur interprétation est pour le moins délicate.
« S’agissait-il d’ex-voto, d’autoportraits comme le propose une toute nouvelle hypothèse d’un professeur d’art américain, le Dr Leroy McDermott, ou de symboles censés représenter la fertilité féminine, la terre nourricière ? On ne le sait pas très bien. Probablement y a-t-il eu un peu de tout ça à la fois… En revanche, plus tard, le néolithique et l’antiquité vont vraiment laisser une place au culte rendu aux déesses mères[…] Dans tous les cas, l’homme n’a pas vraiment conscience de son rôle dans la reproduction, et on peut penser qu’il attribue à la femme un certain pouvoir. »
Jacques Gonzalès souligne cette difficulté d’interprétation des traces les plus anciennes dans son son Histoire de la procréation humaine, qui dresse un historique détaillé de l’évolution des représentations du processus de reproduction dans le monde occidental :
« Il est surement très audacieux de chercher à savoir ce que l’homme préhistorique imaginait des mécanismes de la procréation probablement confondu avec la sexualité, comme se sera longtemps le cas. »
Comme nous l’écrivions dans notre réponse à la question « depuis quand l'homme a-t-il compris que les naissances ont pour cause une partie de jambes en l'air ? », même ce lien entre procréation et sexualité ne va pas de soi.
Avec l’apparition des premiers textes, il est plus facile d’avoir accès aux représentations.
Juliette Nouel-Rénier dans son ouvrage pour la jeunesse Comment l’homme a compris d’où viennent les bébés, écrit notamment :
« Enfin, vers 1850 av. J.C., voici une preuve : elle se trouve dans le papyrus égyptien de Kahoun. Et là surprise : une des premières fois que le sujet de la procréation est clairement abordé et le rôle de l’homme reconnu, c’est justement pour éviter d’avoir des enfants ! Ce fameux papyrus contient en effet une recette de contraception. »
Jacques Gonzalès, va dans le même sens.
Selon lui, « animés par leur empirisme, les égyptiens sont les premiers à se questionner sur l’origine du liquide séminal mâle, à partir d’observations anatomiques, et à tenter de chercher les causes de stérilité conjugale. »
Il faudrait toutefois préciser ce que l’on entend par « rôle de l’homme dans la conception de la vie par la femme ». En effet, même si l’on se limite au monde occidental, la « découverte » d’un rôle de l’homme dans la procréation ne signifie pas la compréhension du mécanisme biologique en jeu, mis en évidence par Oscar Hertwig en 1875.
L’ouvrage de Jacques Gonzalès déjà cité vous présentera ainsi en détails l’évolution des représentations du monde occidental liées au rôle de chacun des partenaires dans la conception humaine, des origines à l'explication biologique actuelle.
Toutefois, si ces représentations évoluent au fil du temps, elles varient aussi beaucoup en fonction des zones géographiques considérées. Ainsi, chaque culture a élaboré sa propre théorie concernant la procréation, assignant un rôle très variable aux hommes et aux femmes, sans qu’il soit toujours facile pour le chercheur d’en pleinement saisir la nuance. Il conviendrait donc de se demander si le rôle du père est ignoré par certaines cultures.
L’exemple le plus célèbre est présenté par l’ethnologue ethnologue Bronislaw Malinowski, dans son ouvrage La paternité dans la psychologie primitive, écrit en 1927 :
« L’idée selon laquelle c’est exclusivement la mère qui donne corps à l’enfant, tandis que l’homme ne contribue en aucune façon à son existence, est le facteur le plus important de l’organisation sociale des Trobriandais. »
Cette affirmation est reprise en 1929 dans La vie sexuelle des sauvages du nord-ouest de la Mélanésie, et fera largement consensus parmi les anthropologues jusqu’aux années 70 et sa remise en cause, notamment par Edmund Leach dans L’unité de l’homme et autres essais.
Robert Deliège, dans Anthropologie de la famille et de la parenté résume les critique de Leach ainsi :
« Leach pense que ces « croyances » ne nous disent nullement que les indigènes sont ignorants du lien entre copulation et grossesse. Ces éléments ne sont, selon lui, qu’une manière pour les indigènes de marquer la primauté des liens du mariage sur ceux de la cohabitation. »
« L’ignorance complète du processus physiologique n’est donc pas une interprétation acceptable pour Leach. Partout où nous rencontrons des êtres humains, poursuit-il, nous les voyons s’intéresser aux rapports entre les sexes et aux problèmes de la parenté de façon quasi obsessionnelle. Presque toutes les populations, hormis les Trobriandais et certains aborigènes australiens, reconnaissent le lien entre coït et grossesse. »
Françoise Héritier, met également en doute la validité des données de Malinowski dans Masculin/féminin II :
« Les hommes des origines savent aussi que sans rapports sexuels les enfants ne viennent pas aux femmes. Les travaux de Malinowski nous ont longtemps fait croire en l’ignorance qu’auraient encore de son temps les peuples primitifs et qu’auraient eu à fortiori nos ancêtres préhistoriques du rôle physiologique de l’homme dans la procréation. Pourtant, lui-même le précise, les Trobriandais insistaient sur le fait qu’une vierge ne pouvait avoir d’enfants d’une part, et, d’autre part, que tous les enfants ressemblaient à leur père qui les façonne dans le ventre maternel. Ce qu’ils récusent, c’est seulement ce que nous appelons le « pouvoir fécondant du spermatozoïde » dont ils ignorent l’existence. »
Laurent Dousset, Directeur d’études à l’EHESS et membre du Centre de recherche et de documentation sur l’Océanie, revient sur cette controverse dans un article intitulé Ignorances et savoirs dans la reproduction des hiérarchies et des distinctions sociales : quelle question l’anthropologue doit-il se poser ? :
« Comme nous l’avons dit, cette controverse eut le mérite de marquer la distinction nécessaire entre parenté et sexualité, la première étant, si nous en croyons la cosmologie australienne, uniquement la conséquence de conventions socioculturelles. Père et mère ne sont pas des géniteurs, mais seulement des éleveurs. La polémique a surtout ouvert un champ d’investigation encore significatif aujourd’hui : les conceptions culturelles de la paternité, de la maternité et, plus généralement, de la relationalité. L’ethnographie qui a succédé à ces débats a permis de souligner que même dans des domaines aussi fondamentaux que la reproduction humaine, les hiérarchies des valeurs sociales et les strates de savoirs autochtones étaient fondamentales dans l’analyse de la diversité des formes sociales. C’est en effet la négligence de ce dernier point qui avait conduit à poser la question de l’ignorance de la physiologie humaine et de négliger, pour ce qui concerne les Aborigènes d’Australie, des données ethnographiques pourtant de grande importance. »
Ce faisant, il ouvre la possibilité à la coexistence de plusieurs strates de savoirs, pouvant s’articuler malgré leur apparente contradiction.
Vous souhaitant bonnes lectures,
Le département civilisation
Vous vous demandez à quelle époque les hommes ont pris conscience du rôle du père dans la procréation.
Pour les périodes les plus anciennes, les traces disponibles, peintures, gravures ou statuettes, semblent déjà témoigner d’un questionnement autour de l’enfantement.
Ainsi l’historien et anthropologue Jacques Gélis écrit-il, dans La plus belle histoire de la naissance :
« Au paléolithique supérieur, la question de l’enfantement se manifeste et s’exprime déjà à travers des gravures et des statuettes sculptées dans la pierre, l’os ou l’ivoire : ce sont les fameuses Vénus aurignaciennes. »
Mais ces traces sont bien ténues, et leur interprétation est pour le moins délicate.
« S’agissait-il d’ex-voto, d’autoportraits comme le propose une toute nouvelle hypothèse d’un professeur d’art américain, le Dr Leroy McDermott, ou de symboles censés représenter la fertilité féminine, la terre nourricière ? On ne le sait pas très bien. Probablement y a-t-il eu un peu de tout ça à la fois… En revanche, plus tard, le néolithique et l’antiquité vont vraiment laisser une place au culte rendu aux déesses mères[…] Dans tous les cas, l’homme n’a pas vraiment conscience de son rôle dans la reproduction, et on peut penser qu’il attribue à la femme un certain pouvoir. »
Jacques Gonzalès souligne cette difficulté d’interprétation des traces les plus anciennes dans son son Histoire de la procréation humaine, qui dresse un historique détaillé de l’évolution des représentations du processus de reproduction dans le monde occidental :
« Il est surement très audacieux de chercher à savoir ce que l’homme préhistorique imaginait des mécanismes de la procréation probablement confondu avec la sexualité, comme se sera longtemps le cas. »
Comme nous l’écrivions dans notre réponse à la question « depuis quand l'homme a-t-il compris que les naissances ont pour cause une partie de jambes en l'air ? », même ce lien entre procréation et sexualité ne va pas de soi.
Avec l’apparition des premiers textes, il est plus facile d’avoir accès aux représentations.
Juliette Nouel-Rénier dans son ouvrage pour la jeunesse Comment l’homme a compris d’où viennent les bébés, écrit notamment :
« Enfin, vers 1850 av. J.C., voici une preuve : elle se trouve dans le papyrus égyptien de Kahoun. Et là surprise : une des premières fois que le sujet de la procréation est clairement abordé et le rôle de l’homme reconnu, c’est justement pour éviter d’avoir des enfants ! Ce fameux papyrus contient en effet une recette de contraception. »
Jacques Gonzalès, va dans le même sens.
Selon lui, « animés par leur empirisme, les égyptiens sont les premiers à se questionner sur l’origine du liquide séminal mâle, à partir d’observations anatomiques, et à tenter de chercher les causes de stérilité conjugale. »
Il faudrait toutefois préciser ce que l’on entend par « rôle de l’homme dans la conception de la vie par la femme ». En effet, même si l’on se limite au monde occidental, la « découverte » d’un rôle de l’homme dans la procréation ne signifie pas la compréhension du mécanisme biologique en jeu, mis en évidence par Oscar Hertwig en 1875.
L’ouvrage de Jacques Gonzalès déjà cité vous présentera ainsi en détails l’évolution des représentations du monde occidental liées au rôle de chacun des partenaires dans la conception humaine, des origines à l'explication biologique actuelle.
Toutefois, si ces représentations évoluent au fil du temps, elles varient aussi beaucoup en fonction des zones géographiques considérées. Ainsi, chaque culture a élaboré sa propre théorie concernant la procréation, assignant un rôle très variable aux hommes et aux femmes, sans qu’il soit toujours facile pour le chercheur d’en pleinement saisir la nuance. Il conviendrait donc de se demander si le rôle du père est ignoré par certaines cultures.
L’exemple le plus célèbre est présenté par l’ethnologue ethnologue Bronislaw Malinowski, dans son ouvrage La paternité dans la psychologie primitive, écrit en 1927 :
« L’idée selon laquelle c’est exclusivement la mère qui donne corps à l’enfant, tandis que l’homme ne contribue en aucune façon à son existence, est le facteur le plus important de l’organisation sociale des Trobriandais. »
Cette affirmation est reprise en 1929 dans La vie sexuelle des sauvages du nord-ouest de la Mélanésie, et fera largement consensus parmi les anthropologues jusqu’aux années 70 et sa remise en cause, notamment par Edmund Leach dans L’unité de l’homme et autres essais.
Robert Deliège, dans Anthropologie de la famille et de la parenté résume les critique de Leach ainsi :
« Leach pense que ces « croyances » ne nous disent nullement que les indigènes sont ignorants du lien entre copulation et grossesse. Ces éléments ne sont, selon lui, qu’une manière pour les indigènes de marquer la primauté des liens du mariage sur ceux de la cohabitation. »
« L’ignorance complète du processus physiologique n’est donc pas une interprétation acceptable pour Leach. Partout où nous rencontrons des êtres humains, poursuit-il, nous les voyons s’intéresser aux rapports entre les sexes et aux problèmes de la parenté de façon quasi obsessionnelle. Presque toutes les populations, hormis les Trobriandais et certains aborigènes australiens, reconnaissent le lien entre coït et grossesse. »
Françoise Héritier, met également en doute la validité des données de Malinowski dans Masculin/féminin II :
« Les hommes des origines savent aussi que sans rapports sexuels les enfants ne viennent pas aux femmes. Les travaux de Malinowski nous ont longtemps fait croire en l’ignorance qu’auraient encore de son temps les peuples primitifs et qu’auraient eu à fortiori nos ancêtres préhistoriques du rôle physiologique de l’homme dans la procréation. Pourtant, lui-même le précise, les Trobriandais insistaient sur le fait qu’une vierge ne pouvait avoir d’enfants d’une part, et, d’autre part, que tous les enfants ressemblaient à leur père qui les façonne dans le ventre maternel. Ce qu’ils récusent, c’est seulement ce que nous appelons le « pouvoir fécondant du spermatozoïde » dont ils ignorent l’existence. »
Laurent Dousset, Directeur d’études à l’EHESS et membre du Centre de recherche et de documentation sur l’Océanie, revient sur cette controverse dans un article intitulé Ignorances et savoirs dans la reproduction des hiérarchies et des distinctions sociales : quelle question l’anthropologue doit-il se poser ? :
« Comme nous l’avons dit, cette controverse eut le mérite de marquer la distinction nécessaire entre parenté et sexualité, la première étant, si nous en croyons la cosmologie australienne, uniquement la conséquence de conventions socioculturelles. Père et mère ne sont pas des géniteurs, mais seulement des éleveurs. La polémique a surtout ouvert un champ d’investigation encore significatif aujourd’hui : les conceptions culturelles de la paternité, de la maternité et, plus généralement, de la relationalité. L’ethnographie qui a succédé à ces débats a permis de souligner que même dans des domaines aussi fondamentaux que la reproduction humaine, les hiérarchies des valeurs sociales et les strates de savoirs autochtones étaient fondamentales dans l’analyse de la diversité des formes sociales. C’est en effet la négligence de ce dernier point qui avait conduit à poser la question de l’ignorance de la physiologie humaine et de négliger, pour ce qui concerne les Aborigènes d’Australie, des données ethnographiques pourtant de grande importance. »
Ce faisant, il ouvre la possibilité à la coexistence de plusieurs strates de savoirs, pouvant s’articuler malgré leur apparente contradiction.
Vous souhaitant bonnes lectures,
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