Question d'origine :
Bonjour,
Quels sont les dispositifs de médiation mis en place par Jean Vilar au TNP ?
Merci
Réponse du Guichet

Bonjour,
Quelques-unes des innovations de Jean Vilar dans le rapport du théâtre au public sont évoquées dans l’article de Marion Denizot, « Du théâtre populaire à la médiation culturelle : autonomie de l’artiste et instrumentalisation », paru en 2008 dans Lien social et Politiques, et consultable sur erudit.org :
« Jean Vilar opère au Palais de Chaillot une révolution dans les pratiques d’accueil du public, afin de « désacraliser » la venue au théâtre. Il met en œuvre des dispositifs de relation avec le public particulièrement novateurs, qui seront d’ailleurs repris par d’autres institutions culturelles (Fleury, 2007) et qui rompent avec le code bourgeois de la sortie au théâtre. Le public n’est plus consommateur, il devient co-acteur de la représentation , comme le suggère le rite du salut à la salle : « Les comédiens deviennent spectateurs du public, devenu, à ce moment précis, le principal acteur de la cérémonie » (Fleury, 2002 : 59).
Jean Vilar emprunte des éléments au projet de théâtre populaire défini en 1900 par Eugène Morel, bibliothécaire et conservateur à la Bibliothèque nationale, à la suite de l’appel à concours lancé par La Revue d’art dramatique. Eugène Morel, dans son rapport didactique, expose de manière systématique les modalités de réalisation de l’idéal du théâtre populaire.Il insiste sur les freins financiers qui empêchent la venue au théâtre et introduit le principe de l’abonnement , qui seul permettra, par la fréquentation régulière du théâtre, d’éduquer le goût du peuple (Fleury, 2006). Enfin, il propose un mode d’organisation du théâtre de « type socialiste, ou plus précisément coopératif », que l’on retrouve, par exemple, dans le choix de la Comédie de Saint-Étienne, fondée par Jean Dasté en 1947, de se constituer sous forme juridique de Société coopérative ouvrière de production (SCOP).
Jean Vilar met en placedes abonnements et des avant-premières pour les abonnés , afin de fidéliser le public. Il supprime les pourboires et les vestiaires payants pour rendre le coût de la sortie au théâtre plus abordable, et il fixe l’horaire des représentations plus tôt dans la soirée, afin que les spectateurs qui habitent en banlieue puissent facilement rentrer chez eux après le spectacle . Ces dispositifs, systématisés par Jean Vilar, trouvent un écho favorable du côté des pouvoirs publics, qui inventent au même moment un mode de gouvernement qui mêle attention à la cité et respect de la liberté de l’artiste. »
Emmanuelle Loyer, dans son article « Le théâtre national populaire au temps de Jean Vilar (1951-1963) », paru en 1998 dans la revue Vingtième siècle et lisible sur Persée, souligne l’héritage révolutionnaire et civique dans lequel le TNP entend s’inscrire :
« Si le théâtre populaire puise ses sources dans la vision de grandes fêtes théâtrales venues de l'Antiquité grecque ou du Moyen Âge, il est également très directement héritier de la période révolutionnaire. L'expression «Théâtre du peuple» est d'ailleurs forgée par le Comité de salut public en un arrêt du 10 mars 1794, dans un but de « régénération de l'art dramatique * » visant à assurer l'éducation morale et politique des nouveaux citoyens.
[…]
Le théâtre populaire dont la fête civique est l'emblème le plus convaincant, vise donc à la communion, communion entre les spectateurs et le spectacle, communion entre les spectateurs eux-mêmes. Cette communion si souvent invoquée, qui porte le thème de la participation à un niveau religieux - Gémier ne disait-il pas que le culte du théâtre était une forme de religion laïque? —, n'est possible qu'en face d'un public homogène, d'une société unitaire, confondus dans la jouissance des chefs d'oeuvre dramatiques qu'on lui offre. Ceux-ci ne sont «populaires» que pour autant qu'ils s'adressent indifféremment à tous. Public uni, culture unique : tel est le dyptique fondateur du théâtre populaire. En effet, jusqu'au milieu du 20e siècle, la France vit sur une idée de la culture héritée des Lumières, universaliste, émancipatrice, éternelle et humaniste" »
L’un des outils de Vilar dans cette démarche « universaliste » est le recours aux classiques, choisis et montés en écho à la période contemporaine :
« Universels, leur permettant de toucher la sensibilité, la curiosité «du plus grand nombre» et pourtant parlant un langage qui n'a rien de poussiéreux, c'est bien là le duo gagnant des classiques. Leur universalité n'est en effet en rien contradictoire avec leur aptitude à parler aux hommes d'aujourd'hui : « De toute grande œuvre jaillit spontanément une leçon. Il suffit de ne pas l'estomper». C'est à ce stade que la mise en scène, pourtant bien mise à mal par Vilar, a tout son rôle à jouer : elle aide à accoucher de la leçon qui se loge dans toute œuvre classique et ne demande qu'à s'exprimer, aussi valable lors de la création que trois siècles plus tard, si elle est convenablement traduite par les hommes de théâtre : « Le problème du droit des gens devant la loi est traité dans Antigone de Sophocle. Le problème du général de Gaulle à l'égard des généraux rebelles est traité peut-être dans le Cinna de Corneille et dans L'Alcade de Zalaméa». Sophocle et Cal- deron, ainsi que Brecht ou Aristophane seront donc au programme du TNP de fidèles miroirs des difficultés de I960, 1961 ou 1962. »
Mais le TNP de Vilar ne se contente pas de monter des pièces touchant le plus grand nombre. Il va également à la rencontre du public populaire, là où il est :
« Le primat constamment accordé au public - «Le public d'abord. Le reste suit toujours»" - est chez Vilar un véritable programme. […] Le temps joue en effet avec le TNP qui, en douze ans, invente des méthodes qui lui permettent de susciter, de rassembler puis de structurer un nouveau public autour desassociations culturelles , des organisations de jeunesse et des comités d'entreprises , grâce auxquels le théâtre pénètre plus profondément dans la sphère sociale. Au TNP, la Nuit Renault succède à la Matinée CEMEA lançant ainsi une véritable dynamique sociale relayée par les responsables d'association. Tout est affaire d'organisation concrète. Un nouveau «protocole» est proposé dont on connaît les termes, désormais passés à la postérité : accueil du public à 20 heures en musique, dîner froid possible sur place pour les travailleurs ne pouvant retourner manger chez eux , vente d'un livret-programme comprenant le texte de la pièce pour 1 franc, pas de pourboire pour les ouvreuses, exactitude requise dans les horaires... Ces quelques règles permettent de casser les rites du théâtre bourgeois et de mettre en confiance un public néophyte.
Le TNP ne se contente pas - et là est l'innovation majeure - d'accueillir et de fidéliser son public, mais part à la recherche du public potentiel par une efficace politique de prospection où le groupement, l'association, bref le collectif, sont au cœur du dispositif. Grâce à Jean Rouvet, administrateur du TNP jusqu'en 1959, et Sonia Debeauvais, responsable depuis 1957 des rapports avec le public, le TNP et son équipe inventent les moyens modernes de mener leur aventure populaire. Par de nouvelles formules, telles que les «week-ends», les «nuits», les «matinées étudiantes», par le système des avant- premières réservées aux groupements, systématisé à partir de 1957 en abonnements, les spectateurs, organisés en associations, deviennent moins les adhérents d'un théâtre que les protagonistes d'un grand mouvement culturel. En 1957-1958, ces associations sont au nombre de 109, en 1958- 1959, de 186, en 1959-1960, 221, en 1960- 1961, 242 puis 320 en 1961-1962 pour atteindre 361 en 1962-1963. À cette date, le TNP joue à guichets fermés toute l'année et d'aucuns dénoncent cette dérive dans l'organisation d'un public qu'on qualifie d'« enrégimenté ». Quoi qu'il en soit, le public est au rendez- vous. Personne ne peut le nier, ni ne songe à le faire. »
Pour plus de détails, nous vous conseillons la lecture du chapitre 6 de Laurent Fleury Le TNP de Vilar – une expérience de démocratisation de la culture, intitulé « Des dispositifs novateurs : l’invention d’une relation au public » et accessible en ligne sur OpenEdition.
Bonne journée.
Quelques-unes des innovations de Jean Vilar dans le rapport du théâtre au public sont évoquées dans l’article de Marion Denizot, « Du théâtre populaire à la médiation culturelle : autonomie de l’artiste et instrumentalisation », paru en 2008 dans Lien social et Politiques, et consultable sur erudit.org :
« Jean Vilar opère au Palais de Chaillot une révolution dans les pratiques d’accueil du public, afin de « désacraliser » la venue au théâtre. Il met en œuvre des dispositifs de relation avec le public particulièrement novateurs, qui seront d’ailleurs repris par d’autres institutions culturelles (Fleury, 2007) et qui rompent avec le code bourgeois de la sortie au théâtre.
Jean Vilar emprunte des éléments au projet de théâtre populaire défini en 1900 par Eugène Morel, bibliothécaire et conservateur à la Bibliothèque nationale, à la suite de l’appel à concours lancé par La Revue d’art dramatique. Eugène Morel, dans son rapport didactique, expose de manière systématique les modalités de réalisation de l’idéal du théâtre populaire.
Jean Vilar met en place
Emmanuelle Loyer, dans son article « Le théâtre national populaire au temps de Jean Vilar (1951-1963) », paru en 1998 dans la revue Vingtième siècle et lisible sur Persée, souligne l’héritage révolutionnaire et civique dans lequel le TNP entend s’inscrire :
« Si le théâtre populaire puise ses sources dans la vision de grandes fêtes théâtrales venues de l'Antiquité grecque ou du Moyen Âge, il est également très directement héritier de la période révolutionnaire. L'expression «Théâtre du peuple» est d'ailleurs forgée par le Comité de salut public en un arrêt du 10 mars 1794, dans un but de « régénération de l'art dramatique * » visant à assurer l'éducation morale et politique des nouveaux citoyens.
[…]
Le théâtre populaire dont la fête civique est l'emblème le plus convaincant, vise donc à la communion, communion entre les spectateurs et le spectacle, communion entre les spectateurs eux-mêmes. Cette communion si souvent invoquée, qui porte le thème de la participation à un niveau religieux - Gémier ne disait-il pas que le culte du théâtre était une forme de religion laïque? —, n'est possible qu'en face d'un public homogène, d'une société unitaire, confondus dans la jouissance des chefs d'oeuvre dramatiques qu'on lui offre. Ceux-ci ne sont «populaires» que pour autant qu'ils s'adressent indifféremment à tous. Public uni, culture unique : tel est le dyptique fondateur du théâtre populaire. En effet, jusqu'au milieu du 20e siècle, la France vit sur une idée de la culture héritée des Lumières, universaliste, émancipatrice, éternelle et humaniste" »
L’un des outils de Vilar dans cette démarche « universaliste » est le recours aux classiques, choisis et montés en écho à la période contemporaine :
« Universels, leur permettant de toucher la sensibilité, la curiosité «du plus grand nombre» et pourtant parlant un langage qui n'a rien de poussiéreux, c'est bien là le duo gagnant des classiques. Leur universalité n'est en effet en rien contradictoire avec leur aptitude à parler aux hommes d'aujourd'hui : « De toute grande œuvre jaillit spontanément une leçon. Il suffit de ne pas l'estomper». C'est à ce stade que la mise en scène, pourtant bien mise à mal par Vilar, a tout son rôle à jouer : elle aide à accoucher de la leçon qui se loge dans toute œuvre classique et ne demande qu'à s'exprimer, aussi valable lors de la création que trois siècles plus tard, si elle est convenablement traduite par les hommes de théâtre : « Le problème du droit des gens devant la loi est traité dans Antigone de Sophocle. Le problème du général de Gaulle à l'égard des généraux rebelles est traité peut-être dans le Cinna de Corneille et dans L'Alcade de Zalaméa». Sophocle et Cal- deron, ainsi que Brecht ou Aristophane seront donc au programme du TNP de fidèles miroirs des difficultés de I960, 1961 ou 1962. »
Mais le TNP de Vilar ne se contente pas de monter des pièces touchant le plus grand nombre. Il va également à la rencontre du public populaire, là où il est :
« Le primat constamment accordé au public - «Le public d'abord. Le reste suit toujours»" - est chez Vilar un véritable programme. […] Le temps joue en effet avec le TNP qui, en douze ans, invente des méthodes qui lui permettent de susciter, de rassembler puis de structurer un nouveau public autour des
Le TNP ne se contente pas - et là est l'innovation majeure - d'accueillir et de fidéliser son public, mais part à la recherche du public potentiel par une efficace politique de prospection où le groupement, l'association, bref le collectif, sont au cœur du dispositif. Grâce à Jean Rouvet, administrateur du TNP jusqu'en 1959, et Sonia Debeauvais, responsable depuis 1957 des rapports avec le public, le TNP et son équipe inventent les moyens modernes de mener leur aventure populaire. Par de nouvelles formules, telles que les «week-ends», les «nuits», les «matinées étudiantes», par le système des avant- premières réservées aux groupements, systématisé à partir de 1957 en abonnements, les spectateurs, organisés en associations, deviennent moins les adhérents d'un théâtre que les protagonistes d'un grand mouvement culturel. En 1957-1958, ces associations sont au nombre de 109, en 1958- 1959, de 186, en 1959-1960, 221, en 1960- 1961, 242 puis 320 en 1961-1962 pour atteindre 361 en 1962-1963. À cette date, le TNP joue à guichets fermés toute l'année et d'aucuns dénoncent cette dérive dans l'organisation d'un public qu'on qualifie d'« enrégimenté ». Quoi qu'il en soit, le public est au rendez- vous. Personne ne peut le nier, ni ne songe à le faire. »
Pour plus de détails, nous vous conseillons la lecture du chapitre 6 de Laurent Fleury Le TNP de Vilar – une expérience de démocratisation de la culture, intitulé « Des dispositifs novateurs : l’invention d’une relation au public » et accessible en ligne sur OpenEdition.
Bonne journée.
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