Question d'origine :
Bonjour, J'aimerais savoir si la moustache de Charlot est une vraie ou un postiche? Merci!
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 26/01/2021 à 08h40
Bonjour,
Le personnage du vagabond (appeléCharlot en France mais plus sobrement the tramp en version originale), a été créé en 1914 par Charles Chaplin à son arrivée aux Etats-Unis. Agé de 25 ans à l'époque, l'acteur arbore une moustache postiche pour se vieillir :
"Fraîchement recruté par le studio de cinéma Keystone à Los Angeles quelques mois après son arrivée aux États-Unis, Charlie Chaplin est envoyé au maquillage par le célèbre producteur Mack Sennett qui trouve qu’il fait trop jeune. “Tâchez d’être drôle”, lui lance l’homme. “Je ne savais absolument pas comment me maquiller”, raconte alors Charlie. “Je me dis que j’allais mettre un pantalon trop large, je voulais que tout soit en contradiction. Le pantalon large, et la veste serrée. Le chapeau trop petit et les chaussures trop grandes. Je choisissais une canne etm’ajoutais une petite moustache pour me donner quelques années de plus. ”"
(Source : Huffington post)
Dans l'ouvrage Charlie Chaplin [Livre] / André Bazin, Eric Rohmer, André Bazin souligne la popularité immédiate de la désormais proverbiale "moustache à la Charlot" et formule l'hypothèse de son influence sur un autre personnage historique, de bien plus sinistre mémoire :
"Deux hommes, depuis un demi-siècle, ont changé la face du monde: Gillette, l’inventeur et le vulgarisateur industriel du rasoir mécanique, et Charles Spencer Chaplin, auteur et vulgarisateur cinéma- tographique de “la moustache à la Charlot”. On sait que, dès ses premiers succès, Charlot suscita de nombreux imitateurs. Pasticheurs éphémères dont la trace n’est conservée que dans de rares histoires du cinéma. L’un d’eux pourtant ne figure pas à l’index alphabétique de ces ouvrages. Sa célébrité ne cesse cependant de croître à partir des années 32-33; elle atteignit rapidement celle du “little Boy “ de La Ruée vers l’or; elle l’eût peut-être dépassée si, à cette échelle, les grandeurs étaient encore mesurables. Il s’agissait d’un agitateur politique autrichien nommé Adolphe Hitler. L’étonnant, c’est que personne ne vit l’imposture ou du moins ne la prit au sérieux. Charlot pourtant ne s’y trompa pas.Il dut tout de suite sentir à la lèvre supérieure une étrange sensation, quelque chose de comparable à ce qu’est le rapt de notre tibia par un être de la quatrième dimension dans les films de Jean Painlevé. Je n’affirme évidemment pas qu’Hitler ait agi intentionnellement. Il se peut en effet qu’il n’ait commis cette imprudence que sous l’effet des influences sociologiques inconscientes et sans aucune arrière-pensée personnelle. Mais quand on s’appelle Adolphe Hitler on se doit de faire attention à ses cheveux et à sa moustache."
Selon Régis Dubois, dans un article pour Sens des images, cette identification pileuse permettra à Chaplin de ridiculiser Hitler dans un de ses plus grands films :
"Dernière étape : Le Dictateur en 1940. Chaplin s’intéresse de près à ce qui se passe en Europe. Il observe la montée du nazisme et des persécutions contre les Juifs en Allemagne. Voyant le danger se préciser, il décide de dénoncer la folie meurtrière de Hitler en se lançant dès 1938 dans la rédaction du scénario du Dictateur. Mais dorénavant il ne peut plus se taire, Charlot ne peut plus se taire, l’heure est trop grave. Ce faisant, le réalisateur règle aussi d’une manière éclatante ses comptes avec cet usurpateur de Hitler qui lui a piqué sa fameuse moustache en brosse pour en faire, pour les décennies à venir, un symbole du Mal absolu. C’est André Bazin qui en parla le mieux en 1945 dans son article « Pastiche et postiche ou le néant pour une moustache ». Le fait est d’autant plus troublant que Chaplin et Hitler sont nés à quelques jours de distance, qu’ils sont pour ainsi dire jumeaux et tout à la fois diamétralement opposés. Ils incarnent d’une certaine manière les deux facettes du 20e siècle, le meilleur et le pire.
[...]
Par une astuce scénaristique, le barbier juif prend la place du dictateur à la fin du film. La Tomenia vient d’envahir l’Österlich et le conquérant doit prononcer un discours devant une foule immense. Remarquons que la montée sur l’estrade – ou sur l’échafaud devrait-on dire – est accompagnée d’une rythmique aux accents mortuaires. Comme dans Les Temps modernes, Charlot est acculé, il faut qu’il parle. C’est maintenant le renégat Commandant Schultz qui le presse de prendre la parole. Il se lance alors dans un discours fleuve, une sorte de confession de foi humaniste restée célèbre tant par sa force que par, là encore, son aspect visionnaire. Par la même, Chaplin tombe le masque et ne joue plus. Il s’adresse directement à ses spectateurs, face caméra, et prend peu à peu possession de son personnage mythique qui disparaît pour toujours.Le maquillage s’efface, la moustache n’a jamais semblé aussi factice, le réalisateur ne cache plus ses cheveux blancs, il ne triche plus . Son regard ému le prouve. Ce faisant, il condamne Charlot qui apparaît ici pour la dernière fois."
Pour aller plus loin, outre l'essentiel de la filmographie de Charles Chaplin, vous trouverez dans nos collections :
- Charlie Chaplin [Livre] : l'homme orchestre : [exposition, Paris, Cité de la musique-Philharmonie de Paris, 11 octobre 2019-26 janvier 2020] / catalogue d'exposition sous la direction de Kate Guyon...
- Chaplin's world [Livre] : le musée de sa vie
- Charlie Chaplin [Livre] / Peter Ackroyd ; traduit de l'anglais par Bernard Turle
- Charlot [Livre] : histoire d'un mythe / textes réunis et présentés par Daniel Banda et José Moure
- Chaplin [Livre] / Michel Faucheux
- Barbe & Moustaches. [Livre] / Gabriella Lamantia ; Illustrations de Franco Testa ; Traduit de l'italien par Sylvano Servanti.
- Les poils [Livre] : histoires et bizarreries des cheveux, des toisons, des coiffeurs, des moustaches, des barbes, des chauves, des rasés, des albinos, des hirsutes, des velus et autres poilants tri...
- Histoire du poil [Livre] / sous la direction de Marie-France Auzépy et Joël Cornette
- "Charlot-Chaplin, un mythe : L'immigré vagabond", émission de Philippe Garbit sur France Culture
Bonne journée.
Le personnage du vagabond (appelé
"Fraîchement recruté par le studio de cinéma Keystone à Los Angeles quelques mois après son arrivée aux États-Unis, Charlie Chaplin est envoyé au maquillage par le célèbre producteur Mack Sennett qui trouve qu’il fait trop jeune. “Tâchez d’être drôle”, lui lance l’homme. “Je ne savais absolument pas comment me maquiller”, raconte alors Charlie. “Je me dis que j’allais mettre un pantalon trop large, je voulais que tout soit en contradiction. Le pantalon large, et la veste serrée. Le chapeau trop petit et les chaussures trop grandes. Je choisissais une canne et
(Source : Huffington post)
Dans l'ouvrage Charlie Chaplin [Livre] / André Bazin, Eric Rohmer, André Bazin souligne la popularité immédiate de la désormais proverbiale "moustache à la Charlot" et formule l'hypothèse de son influence sur un autre personnage historique, de bien plus sinistre mémoire :
"Deux hommes, depuis un demi-siècle, ont changé la face du monde: Gillette, l’inventeur et le vulgarisateur industriel du rasoir mécanique, et Charles Spencer Chaplin, auteur et vulgarisateur cinéma- tographique de “la moustache à la Charlot”. On sait que, dès ses premiers succès, Charlot suscita de nombreux imitateurs. Pasticheurs éphémères dont la trace n’est conservée que dans de rares histoires du cinéma. L’un d’eux pourtant ne figure pas à l’index alphabétique de ces ouvrages. Sa célébrité ne cesse cependant de croître à partir des années 32-33; elle atteignit rapidement celle du “little Boy “ de La Ruée vers l’or; elle l’eût peut-être dépassée si, à cette échelle, les grandeurs étaient encore mesurables. Il s’agissait d’un agitateur politique autrichien nommé Adolphe Hitler. L’étonnant, c’est que personne ne vit l’imposture ou du moins ne la prit au sérieux. Charlot pourtant ne s’y trompa pas.Il dut tout de suite sentir à la lèvre supérieure une étrange sensation, quelque chose de comparable à ce qu’est le rapt de notre tibia par un être de la quatrième dimension dans les films de Jean Painlevé. Je n’affirme évidemment pas qu’Hitler ait agi intentionnellement. Il se peut en effet qu’il n’ait commis cette imprudence que sous l’effet des influences sociologiques inconscientes et sans aucune arrière-pensée personnelle. Mais quand on s’appelle Adolphe Hitler on se doit de faire attention à ses cheveux et à sa moustache."
Selon Régis Dubois, dans un article pour Sens des images, cette identification pileuse permettra à Chaplin de ridiculiser Hitler dans un de ses plus grands films :
"Dernière étape : Le Dictateur en 1940. Chaplin s’intéresse de près à ce qui se passe en Europe. Il observe la montée du nazisme et des persécutions contre les Juifs en Allemagne. Voyant le danger se préciser, il décide de dénoncer la folie meurtrière de Hitler en se lançant dès 1938 dans la rédaction du scénario du Dictateur. Mais dorénavant il ne peut plus se taire, Charlot ne peut plus se taire, l’heure est trop grave. Ce faisant, le réalisateur règle aussi d’une manière éclatante ses comptes avec cet usurpateur de Hitler qui lui a piqué sa fameuse moustache en brosse pour en faire, pour les décennies à venir, un symbole du Mal absolu. C’est André Bazin qui en parla le mieux en 1945 dans son article « Pastiche et postiche ou le néant pour une moustache ». Le fait est d’autant plus troublant que Chaplin et Hitler sont nés à quelques jours de distance, qu’ils sont pour ainsi dire jumeaux et tout à la fois diamétralement opposés. Ils incarnent d’une certaine manière les deux facettes du 20e siècle, le meilleur et le pire.
[...]
Par une astuce scénaristique, le barbier juif prend la place du dictateur à la fin du film. La Tomenia vient d’envahir l’Österlich et le conquérant doit prononcer un discours devant une foule immense. Remarquons que la montée sur l’estrade – ou sur l’échafaud devrait-on dire – est accompagnée d’une rythmique aux accents mortuaires. Comme dans Les Temps modernes, Charlot est acculé, il faut qu’il parle. C’est maintenant le renégat Commandant Schultz qui le presse de prendre la parole. Il se lance alors dans un discours fleuve, une sorte de confession de foi humaniste restée célèbre tant par sa force que par, là encore, son aspect visionnaire. Par la même, Chaplin tombe le masque et ne joue plus. Il s’adresse directement à ses spectateurs, face caméra, et prend peu à peu possession de son personnage mythique qui disparaît pour toujours.
Pour aller plus loin, outre l'essentiel de la filmographie de Charles Chaplin, vous trouverez dans nos collections :
- Charlie Chaplin [Livre] : l'homme orchestre : [exposition, Paris, Cité de la musique-Philharmonie de Paris, 11 octobre 2019-26 janvier 2020] / catalogue d'exposition sous la direction de Kate Guyon...
- Chaplin's world [Livre] : le musée de sa vie
- Charlie Chaplin [Livre] / Peter Ackroyd ; traduit de l'anglais par Bernard Turle
- Charlot [Livre] : histoire d'un mythe / textes réunis et présentés par Daniel Banda et José Moure
- Chaplin [Livre] / Michel Faucheux
- Barbe & Moustaches. [Livre] / Gabriella Lamantia ; Illustrations de Franco Testa ; Traduit de l'italien par Sylvano Servanti.
- Les poils [Livre] : histoires et bizarreries des cheveux, des toisons, des coiffeurs, des moustaches, des barbes, des chauves, des rasés, des albinos, des hirsutes, des velus et autres poilants tri...
- Histoire du poil [Livre] / sous la direction de Marie-France Auzépy et Joël Cornette
- "Charlot-Chaplin, un mythe : L'immigré vagabond", émission de Philippe Garbit sur France Culture
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