Question d'origine :
Comment est-ce que les pays orientaux, comme le Japon, la Chine, l'Inde, la Corée, écrivaient-ils leurs musiques avant l'arrivée du système de notation musicale occidental? Y avait-il uniquement des traditions orales?
Réponse du Guichet
bml_mus
- Département : Musique
Le 10/03/2021 à 12h48
bonjour
les pays que vous citez disposent tous d'une très ancienne tradition musicale écrite, et qui n'a pas nécessairement été supplantée par le solfège occidental mais cohabite aujourd'hui avec.
Rappelons tout d'abord que ce solfège lui-même a connu une longue évolution, vers toujours plus de précision et d'exhaustivité. Mais jusque vers la fin du XVIIIè siècle, la partition écrite ne disait pas tout et accordait une part sensible à l'interprétation des musiciens. Par exemple, la notation de la basse chiffrée ou le travail d'ornementation, typiques de la musique baroque pouvaient laisser une grande latitude d'exécution. Les termes d'invention, de discrétion, de réalisation servaient alors à évoquer le travail de complétion, d'achèvement de la partition par l'interprète..
Si aujourd'hui la notation musicale peut fixer les moindres paramètres d'une oeuvre et de son exécution (de nombreux musiciens ayant même leur propre système d'écriture des nuances), l'idée que toute musique peut être totalement écrite est donc une évolution assez récente dans l'histoire de la musique occidentale. Et tout comme les musiques extra-européennes, la musique occidentale a longtemps fait appel à la tradition, à l'oralité, à des sources non-écrites, à des éléments étrangers à la notation pour parachever l'écriture solfégique.
-D'après l'article de l'Encyclopedia Universalis Musiques d'inspiration chinoise, les musiques de Chine, de Corée, du Japon, mais aussi de Mongolie et du Vietnam ressortissent d'une tradition commune :
"Dans les cinq pays en effet, on rencontre un grand nombre d'instruments semblables, une même échelle pentatonique de base dans la musique de tradition savante, la même importance de l'élément mélodique, de grandes analogies dans la terminologie musicale et des relations étroites dans l'histoire de leurs musiques. Bien entendu, chaque pays a une musique propre et on ne saurait confondre la musique chinoise avec la musique japonaise, coréenne, mongole ou vietnamienne. Mais en les considérant toutes dans leur ensemble, on pourra relever un certain nombre de traits particuliers dans les domaines de la mélodie, du mode, du rythme, des modalités d'exécution, de la notation musicale (...)"
Toutes ces musiques connaissent donc la notation écrite, même si cette dernière ne fixe généralement que des hauteurs (et non pas des rythmes, durées, ornementations, instrumentations..). La notation musicale est alors plutôt un support mnémotechnique, et un référent pour l'exercice de maître à élève.
"La notation musicale traditionnelle ne représentait que le schéma mélodique, sans aucune indication de nuance d'exécution ni de mesure. Depuis l'Antiquité, les Chinois donnaient un nom à chacun des douze sons étalons distants les uns des autres d'un demi-ton.(...)
Depuis la dynastie des Yuan (XIIIe s.), et même depuis celle des Song (XIIe s.) selon Maurice Courant, une notation nouvelle remplaçait l'ancienne pour la flûte traversière et pour les instruments à cordes comme le hu qin (vièle à deux cordes) et le yue qin (luth en forme de lune) ...
Dans chaque pays, les musiciens cherchent à inventer un système de notation pour les divers genres de musique. Il existe des partitions pour le gagaku (musique de cour du Japon) et le nō, une notation spéciale avec des signes conventionnels pour la musique de koto (Japon), de kayakeum (Corée) et de d̄àn tranh (Vietnam).
Même dans les tablatures, la nuance d'exécution, les subtilités de l'ornementation ne peuvent être rendues. L'élève ne peut jamais « lire » une partition sans recourir aux explications de son maître. Il s'agit d'une « musique écrite de tradition orale ».
De nos jours, d'autres systèmes de notation sont en usage en Extrême-Orient : notation chiffrée en Chine, notation par les caractères romains au Vietnam, notation occidentale avec un certain nombre de signes conventionnels supplémentaires dans tous les cinq pays. Mais aucune ne saurait vraiment permettre à l'élève de se passer des explications de vive voix du maître."
Pour plus de détail sur la notation musicale chinoise, son historique et ses déclinaisons nous vous recommandons cet article de François Picard Les notations musicales en Chine, qui traite notamment de la notation Gongche, utilisé depuis la dynastie Tang (618-907) et utilisé dans les 5 pays cités plus haut.
On y apprend que :
"On la trouve pour la première fois non pas en Chine même [Dunhuang 933] mais au Japon et sous forme de notation pour flûte [Annen 880, voir Giesen 1977]. Il semble qu'elle ait été inventée par les missionnaires bouddhistes japonais chargés de rapporter les Ecritures. Elle est non seulement totalement contemporaine des alphabets japonais, mais semble provenir des mêmes personnes et de la même idée (noter le son), développée sous l'influence du sanskrit par les Japonais."
-Concernant la musique indienne, la réponse est très similaire.
Il existe une notation musicale traditionnelle, mais elle n'est qu'une ossature à laquelle l'enseignement et la tradition orale appliquent les nombreux paramètres de la musique indienne. Ceux-ci peuvent être expliqués, commentés et discutés dans la littérature indienne sur les arts, sans pour autant faire l'objet d'une notation solfégique précise.
L'énoncé de la notation à 7 tons de la musique indienne figure dans un traité des arts du spectacle, le Natya Shastra, écrit entre -200 et 200 de notre ère.
Cette page sur la la notation de la musique pour la Vina illustre différentes évolutions et perfectionnements de cette notation dans le temps, et cet article : L' écrit et la notation musicale indienne:degré de représentativité traite du rapport entre l'oral et l'écrit dans la tradition musicale de l'Inde.
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