Question d'origine :
vous avez un élu qui vous demande de retirer tel document, que faites vous
Réponse du Guichet

Bonjour,
Le risque d'ingérence des autorités de tutelle dans le travail des professionnel.les de la lecture publique est une question ardue , qui s'est posée encore très récemment suite à deux affaires rapportées par l'Association des bibliothécaires français (ABF) :
" Au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), une part des choix d’achat de livres de la collectivité est en passe d’être sous-traitée au profit d’une toute jeune association bénéficiant d’une subvention municipale qui, sous couvert de partenariat, fournit ses propres recommandations de lecture dont on peut voir une piètre démonstration sur un site en construction.
À Sassenage (Isère), l’abonnement au Canard enchaîné est supprimé. Le maire, par ailleurs mis en cause dans cet hebdomadaire pour une autre affaire, justifie cette décision par l'arrêt à terme des abonnements aux journaux d'actualité, abandonnés au motif de concurrence déloyale aux buralistes."
L'ABF souligne que ces cas d'ingérence, pas forcément rares, sont rarement portés à l'attention du public, et que "la loi ne procure actuellement aucune protection contre l’arbitraire", puisqu'il n'existe actuellement aucune loi spécifiques pour les bibliothèques publiques. Il existe bien un Code de déontologie du bibliothécaire. La position des bibliothécaires vis-à-vis de leur autorité y est abordée ainsi : si "le personnel des bibliothèques applique la politique de sa collectivité tant que celle-ci ne va pas à l’encontre des lois et règlements en vigueur", il "veille à ne pas céder aux groupes de pressions politiques, religieux, idéologiques, syndicaux, sociaux qui essaieraient d'influer sur les politiques documentaires et de service par imposition forcée, interdiction ou intimidation, directement ou par le biais de la collectivité ". Cette position de principe est très importante pour notre profession, mais le code n'ayant pas de valeur légale, la "marge de manœuvre des bibliothécaires reste",
selon un article récent de la Gazette des communes, "étroite" :
« Le sujet est d’une grande complexité, explique à la Gazette la présidente de l’Association des bibliothécaires de France (ABF), Alice Bernard. Les textes de référence qui affirment notre responsabilité professionnelle n’ont pas de valeur légale, et, de plus, nous ne pouvons rien opposer au principe de libre administration des collectivités. »
[...]
A cela s’ajoute ledevoir de réserve qui incombe aux bibliothécaires comme à tout agent de collectivité. La médiatisation des affaires, quand elle se produit, passe par les syndicats ou l’opposition municipale. « Le devoir de réserve complique la découverte des situations problématiques et le recueil d’informations sur ce problème », note Alice Bernard.
Les bibliothécaires sont- ils pour autant totalement démunis face aux interventions des élus ? Même s’ils n’ont pas de base légale,les textes de référence de la profession restent, aux yeux des associations, le premier recours . « A partir de ces documents, les bibliothécaires peuvent essayer d’engager le dialogue avec les élus , explique la présidente de l’ABF. Notamment avec les nouveaux élus, qui découvrent notre métier. »
Autre point d’appui pour convaincre les élus de ne pas empiéter sur le domaine des professionnels : leschartes d’acquisition ou chartes documentaires dont se dotent certaines bibliothèques, pour fixer les principes d’enrichissement et de renouvellement des collections. Textes qui prennent toute leur force s’ils sont adoptés en conseil municipal. « Pour être efficaces en cas de conflit, il faut qu’ils soient précis. Or ils restent souvent très généraux », relativise Alice Bernard."
Le mémoire de Diane Anastassiou "Bibliothèques publiques et censure", soutenu en 2015, consultable sur le site de l'université d'Angers, cite de nombreux cas de censure, certains ayant vu les bibliothécaires capituler devant leur autorité de tutelle, comme à Orange où, à la fin des années 1990, et malgré une vaste médiatisation et une vague de soutiens importante, un bras de fer entre la mairie et la bibliothèque avait vu la démission de la directrice de celle-ci.
Selon Diane Anastassiou, les bibliothécaires peuvent toutefois "faire une demande à l’État de faire intervenir l’Inspection des Bibliothèques . Celle-ci pourra alors venir analyser la situation, remettre un rapport et agir en tant que représentante de la tutelle absolue : l’État. Bien que la marge de manœuvre de ce service se cantonne à des missions de « contrôle, d’évaluation et de conseil », elle n’en est pas moins un soutien pour les bibliothèques qui se voient confrontées au problème de censure, notamment lorsque celle-ci, vient de leur tutelle politique. Cependant on note la difficulté d’une telle procédure pour le bibliothécaire ainsi que la relativité de l’aide apportée."
Il existe également des moyens de "détourner la censure" même lorsqu'on n'obtient pas gain de cause :
"Ainsi par exemple, dans le cas de l’exposition pour adultes des illustrateurs jeunesses à la bibliothèque départementale de prêt de la Somme, située à Amiens, après l’annulation de l’exposition par le président du conseil général, les bibliothécaires se sont trouvés impuissants. Ils n’ont pas eu d’autre choix que de faire avec la décision de leur autorité de tutelle, bien qu’ils en aient appelé à l’aide de l’Association des Bibliothécaire de France. Celle-ci a bien évidemment émis un communiqué pour rappeler les préceptes du manifeste de l’Unesco et de la chartre adoptée en 1991. Et en plus, comme moyen de détourner cette censure, elle a édité le catalogue de l’exposition."
"S’opposer à sa hiérarchie s’est prendre le risque de perdre son poste ou de créer un climat difficile qui rendrait compliqué le travail du bibliothécaire. En effet, le lien de dépendance qui unit la bibliothèque à sa tutelle donne lieu à un échange quotidien et nécessaire pour le bon développement de cette dernière (en terme d’animations culturelles par exemple, c’est à la mairie de fournir les autorisations voire du matériel lorsque c’est nécessaire)."
Le mémoire cite enfin comme solution efficace la possibilité d'uneloi sur les bibliothèques publiques , régulièrement évoquée par professionnels et politiques depuis le début du XXè siècle mais jamais mis en œuvre. Une telle loi va-t-elle voir le jour cette année ? Le 3 février dernier, la sénatrice d'Ille-et-Vilaine Sylvie Robert a déposé au Sénat une proposition dans ce sens, dont l'article 1er, selon Actualitté, inscrirait dans le Code du patrimoine le principe que les missions des bibliothécaires « s’exercent dans le respect des principes de pluralisme des courants d’idées et d’opinions , d’égalité d’accès au service public et de neutralité du service public » :
"Toujours sur le même sujet, un autre article indique : « Les collections des bibliothèques sont pluralistes et diversifiées, et représentent, dans leur champ de compétence, l’ensemble des connaissances, des courants d’idées et d’opinions et des productions éditoriales. Elles sont rendues accessibles au public par tout moyen, sur place ou à distance. »
Enfin, la proposition de loi ajoute que «[l]es bibliothèques élaborent les orientations générales de leur politique documentaire », inscrivant dans la loi leur souveraineté dans le processus."
À suivre...
Pour aller plus loin :
- "Tutelles des bibliothèques territoriales", service Questions ? Réponses ! de l'Enssib
- Code de déontologie des bibliothécaires de l'ABF
- Charte de l'ABF dans la Gazette des communes
- Revue de presse "Bibliothèques et décideurs" sur le site de l'Enssib
- Dossier "La Censure" dans le numéro 41-42 de la rebue Bibluithèque(s) de l'ABF, téléchargeable sur le site de l'Enssib.
Bonne journée.
Le risque d'
" Au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), une part des choix d’achat de livres de la collectivité est en passe d’être sous-traitée au profit d’une toute jeune association bénéficiant d’une subvention municipale qui, sous couvert de partenariat, fournit ses propres recommandations de lecture dont on peut voir une piètre démonstration sur un site en construction.
À Sassenage (Isère), l’abonnement au Canard enchaîné est supprimé. Le maire, par ailleurs mis en cause dans cet hebdomadaire pour une autre affaire, justifie cette décision par l'arrêt à terme des abonnements aux journaux d'actualité, abandonnés au motif de concurrence déloyale aux buralistes."
L'ABF souligne que ces cas d'ingérence, pas forcément rares, sont rarement portés à l'attention du public, et que "
selon un article récent de la Gazette des communes, "étroite" :
« Le sujet est d’une grande complexité, explique à la Gazette la présidente de l’Association des bibliothécaires de France (ABF), Alice Bernard. Les textes de référence qui affirment notre responsabilité professionnelle n’ont pas de valeur légale, et, de plus, nous ne pouvons rien opposer au principe de libre administration des collectivités. »
[...]
A cela s’ajoute le
Les bibliothécaires sont- ils pour autant totalement démunis face aux interventions des élus ? Même s’ils n’ont pas de base légale,
Autre point d’appui pour convaincre les élus de ne pas empiéter sur le domaine des professionnels : les
Le mémoire de Diane Anastassiou "Bibliothèques publiques et censure", soutenu en 2015, consultable sur le site de l'université d'Angers, cite de nombreux cas de censure, certains ayant vu les bibliothécaires capituler devant leur autorité de tutelle, comme à Orange où, à la fin des années 1990, et malgré une vaste médiatisation et une vague de soutiens importante, un bras de fer entre la mairie et la bibliothèque avait vu la démission de la directrice de celle-ci.
Selon Diane Anastassiou, les bibliothécaires peuvent toutefois "faire une demande à l’État de faire intervenir l’
Il existe également des moyens de "détourner la censure" même lorsqu'on n'obtient pas gain de cause :
"Ainsi par exemple, dans le cas de l’exposition pour adultes des illustrateurs jeunesses à la bibliothèque départementale de prêt de la Somme, située à Amiens, après l’annulation de l’exposition par le président du conseil général, les bibliothécaires se sont trouvés impuissants. Ils n’ont pas eu d’autre choix que de faire avec la décision de leur autorité de tutelle, bien qu’ils en aient appelé à l’aide de l’Association des Bibliothécaire de France. Celle-ci a bien évidemment émis un communiqué pour rappeler les préceptes du manifeste de l’Unesco et de la chartre adoptée en 1991. Et en plus, comme moyen de détourner cette censure, elle a édité le catalogue de l’exposition."
"S’opposer à sa hiérarchie s’est prendre le risque de perdre son poste ou de créer un climat difficile qui rendrait compliqué le travail du bibliothécaire. En effet, le lien de dépendance qui unit la bibliothèque à sa tutelle donne lieu à un échange quotidien et nécessaire pour le bon développement de cette dernière (en terme d’animations culturelles par exemple, c’est à la mairie de fournir les autorisations voire du matériel lorsque c’est nécessaire)."
Le mémoire cite enfin comme solution efficace la possibilité d'une
"Toujours sur le même sujet, un autre article indique : « Les collections des bibliothèques sont pluralistes et diversifiées, et représentent, dans leur champ de compétence, l’ensemble des connaissances, des courants d’idées et d’opinions et des productions éditoriales. Elles sont rendues accessibles au public par tout moyen, sur place ou à distance. »
Enfin, la proposition de loi ajoute que «
À suivre...
- "Tutelles des bibliothèques territoriales", service Questions ? Réponses ! de l'Enssib
- Code de déontologie des bibliothécaires de l'ABF
- Charte de l'ABF dans la Gazette des communes
- Revue de presse "Bibliothèques et décideurs" sur le site de l'Enssib
- Dossier "La Censure" dans le numéro 41-42 de la rebue Bibluithèque(s) de l'ABF, téléchargeable sur le site de l'Enssib.
Bonne journée.
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