Eric Dupond-Moretti : un ministre mis en examen doit-il démissionner ?
Question d'origine :
Bonjour. Monsieur Eric Dupond-Moretti vient d’être mise en examen. Tous les médias commentent qu’un ministre en exercice mis en examen, c’est une première sous la cinquième république. Dans l’attente de cette mise en examen prévue, tous ces mêmes médias nous avaient rappelé la jurisprudence Balladur-Beregovoy. Une fois mis en examen, les prévenus démissionnaient. Non ? C’est ce que j’en ai retenu. Au regard de cette jurisprudence alors, en quoi le cas Eric Dupond-Moretti serait une première ? Pour convenances personnelles, il se donne peut-être le week-end pour réfléchir ?
Réponse du Guichet
La démission d'un ministre mis en examen n'obéit pas à un texte législatif mais résulte plutôt d’une tradition républicaine.
Bonjour,
En effet, ces derniers jours, divers articles de presse ont évoqué la règle tacite mise en place par Pierre Bérégovoy en 1992, selon laquelle un ministre mis en examen démissionne.
Le Huffington Post nous rappelle qu’il ne s’agit pas d’une jurisprudence officielle, mais plutôt d’une tradition républicaine :
« Rien en effet dans la Constitution de la Ve République ne fait état d’une obligation de quitter son poste de ministre si l’on est mis en examen. Il est plutôt question de tradition républicaine ou de “jurisprudence Balladur” comme elle est souvent surnommée. Le Premier ministre de Jacques Chirac a appliqué cette règle avec les ministres de son gouvernement en 1994, Alain Carignon (Communication), Gérard Longuet (Industrie) et Michel Roussin (Coopération), juste avant que leurs mises en examen ne soient décidées et au moment où elles devenaient inéluctables.
En réalité, le premier Premier ministre à l’avoir édictée est Pierre Bérégovoy en mai 1992. À l’époque, il demande à Bernard Tapie, ministre de la Ville de quitter ses fonctions. L’homme d’affaires va être mis en examen pour “abus de bien sociaux” et le Premier ministre veut préserver les institutions. Il réintégrera son poste à la fin de l’année après un non-lieu. On parle donc aussi de la “jurisprudence Bérégovoy-Balladur”, le second ayant suivi la pratique du premier. »
C’est aussi ce que rappelle Thierry Renoux, Professeur agrégé de Droit Public à l’ Université Aix-Marseille :
« La « jurisprudence Bérégovoy-Balladur » est une « règle » non écrite ; rien dans le texte de la Constitution ne l’impose. Au contraire, sa pratique met à mal la présomption d’innocence rappelée comme fondement de la procédure pénale par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. « Je rappelle que la mise en examen ne lève pas la présomption d’innocence », souligne en ce sens, Gérard Larcher, jeudi 15 juillet, au micro de la station de radio RTL. Une démission ministérielle consécutive à une mise en examen ? C’est « une décision qui appartient au président de la République et à lui seul » ajoute le Président du Sénat. »
Source : « Affaire Dupond-Moretti versus État » : quand la Justice s’invite dans la Constitution, blog.leclubdesjuristes.com
Cette règle n’a pas toujours été suivie. Le Figaro nous rappelle les exemples d’André Santini (2007), Brice Hortefeux (2010), et Eric Woerth en 2010 (qui, menacé par deux mises en examen, ne quitte son poste que lors d’un remaniement ministériel).
Vous demandez en quoi le cas d’Eric Dupond-Moretti constitue une « première » : d’après Le Monde, France Culture, Europe 1…, cette affaire constitue une première car c’est en effet la première fois dans l’histoire de la Ve République qu’un garde des sceaux en exercice est mis en examen par la Cour de justice de la République (CJR).
France Info nous rappelle que la CJR, seule juridiction habilitée à juger des membres du gouvernement pour des actes commis dans l'exercice de leurs fonctions, a été créée en 1993 : « Jusqu'à 1993, seul le Parlement avait la faculté d’engager des poursuites à l’encontre des membres du gouvernement devant ce qui s’appelait la Haute Cour de justice. Celle-ci devait être saisie après le vote d’un texte identique dans les deux assemblées. Elle était de fait très rarement convoquée. »
Au moment où nous rédigeons notre réponse, il semble peu probable qu’Eric Dupond-Moretti envisage une démission, d’après ses propres commentaires. Il paraît au contraire déterminé à contester sa mise en examen. Les prises de position du premier ministre Jean Castex et du président Emmanuel Macron rendent également peu probable qu’il soit poussé à la démission par le gouvernement, ou qu’il soit remplacé à l’occasion d’un remaniement ministériel :
« Dans un communiqué, le premier ministre, Jean Castex, a dit prendre acte de la mise en examen d’Eric Dupond-Moretti, assurant y voir « un acte courant dans la gestion d’une administration ». « Le premier ministre lui renouvelle toute sa confiance et lui demande de poursuivre l’action de réforme et de confortement des moyens accordés au service public de la justice », a réagi Matignon dans ce communiqué. »
Source : Le Monde
Emmanuel Macron n'a pas l'intention de voir son ministre quitter le gouvernement en cas de mise en examen. Le président n’a cessé de le répéter à son entourage ces derniers jours : "Eric Dupond-Moretti ne quittera pas le gouvernement". "C'est un non négatif", insiste un conseiller.
Avec le maintien de son ministre, Emmanuel Macron veut créer un symbole de "résistance" face à l’autorité judiciaire, qui, selon plusieurs proches du président, n’a pas à dire qui peut entrer au gouvernement et en sortir. Reste que si Eric Dupond-Moretti est bel et bien mis en examen et qu’il reste au gouvernement, la situation sera loin d'être confortable... Car il n’occupe pas n’importe quel portefeuille.
Source : Europe 1
Affaire à suivre…
Bonne journée.