Question d'origine :
Bonjour, Irène Frachon s exprimait hier sur les peines trop légères infligees a Servier. Pourquoi les médecins qui ont prescrits le Mefiator à des fins autres que celles définies par l Amm n ont ils pas été poursuivis ? Y a t il de la littérature la dessus ? Car ce sont bien ces prescriptions qui sont responsables de 90 % des décès ? On aurait pu avoir un médicament inoffensif et efficace dans son indication mais provoquant des décès en dehors… Cordialement EV
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 20/08/2021 à 13h23
Bonjour,
Faisons d'abord un petit rappel du contexte afin de comprendre de quoi nous parlons. D'après Futura sciences, leMediator , médicament contre le diabète de type 2 commercialisé entre 1976 et 2009 par le laboratoire Servier , a été pointé du doigt par la pneumologue Irène Frachon comme responsable d'atteintes cardiaques chez des patients. Souvent en cause, l'utilisation de ce médicament comme coupe-faim, détournant l'usage prescrit par l'autorisation de mise sur le marché (AMM).
En 2013, toujours selon Futura sciences, l'usage du médicament était considéré comme ayant entraîné 1800 décès, auxquelles il faut ajouter "entre 3.100 et 4.200" hospitalisations.
Le procès, tenu entre septembre 2019 et mars 2021 a vu le laboratoirecondamné pour "tromperie aggravée" et "blessures et homicides involontaires" à 2,7 millions d'euros d'amende . Par ailleurs, " Jean-Philippe Seta , ancien numéro deux du groupe et seule personne physique jugée pour ces faits, a été reconnu coupable des mêmes délits, et condamné à quatre ans de prison avec sursis ", selon le Monde. La condamnation est bien inférieure aux prescriptions du parquet, qui avait requis 10,3 millions d'euros d'amende et cinq ans de prisons dont trois fermes pour Jean-Philippe Seta.
Dans un entretien, toujours dans le Monde, Irène Frachon a fait part de sa déception vis-à-vis de la légèreté des peines :
Imaginez une femme de 60 ans qui se promène dans la rue, un motard lui arrache violemment son sac, cette femme tombe et meurt quelques jours plus tard d'une hémorragie cérébrale. Imaginez cette même femme qui consomme du Mediator et meurt d'une crise cardiaque, parce que son coeur a lâché à cause d'un médicament qu'un laboratoire lui a vendu pour gagner de l'argent. On est dans la même logique :ni le motard ni Servier ne voulaient la mort de cette femme, ils voulaient son argent , au risque de mettre sa vie en danger. Mais dans un cas, le délinquant ira en taule pour agression et homicide involontaire. Dans l'autre, l'industriel coupable de tromperie et d'homicide involontaire bénéficie d'une peine clémente.
Si nous laissons la responsabilité de cette comparaison à madame Frachon, elle a toutefois le mérite de la clarté.
Quant à laresponsabilité des médecins prescripteurs, Santé magazine révélait dès 2013 que l'Ordre des médecins la mettait en cause dès 2013, sanctionnant 115 médecins . La prescription hors AMM du Mediator était en effet courante, de l'ordre de 20 à 35 % des prescriptions totales... mais le magazine rappelait également qu'une prescription hors AMM n'est pas, en soi, illégale :
« Mais ils doivent signaler sur l’ordonnance la mention "prescription hors AMM" de façon à ce que le patient comprenne bien de quoi il s’agit », explique la juriste [Anne Laude, professeure de droit à l'université Paris Descartes].
Si ces prescriptions sont autorisées, c’est parce qu’elles peuvent présenter un intérêt lorsqu’il n’existe pas d’autre alternative thérapeutique, ou lorsque le médecin l’estime nécessaire dans l’intérêt du patient. L’utilisation du baclofène dans le traitement de l’alcoolisme, médicament à l’origine indiqué comme relaxant musculaire, en est l’exemple le plus récent. Alors pourquoi et dans quel cas les médecins sont-ils passibles de sanctions ?
Tout dépend de l’intérêt de ladite prescription pour le patient, de l’importance du risque qu’il encourt et de l’information qui lui est donnée. Celui-ci doit être informé des bénéfices, des conséquences et des risques éventuels des médicaments qui lui sont proposés. C’est vrai pour tout traitement, c’est encore plus important lorsqu’il s’agit d’une prescription hors AMM.
« Il doit être en mesure d’accepter en toute connaissance de cause l’utilisation d’un produit hors AMM », souligne le Pr Anne Laude, qui conclut : « La prescription hors AMM doit rester exceptionnelle, s’appuyer sur les données avérées de la science, être formulée dans l’intérêt du patient, après qu’il en a été dument informé. Mais il n’y a pas que des abus, la prescription hors AMM est nécessaire aux personnes malades et aux progrès de la science. »
Selon la revue Prescrire, aucun médecin n'a fait l'objet d'une mise en cause par le tribunal dans l'affaire Servier.
Une prescription de Mediator° alors banalisée et une connaissance diverse de ses effets
Pour leur défense dans le cadre de l'enquête sur le désastre du Mediator° ou devant l'Ordre, des médecins ont affirmé que les effets anorexigènes de Mediator° étaient « bien connus » et qu'ils en avaient pris connaissance par des visiteurs médicaux ou directement par des patients qui leur demandaient de le leur prescrire (2,3).
Certains ont, à l'inverse, affirmé ignorer ces effets, ou fait état de la toxicité prétendument nulle de Mediator°, à la différence d'Isoméride° (dexfenfluramine), anorexigène amphétaminique retiré du marché en raison des risques d'hypertension artérielle pulmonaire et de valvulopathie (3).
D'autres médecins ont reporté la responsabilité sur la firme, à qui a été reproché un défaut d'information sur la nature réelle de Mediator°, et sur l'Agence française du médicament, mise en cause pour n'avoir pas « joué son rôle » (3).
De nombreux professionnels ont également fait valoir la banalité de l'usager amaigrissant du Mediator avant son interdiction. Au niveau ministériel, les médecins ont également reçu un soutien, en partie destinée à éviter toute entrave à l'enquête :
En 2011, la mise en cause des médecins prescripteurs dans le désastre du Mediator° avait fait l'objet de débats, le ministre de la Santé de l'époque indiquant que « ce ne sont pas les médecins qui ont produit Mediator°. Ce ne sont pas les médecins qui étaient chargés de la police du médicament ». Mettre hors de cause les médecins prescripteurs a en particulier visé à éviter la destruction par certains d'entre eux des pièces du dossier médical témoignant d'une prescription de Mediator°, nécessaires aux victimes pour la réparation du préjudice.
[...]
Au final, les prescriptions de Mediator° ont été à l'origine de graves dommages chez des milliers de patients, mais elles ont eu peu de conséquences juridiques à l'encontre des médecins prescripteurs.Nombre de ces médecins s'en sont remis à la seule information fournie par la firme et au contrôle supposé de l'Agence française du médicament, et certains ont parfois simplement répondu à la demande des patients. Non coupables, mais non sans responsabilité dans ce désastre.
Bonne journée.
Faisons d'abord un petit rappel du contexte afin de comprendre de quoi nous parlons. D'après Futura sciences, le
En 2013, toujours selon Futura sciences, l'usage du médicament était considéré comme ayant entraîné 1800 décès, auxquelles il faut ajouter "entre 3.100 et 4.200" hospitalisations.
Le procès, tenu entre septembre 2019 et mars 2021 a vu le laboratoire
Dans un entretien, toujours dans le Monde, Irène Frachon a fait part de sa déception vis-à-vis de la légèreté des peines :
Imaginez une femme de 60 ans qui se promène dans la rue, un motard lui arrache violemment son sac, cette femme tombe et meurt quelques jours plus tard d'une hémorragie cérébrale. Imaginez cette même femme qui consomme du Mediator et meurt d'une crise cardiaque, parce que son coeur a lâché à cause d'un médicament qu'un laboratoire lui a vendu pour gagner de l'argent. On est dans la même logique :
Si nous laissons la responsabilité de cette comparaison à madame Frachon, elle a toutefois le mérite de la clarté.
Quant à la
« Mais ils doivent signaler sur l’ordonnance la mention "prescription hors AMM" de façon à ce que le patient comprenne bien de quoi il s’agit », explique la juriste [Anne Laude, professeure de droit à l'université Paris Descartes].
Si ces prescriptions sont autorisées, c’est parce qu’elles peuvent présenter un intérêt lorsqu’il n’existe pas d’autre alternative thérapeutique, ou lorsque le médecin l’estime nécessaire dans l’intérêt du patient. L’utilisation du baclofène dans le traitement de l’alcoolisme, médicament à l’origine indiqué comme relaxant musculaire, en est l’exemple le plus récent. Alors pourquoi et dans quel cas les médecins sont-ils passibles de sanctions ?
Tout dépend de l’intérêt de ladite prescription pour le patient, de l’importance du risque qu’il encourt et de l’information qui lui est donnée. Celui-ci doit être informé des bénéfices, des conséquences et des risques éventuels des médicaments qui lui sont proposés. C’est vrai pour tout traitement, c’est encore plus important lorsqu’il s’agit d’une prescription hors AMM.
« Il doit être en mesure d’accepter en toute connaissance de cause l’utilisation d’un produit hors AMM », souligne le Pr Anne Laude, qui conclut : « La prescription hors AMM doit rester exceptionnelle, s’appuyer sur les données avérées de la science, être formulée dans l’intérêt du patient, après qu’il en a été dument informé. Mais il n’y a pas que des abus, la prescription hors AMM est nécessaire aux personnes malades et aux progrès de la science. »
Selon la revue Prescrire, aucun médecin n'a fait l'objet d'une mise en cause par le tribunal dans l'affaire Servier.
Pour leur défense dans le cadre de l'enquête sur le désastre du Mediator° ou devant l'Ordre, des médecins ont affirmé que les effets anorexigènes de Mediator° étaient « bien connus » et qu'ils en avaient pris connaissance par des visiteurs médicaux ou directement par des patients qui leur demandaient de le leur prescrire (2,3).
Certains ont, à l'inverse, affirmé ignorer ces effets, ou fait état de la toxicité prétendument nulle de Mediator°, à la différence d'Isoméride° (dexfenfluramine), anorexigène amphétaminique retiré du marché en raison des risques d'hypertension artérielle pulmonaire et de valvulopathie (3).
D'autres médecins ont reporté la responsabilité sur la firme, à qui a été reproché un défaut d'information sur la nature réelle de Mediator°, et sur l'Agence française du médicament, mise en cause pour n'avoir pas « joué son rôle » (3).
De nombreux professionnels ont également fait valoir la banalité de l'usager amaigrissant du Mediator avant son interdiction. Au niveau ministériel, les médecins ont également reçu un soutien, en partie destinée à éviter toute entrave à l'enquête :
En 2011, la mise en cause des médecins prescripteurs dans le désastre du Mediator° avait fait l'objet de débats, le ministre de la Santé de l'époque indiquant que « ce ne sont pas les médecins qui ont produit Mediator°. Ce ne sont pas les médecins qui étaient chargés de la police du médicament ». Mettre hors de cause les médecins prescripteurs a en particulier visé à éviter la destruction par certains d'entre eux des pièces du dossier médical témoignant d'une prescription de Mediator°, nécessaires aux victimes pour la réparation du préjudice.
[...]
Au final, les prescriptions de Mediator° ont été à l'origine de graves dommages chez des milliers de patients, mais elles ont eu peu de conséquences juridiques à l'encontre des médecins prescripteurs.
Bonne journée.
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