Jeanne d’Arc n’était pas bergère et ne pouvait pas jouter.
CIVILISATION
+ DE 2 ANS
Le 22/12/2019 à 16h01
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Question d'origine :
Bonjours chers érudits
Merci pour votre réponse précédente.
Jeanne d’Arc n’était pas bergère car il n’y avait pas de moutons à Domrémy, et elle ne pouvais pas courir la lance puisqu’elle état paysanne. Cela est-il vrai ?
Je suis actuellement sur la lecture de l’œuvre de Michel Lamy « Jeanne d’Arc parue aux éditions Payot ». Je souhaiterai que vous m’aidiez à éclaircir deux affirmations de l’auteur pour mieux comprendre la vie complexe de la Pucelle.
1) Aux pages 68 et 69 Michel Lamy affirme que Jeanne d’Arc n’était pas bergère car elle le précise lors du procès de Rouen. Cela, je l’ai lu partout, mais, il ajoute que dans la région de Domrémy, la richesse des habitants était plutôt constituée de bétail. Il ne s’agissait donc pas d’ovins, mais de bovins. Pour cela, il s’appuie sur un ouvrage de Siméon Luce un auteur de la seconde moitié du XIXème siècle. Existe-t-il des sources à ce sujet de la part de ce dernier, précisant l’absence de moutons dans la région de Domrémy au XVeme siècle ?
2) En pages 127 et 128, Michel Lamy nous indique que jamais Jeanne d’Arc n’aurait pu courir des lances en présence de René d’Anjou, car il était impossible de toucher une lance sans être de la noblesse. Même un écuyer ne pouvait le faire avant d’être armé chevalier, au risque de briser sa carrière. René d’Anjou, spécialiste des tournois, n’aurait jamais laissé Jeanne d’Arc agir en infraction avec les coutumes exigeant un cérémonial précis, chargé de symbolisme. Michel Lamy nous précise que René d’Anjou est l’auteur d’un traité des tournois dont il existe cinq manuscrits à la Bibliothèque Nationale. Or, Sébastien Nadot, nous indique le contraire dans son livre « Le spectacle des joutes, Sport et courtoisie à la fin du Moyen Âge », paru aux Presse universitaire de Rennes. En effet, cet auteur nous précise en pages 14 et 15 qu’a cette époque, les habitants les plus humbles essayent d’imiter ces joutes avec leurs moyens. Cela représente même un loisir pour les paysans, mais qui diffèrent des joutes bourgeoises par les moyens mis en œuvre. Seul restriction, les participants de milieux trop disparates socialement ne peuvent pas s’affronter : un petit paysan ne joutera pas contre un grand seigneur.
Comment s’étonner, dans ses conditions, des dispositions équestres de Jeanne d’arc. Néanmoins, dans mes différentes lectures sur le sujet, j’ai constaté qu’un même texte pouvait être interprété différemment selon la sensibilité de l’auteur. Aussi, je souhaiterai un éclaircissement sur la situation exacte sur le sujet, à cette époque.
Merci par avance.
Bien cordialement
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 24/12/2019 à 14h22
Bonjour,
Au vu de vos nombreuses questions sur le sujet, vous maitrisez sûrement déjà bien la thématique et il nous sera difficile d’être catégorique dans nos réponses tant de légendes et de mythes circulent sur la pucelle.
De plus, nous ne pouvons que trop vous conseiller, comme nous l'avions déjà fait dans notre réponse précédente, de contacter les spécialistes du Centre Jeanne d'Arc qui restent une référence sur la question, et seront sans doute plus à même de vous répondre de façon précise.
Concernant la condition de bergère de Jeanne d’Arc, effectivement un raccourci semble avoir été pris. Sa famille est issue de la paysannerie aisée. Son père est laboureur et a été doyen du village (maire). Il possède des terres, une charrue, des animaux, une maison en pierre où Jeanne dispose de son propre lit, une exception pour l'époque. Il lui est peut-être arrivé de garder le troupeau du village, mais vraisemblablement avant ses 7 ans et avec les enfants du bourg, comme le voulait la coutume.
La page du Centre nous apprend « Jeanne fut élevée comme toutes les habitantes des campagnes, entre la maison et les champs : couture, filage, cuisine, ménage et participation à la garde des bêtes sur les communaux, sarclage, accompagnement de l'attelage lors des labours et des hersages. Elle devait savoir tenir, sans selle, sur un cheval, comme tant d'enfants de paysans.» Il semble donc établit que sa famille possédait au moins du bétail. Elle aidait donc son père et ses frères en gardant les animaux, mais nous n’en savons pas plus quant à l’espèce.
Dans Jeanne d’Arc, Histoire et dictionnaire de Philippe Contamine, on lit : « Jeanne donne un coup de main pour mener les bêtes, surtout au moment des labours, ce que rappellera son parrain Jean Morel en 1456 : « jusqu’à son départ de la maison paternelle, elle allait à la charrue et parfois gardait les animaux des champs ; elle faisait les travaux de femme, en filant et accomplissant tout le reste. » Contrairement à l’imagerie répandue de l’époque, Jeanne n’est pas une bergère : les bergers formaient le prolétariat agricole, alors que sa famille est relativement à l’aise selon les catégories de son époque. Les bergers sont aussi, dans la culture du temps, ceux à qui Dieu apparaît en premier, notamment au moment de l’annonce de la naissance du Christ. Quand des clercs écriront que Jeanne d’Arc, qui apporte un message de Dieu au roi, ils diront donc tout naturellement que c’est une bergère. Mais aller à la charrue, voire mener aux champs le troupeau de son père, ne veut pas dire garder les bêtes du troupeau communal. Jeanne elle-même souligne lors de son procès qu’elle vaquait aux besognes familières de la maison et n’allait pas aux champs avec les brebis et autres animaux (interrogatoire du 22/02/1431). »
Dans le livre de Marie-Véronique Clin Jeanne d’Arc, idées reçues, il nous est précisé : « L’image d’Epinal d’une Jeanne gardant seule des moutons dans les champs est très répandue. Elle nous reporte au thème de la pastourelle qui était très en vogue dans la littérature médiévale. Au moment même du début de la mission de Jeanne, cette image est diffusée par un diplomate du royaume de France, Perceval de Boulainvilliers, qui écrit : Comme cela se faisait chez les laboureurs, ses parents l’appliquent à la garde des agneaux et des brebis, avec d’autres fillettes de son âge. » Boulainvilliers avait pour consigne de présenter Jeanne comme une pauvre pastourelle, afin de convaincre des seigneurs de financer l’expédition de Jeanne.»
Siméon Luce (1833-1892) quant à lui, est un archiviste et historien français. Ses ouvrages sont disponibles à la bibliothèque. Son livre Jeanne d'Arc à Domremy; recherches critiques sur les origines de la mission de la Pucelle est même lisible en ligne.
Pour ce qui est de la formation équestre et guerrière de Jeanne, il nous est dit de nouveau dans l'ouvrage de Marie-Véronique Clin:
« Au moment où Jeanne reçoit la mission d’aller libérer Orléans, elle déclare que c’est impossible puisqu’elle ne sait pas monter à cheval comme un soldat. Voilà une bien piètre excuse. Jeanne, comme tous les enfants de son village, avait l’habitude d’être en contact avec des chevaux et de monter à califourchon sur leur dos pour les conduire à l’abreuvoir ou aux prés. Son père possédait un attelage pour les travaux. Depuis le XIIIe siècle, l’attelage se composait de chevaux de labours et non plus de bœufs. Jeanne s’est donc révélée très vite une excellente cavalière, maîtresse de sa monture. »
Nous trouvons également mention de cette question dans le Dictionnaire encyclopédique de Jeanne d’Arc:
« La question de l’aptitude de Jeanne à monter à cheval, tout comme celle de sa formation ont longtemps occupé les esprits et alimenté les querelles. Jeanne est souvent décrite comme une cavalière endurante et intrépide. On rappellera en guise de préambule, que la maitrise de l’art équestre ou plus simplement l’aptitude à se déplacer à cheval n’étaient guère courantes chez les femmes à cette époque, et ce quelle que soit leur condition. Jeanne était cependant familière des chevaux qu’elle a dû souvent côtoyer enfant. Un témoin oculaire rapporte qu’elle avait toujours été douée d’un courage supérieur. Il lui arrivait de s’exercer avec ses compagnes, soit à la course, soit à combattre avec des espèces de lances, ainsi qu’auraient pu faire les plus habiles chevaliers. Elle faisait même assaut contre les arbres, comme s’ils eussent été des combattants. Tous ceux qui la regardaient combattre, ne pouvaient s’empêcher de l’admirer : on prenait même plaisir à la voir dans cet exercice. »
Ses juges se poseront la question de son apprentissage et de ses capacités en la matière. Nous pouvons supposer que de la même façon qu’elle trouva sur sa route, un soutien et des « sponsors » prêts à lui offrir un cheval, sa formation au combat fut complétée au gré de son périple.
Pour continuer votre réflexion, nous vous invitons à vous plonger dans les nombreux documents de nos collections traitant de cette page de notre histoire.
Au vu de vos nombreuses questions sur le sujet, vous maitrisez sûrement déjà bien la thématique et il nous sera difficile d’être catégorique dans nos réponses tant de légendes et de mythes circulent sur la pucelle.
De plus, nous ne pouvons que trop vous conseiller, comme nous l'avions déjà fait dans notre réponse précédente, de contacter les spécialistes du Centre Jeanne d'Arc qui restent une référence sur la question, et seront sans doute plus à même de vous répondre de façon précise.
Concernant la condition de bergère de Jeanne d’Arc, effectivement un raccourci semble avoir été pris. Sa famille est issue de la paysannerie aisée. Son père est laboureur et a été doyen du village (maire). Il possède des terres, une charrue, des animaux, une maison en pierre où Jeanne dispose de son propre lit, une exception pour l'époque. Il lui est peut-être arrivé de garder le troupeau du village, mais vraisemblablement avant ses 7 ans et avec les enfants du bourg, comme le voulait la coutume.
La page du Centre nous apprend « Jeanne fut élevée comme toutes les habitantes des campagnes, entre la maison et les champs : couture, filage, cuisine, ménage et participation à la garde des bêtes sur les communaux, sarclage, accompagnement de l'attelage lors des labours et des hersages. Elle devait savoir tenir, sans selle, sur un cheval, comme tant d'enfants de paysans.» Il semble donc établit que sa famille possédait au moins du bétail. Elle aidait donc son père et ses frères en gardant les animaux, mais nous n’en savons pas plus quant à l’espèce.
Dans Jeanne d’Arc, Histoire et dictionnaire de Philippe Contamine, on lit : « Jeanne donne un coup de main pour mener les bêtes, surtout au moment des labours, ce que rappellera son parrain Jean Morel en 1456 : « jusqu’à son départ de la maison paternelle, elle allait à la charrue et parfois gardait les animaux des champs ; elle faisait les travaux de femme, en filant et accomplissant tout le reste. » Contrairement à l’imagerie répandue de l’époque, Jeanne n’est pas une bergère : les bergers formaient le prolétariat agricole, alors que sa famille est relativement à l’aise selon les catégories de son époque. Les bergers sont aussi, dans la culture du temps, ceux à qui Dieu apparaît en premier, notamment au moment de l’annonce de la naissance du Christ. Quand des clercs écriront que Jeanne d’Arc, qui apporte un message de Dieu au roi, ils diront donc tout naturellement que c’est une bergère. Mais aller à la charrue, voire mener aux champs le troupeau de son père, ne veut pas dire garder les bêtes du troupeau communal. Jeanne elle-même souligne lors de son procès qu’elle vaquait aux besognes familières de la maison et n’allait pas aux champs avec les brebis et autres animaux (interrogatoire du 22/02/1431). »
Dans le livre de Marie-Véronique Clin Jeanne d’Arc, idées reçues, il nous est précisé : « L’image d’Epinal d’une Jeanne gardant seule des moutons dans les champs est très répandue. Elle nous reporte au thème de la pastourelle qui était très en vogue dans la littérature médiévale. Au moment même du début de la mission de Jeanne, cette image est diffusée par un diplomate du royaume de France, Perceval de Boulainvilliers, qui écrit : Comme cela se faisait chez les laboureurs, ses parents l’appliquent à la garde des agneaux et des brebis, avec d’autres fillettes de son âge. » Boulainvilliers avait pour consigne de présenter Jeanne comme une pauvre pastourelle, afin de convaincre des seigneurs de financer l’expédition de Jeanne.»
Siméon Luce (1833-1892) quant à lui, est un archiviste et historien français. Ses ouvrages sont disponibles à la bibliothèque. Son livre Jeanne d'Arc à Domremy; recherches critiques sur les origines de la mission de la Pucelle est même lisible en ligne.
Pour ce qui est de la formation équestre et guerrière de Jeanne, il nous est dit de nouveau dans l'ouvrage de Marie-Véronique Clin:
« Au moment où Jeanne reçoit la mission d’aller libérer Orléans, elle déclare que c’est impossible puisqu’elle ne sait pas monter à cheval comme un soldat. Voilà une bien piètre excuse. Jeanne, comme tous les enfants de son village, avait l’habitude d’être en contact avec des chevaux et de monter à califourchon sur leur dos pour les conduire à l’abreuvoir ou aux prés. Son père possédait un attelage pour les travaux. Depuis le XIIIe siècle, l’attelage se composait de chevaux de labours et non plus de bœufs. Jeanne s’est donc révélée très vite une excellente cavalière, maîtresse de sa monture. »
Nous trouvons également mention de cette question dans le Dictionnaire encyclopédique de Jeanne d’Arc:
« La question de l’aptitude de Jeanne à monter à cheval, tout comme celle de sa formation ont longtemps occupé les esprits et alimenté les querelles. Jeanne est souvent décrite comme une cavalière endurante et intrépide. On rappellera en guise de préambule, que la maitrise de l’art équestre ou plus simplement l’aptitude à se déplacer à cheval n’étaient guère courantes chez les femmes à cette époque, et ce quelle que soit leur condition. Jeanne était cependant familière des chevaux qu’elle a dû souvent côtoyer enfant. Un témoin oculaire rapporte qu’elle avait toujours été douée d’un courage supérieur. Il lui arrivait de s’exercer avec ses compagnes, soit à la course, soit à combattre avec des espèces de lances, ainsi qu’auraient pu faire les plus habiles chevaliers. Elle faisait même assaut contre les arbres, comme s’ils eussent été des combattants. Tous ceux qui la regardaient combattre, ne pouvaient s’empêcher de l’admirer : on prenait même plaisir à la voir dans cet exercice. »
Ses juges se poseront la question de son apprentissage et de ses capacités en la matière. Nous pouvons supposer que de la même façon qu’elle trouva sur sa route, un soutien et des « sponsors » prêts à lui offrir un cheval, sa formation au combat fut complétée au gré de son périple.
Pour continuer votre réflexion, nous vous invitons à vous plonger dans les nombreux documents de nos collections traitant de cette page de notre histoire.
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