Question d'origine :
Très cher et excellent Guichet du Savoir, Je rebondis que ces histoires de "bourgeois" (de Lyon)... https://www.guichetdusavoir.org/viewtop ... on#p126942 Grâce à vous nous savons ce qu'est un "bourgeois" de Lyon. Mais alors, qu'est ce qu'un "citoyen de Lyon" ? Non, nous ne sommes pas sous la Révolution mais au cœur des XVIIe et XVIIIe siècles: je rencontre ici et là des hommes qui sont dits "citoyen de Lyon" ou plutôt "marchand citoyen de Lyon". Cela serait-il synonyme de "bourgeois de Lyon" ? Non. Je trouve parfois le titre de "bourgeois ET citoyen de Lyon" ! Peut-on m'expliquer la différence ? Merci d'avance. Thierry Depaulis
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 25/11/2020 à 16h01
Bonjour,
D’après ce que nos recherches nous ont appris, les nuances entrehabitant , citoyen et bourgeois sont, à la fin de l’ancien régime, singulièrement floues.
Dans son Introduction au dossier collectif « Citoyen, cité, espace et communautés sous l'Ancien Régime », publiée en 2017 dans les Cahiers de Framespa – nouveaux champs de l’histoire sociale et lisible sur OpenEdition, Claire Dolan pointe bien le problème que pose ce vague dans la terminologie :
« L’une des grandes difficultés posées pour l’Ancien Régime par la thématique de ce colloque estcelle des définitions et du vocabulaire .[…] Pierre Bonin fait d’abord un sort au terme de citoyenneté qui n’apparaît qu’en 1783, mais il précise surtout que la citoyenneté antique a été pensée à l’époque médiévale et moderne à travers les termes de bourgeoisie , jusqu’à ce que Rousseau provoque le basculement de sens dont la pensée de Bodin a fourni l’assise conceptuelle, en distinguant contre l’acception de son temps le bourgeois de la cité et le citoyen de la république et en différenciant clairement l’échelon local et l’échelon supérieur. »
C’est dire qu’au tournant des XVIIè et XVIIIè siècle les termes de « bourgeois » et de « citoyen » renvoient l’un à l’autre . Ainsi le Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts... [Livre] de Furetière, publié en 1690, donne comme sens au mot « bourgeois » « L’assemblage du peuple qui habite dans une ville […] se dit aussi de chaque particulier habitant de la Ville […] », et oppose le terme aux « gentilshommes et ecclésiastiques », suggérant qu’il s’agirait d’un synonyme de « membre du tiers état ». Pourtant, le premier sens de « Bourgeoisie » est définit beaucoup plus précisément un statut social, marqué par les privilèges déjà abordés dans la réponse que vous citez :
«BOURGEOISIE. s. f. Droit qu’on acquiert par la demeure qu’on fait dans une ville de jouir des privilèges qui lui sont accordés. Il faut une demeure de dix ans dans les villes franches pour acquérir les droits de bourgeoisie et l’exemption de taille. »
Or, si Furetière définit le citoyen comme « habitant d’une ville », il précise : « se dit aussi de ceux qui jouissent des privilèges d’une ville, quiont acquis droit de bourgeoisie , encore qu’ils habitent ailleurs. »
Nous précisons que nous avons modernisé l’orthographe des citations de Furetière pour des raisons de clarté.
Quoi qu’il en soit, il semble que citoyen et bourgeois soient employés quasi indifféremment à la fin de l’ancien régime. C’est du moins ce que suggère la recension par Susanne Rau de l’ouvrage d’Olivier Zeller, La bourgeoisie statutaire de Lyon et ses privilèges. Morale civique, évasion fiscal et cabarets urbains (XVIIe-XVIIIe siècles), Lyon, Editions Lyonnaises d’Art et d’Histoire, 2016, publiée en 2019 dans la revue Histoire urbaine et consultable sur Cairn en bibliothèque :
« Il a été démontré qu'il y avait une idée commune de la citoyenneté occidentale dans les villes, mais qu'elle variait selon les régions et les villes. Les privilèges récurrents associés à la citoyenneté urbaine étaient les suivants : 1) la participation à la gestion municipale, 2) la compétence devant une cour municipale, 3) les monopoles sur certaines professions ou activités, parfois l'exonération des taxes et impôts dans la ville, 4) la sécurité économique en cas d'urgence des biens et fondations municipales. »
Ce qui correspond parfaitement au droit de bourgeoisie vu plus haut. L’ouvrage d’Olivier Zeller faisant partie de nos collections, nous avons d’ailleurs pu le consulter : il apparaît que l’écrasante majorité des sources d’ancien régime citées par l’auteur utilise de préférence le terme « bourgeois », mais que lorsque « citoyen » apparaît, il recouvre apparemment la même distinction sociale – éventuellement usurpée :
« Une autre pratique reste assurée : celle qui faisait utiliser le terme de « bourgeois » comme élément des titulatures sociales que les principaux habitants faisaient utiliser dans les actes officiels, sans qu’un lien rigide avec la stricte possession du droit de bourgeoisie puisse être prouvé. […] Ceci explique que le Consulat de 1669 ait tenté d’en atténuer la valeur probatoire en certifiant très officiellement la réalité d’un usage voulant « qu’anciennement les personnes les plus qualifiées et de considération ne prenaient dans les actes que la qualité de noble homme, de citoyen et de bourgeois de la ville de Lyon. »
Nous aurions tendance à penser que les tours comme « bourgeois et citoyen de Lyon » relèvent plutôt d’une tendance du français classique à la redondance , dont témoigne d'ailleurs un document en annexe de l’ouvrage de Zeller, une déclaration royale de 1669 où Louis XIV s’exprime ainsi :
« [De par notre] pleinepuissance et autorité royale , nous avons par ces présentes, signées de notre main, dit et déclaré , disons et déclarons , voulons et nous pla ît que les véritables bourgeois et habitants de notre dite ville de Lyon jouissent de la décharge et exemption des tailles pour les maisons […] qu’ils ont dans le plat pays […] ».
Pour aller plus loin :
-Vivre à Lyon sous l’Ancien régime par Françoise Bayard.
-Grand commerce et vie urbaine au XVIe siècle : Lyon et ses marchands par Richard Gascon.
-Privilèges des bourgeois de Lyon (manuscrit)
-Note sur la collation du titre de bourgeois de Lyon accordée à François Sasset et aux « facteurs » de la banque de Côme de Médicis en 1455 par Louis Caillet
-Histoire de la bourgeoisie en France par Régine Pernoud
D’après ce que nos recherches nous ont appris, les nuances entre
Dans son Introduction au dossier collectif « Citoyen, cité, espace et communautés sous l'Ancien Régime », publiée en 2017 dans les Cahiers de Framespa – nouveaux champs de l’histoire sociale et lisible sur OpenEdition, Claire Dolan pointe bien le problème que pose ce vague dans la terminologie :
« L’une des grandes difficultés posées pour l’Ancien Régime par la thématique de ce colloque est
C’est dire qu’au tournant des XVIIè et XVIIIè siècle les termes de « bourgeois » et de « citoyen »
«
Or, si Furetière définit le citoyen comme « habitant d’une ville », il précise : « se dit aussi de ceux qui jouissent des privilèges d’une ville, qui
Nous précisons que nous avons modernisé l’orthographe des citations de Furetière pour des raisons de clarté.
Quoi qu’il en soit, il semble que citoyen et bourgeois soient employés quasi indifféremment à la fin de l’ancien régime. C’est du moins ce que suggère la recension par Susanne Rau de l’ouvrage d’Olivier Zeller, La bourgeoisie statutaire de Lyon et ses privilèges. Morale civique, évasion fiscal et cabarets urbains (XVIIe-XVIIIe siècles), Lyon, Editions Lyonnaises d’Art et d’Histoire, 2016, publiée en 2019 dans la revue Histoire urbaine et consultable sur Cairn en bibliothèque :
« Il a été démontré qu'il y avait une idée commune de la citoyenneté occidentale dans les villes, mais qu'elle variait selon les régions et les villes. Les privilèges récurrents associés à la citoyenneté urbaine étaient les suivants : 1) la participation à la gestion municipale, 2) la compétence devant une cour municipale, 3) les monopoles sur certaines professions ou activités, parfois l'exonération des taxes et impôts dans la ville, 4) la sécurité économique en cas d'urgence des biens et fondations municipales. »
Ce qui correspond parfaitement au droit de bourgeoisie vu plus haut. L’ouvrage d’Olivier Zeller faisant partie de nos collections, nous avons d’ailleurs pu le consulter : il apparaît que l’écrasante majorité des sources d’ancien régime citées par l’auteur utilise de préférence le terme « bourgeois », mais que lorsque « citoyen » apparaît, il recouvre apparemment la même distinction sociale – éventuellement usurpée :
« Une autre pratique reste assurée : celle qui faisait utiliser le terme de « bourgeois » comme élément des titulatures sociales que les principaux habitants faisaient utiliser dans les actes officiels, sans qu’un lien rigide avec la stricte possession du droit de bourgeoisie puisse être prouvé. […] Ceci explique que le Consulat de 1669 ait tenté d’en atténuer la valeur probatoire en certifiant très officiellement la réalité d’un usage voulant « qu’anciennement les personnes les plus qualifiées et de considération ne prenaient dans les actes que la qualité de noble homme, de citoyen et de bourgeois de la ville de Lyon. »
Nous aurions tendance à penser que les tours comme « bourgeois et citoyen de Lyon » relèvent plutôt d’une
« [De par notre] pleine
Pour aller plus loin :
-Vivre à Lyon sous l’Ancien régime par Françoise Bayard.
-Grand commerce et vie urbaine au XVIe siècle : Lyon et ses marchands par Richard Gascon.
-Privilèges des bourgeois de Lyon (manuscrit)
-Note sur la collation du titre de bourgeois de Lyon accordée à François Sasset et aux « facteurs » de la banque de Côme de Médicis en 1455 par Louis Caillet
-Histoire de la bourgeoisie en France par Régine Pernoud
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