Migrations vers la Bohème pendant la pèriode hussite
Question d'origine :
Bonjour Ayant découvert qui étaient les « Pikartis de Bohème » sur votre site internet : https://www.guichetdusavoir.org/viewtop ... =2&t=67489 Une question m’es venue à l’esprit : Je voulais vous demander si vous auriez accès à une liste des groupes de personnes ayant rejoint la Bohème de la première moitié des années 1400 pendant la période hussite. Je me pose des questions sur le nombre de groupes différents, sur le nombre de personnes ayant entreprit un tel voyage et sur les régions dont ces groupes étaient originaires. Merci Cette question ne me semble pas simple à répondre, j’espère que vos ressources et votre savoir faire vous simplifierons la tâche. Quoi qu’il en soit, je vous remercie pour votre travail de manière générale . Bertrand 86
Réponse du Guichet
Nous avons cherché et épluché les sources (lorsque c’était possible) de la bibliographie citée par Raoul Vaneigem (voir réponses précédentes) pour chercher des détails supplémentaires sur la migration des Picards en Bohême. Mais les informations sont à peu de variations les mêmes.
Cependant, nous avons pu retrouver l’article Picards et "Pikarti de F.-M. Bartos, dans le Bulletin de la société d’histoire du protestantisme français (vol. 80 et 81, 1931), dans lequel apparaît un extrait du
Selon l’article de Bartos, l’un des réfugiés était un certain
II explique qu’on appelait Picards les habitants de toute la partie septentrionale de la France actuelle et de la Belgique méridionale (diocèse de Cambrai, de Tournai, de Liège, de Maëstricht et d’Arras), mais que «
Il le redit un peu plus loin, « C’est elle [la persécution à Lille en 1418] apparemment qui a causé l’émigration de nombreuses familles vers la Bohême, pays de liberté évangélique… Elles venaient donc surtout de Lille et des environs ».
Il semble que les individus circulaient d’un pays à l’autre, puisque notamment le chef Gilles Meursault disparut puis réapparut à Tournai en 1420, puis à nouveau en 1423, faisant probablement des aller-retours avec la Bohême.
Il est aussi probable que d’autres individus fuyèrent les persécutions par la suite, tant elles se prolongèrent durant toutes les années 1420 dans la région (Meursault fut d’ailleurs exécuté en 1423). A Lille, certains suspects arrêtés par l’Inquisition réussirent à s’échapper en 1424. «
Toujours selon Bartos, Jean Hiellin, auteur probable du traité picard « Puer Bohemus » aurait tenté de le prouver, mais il n'en dit pas plus. Le parcours de Jean de Hiellin (ou Hieulin) est justement celui d’un réfugié « gagnant l’Allemagne du Sud, dans l’espoir de se réfugier en Bohême », « mais les périls rencontrés en chemin firent échouer cette tentative »… « il se rendit par la Suisse en Italie… » et suite à de nouvelles persécutions car « mis au pilori comme Hussite, il s’enfuit vers la Bohême. »
Combien ont-ils été à partir en Bohême ? Qui étaient-ils ? Le seul chiffre sûr que nous ayons est de 40 familles et les quelques noms connus sont cités ici ou dans notre précédente réponse.
Si l’on en croit les différentes sources de différentes époques citées et croisées, il ne semble pas qu’il y ait eu d’autres départs majeurs hormis celui de 1418, ni qu’il y ait eu de listes constituées à l’époque ou a posteriori, au départ comme à l’arrivée. La seule piste que nous voyons concernant le départ serait l’exploration des archives de l’Inquisition (tribunaux ecclésiastiques) et des villes concernées. Mais F.-M. Bartos, au vu de ses multiples notes et références, semble l’avoir déjà fait notamment dans « L’inquisition en Belgique » de Duverger, ou les inscriptions et registres des Conseils municipaux ou des comptes de Tournai, Lille...
La consultation de cet article pourrait être intéressante : Troubles à Tournai (1422-1430) de A. De la Grange dans Mémoires de la Société historique et littéraire de Tournai
Vous pouvez aussi contacter les différents services d'archives de la région :
Archives municipales de Lille
Archives départementales du Nord
Archives de l’État à Tournai
Quant à l'arrivée, il faudra se tourner du côté des Archives praguoises.
Au delà de la quantité, la conclusion de l’article insiste surtout sur les conséquences négatives de la migration des Picards en Bohême, les Picards rapidement considérés comme « radicalisés », leur présence aurait semé selon l’auteur, conflits et guerres au sein de la mouvance hussite : « C’est cette tempête de 1420 qui fait l
F.-M Bratos cite aussi la Dissertation sur les Adamites de Bohème d’Isaac de Beausobre (historien religieux calviniste) publiée dans l’Histoire de la guerre des Hussites et du Concile de Basle, Volume 2 (p. 258-370).
En effet, l’autre mouvement actif de « migration » à l’époque est lié à ce qu’Amedeo Molnar appelle une «
« Parmi les colons allemands se trouvaient de nombreux Vaudois qui étaient venus en Bohême pour fuir l’Inquisition. » p. 91 dans La Révolution hussite : une anomalie historique / Frantisek Smahel. Dans ce compte-rendu qu'il fait du livre de Molnar, Frantisek Smahel évoque le fait que «
Voici encore :« Dès 1418, bon nombre d’hérétiques venus de Belgique et du Nord-est de la France arrivèrent en Bohême. Ils furent suivis par les Vaudois qui venaient des pays allemands les uns après les autres ou en petits groupes. Les péripéties de la vie de Jean Drändorf et Frédéric Reiser attestent ces rapports révolutionnaires avec le monde environnant. Certains parmi les hussites allemands s’installèrent définitivement en Bohême… » dans Jean Hus et les traditions hussites : XVe-XIXe siècles / Joseph Macek. Il évoque aussi en p. 173 la figure de Gilles Meursault, comme en p. 238 avec Jean de Hiellin, « qui organise des contacts avec les hussites tchèques ». Il semble que le terme « praguerie » ait été utilisé au Pays Bas et en France pour désigner les hussites et plus largement toute rébellion. Jeanne d’Arc aurait même prévu une campagne en Bohême contre ces hérétiques… sa destinée fut autre.
Plus largement,
L’article Crypto- et semi-vaudois dans la Bohême hussite de Frantisek Smahel, évoque aussi la présence et l’influence vaudoise dans le mouvement hussite : «
Les vaudois eux pouvaient venir de Suisse, d’Allemagne, d’Italie ou du sud de la France... mais l’article décrit surtout des parcours d’individus. Il est notamment question de Pierre Payne arrivé en 1414 d’Oxford, mais aussi de Nicolas de Dresde.
Voir dans Les tribulations de l'ecclésiologie à la fin du Moyen Age, p. 13 la citation de Molnar en note 48 sur les érudits allemands arrivant à Prague ; ou encore dans Huss et la guerre des Hussites / par Ernest Denis p. 194, la «
Vous le voyez, pas de liste, ni de groupes précisément identifiés, mais comme vous le dites, « cette question ne me semble pas simple à répondre », et nos ressources et savoirs sont limités (notamment en ce qui concerne la maîtrise du tchèque et du latin). Le champ de la question est très vaste, il faudrait creuser l’histoire des Vaudois en France et ailleurs, et aussi regarder du côté de la Moravie, de la Pologne, de la Hongrie... toutes ces régions avec lesquelles la révolution hussite était en lien.
Voici une bibliographie sur les mouvements hussite et vaudois :
Histoire de la guerre des Hussites et du Concile de Basle. Par Jacques Lenfant. Enrichie de portraits, & de vignettes à la tête de chaque livre par Jaques Lenfant, 1731
A History of the Hussite revolution / Howard Kaminsky
Le mouvement hussite en Bohême / Josef Macek
La vauderie d'Arras : une chasse aux sorcières à l'automne du Moyen Age / Franck Mercier
Les vaudois : histoire d'une dissidence (XIIe-XVIe siècles) / Gabriel Audisio, p. 86-99 sur la diaspora vaudoise
Les fanatiques de l'apocalypse : millénaristes révolutionnaires et anarchistes mystiques au Moyen Age
Molnar Amedeo, Les vaudois en Bohême avant la révolution hussite, dans Bollettino della Sociéta di Studi Valdesi, n°116, décembre 1964, (p. 3-17)
et du même auteur dans la même revue : Les vaudois et les hussites, idem, n°132, décembre 1974, (p.27-35)
Nous vous souhaitons une bonne lecture.