Bonjour,
"Quelles étaient les pratiques de composition d'une œuvre littéraire, la méthode de travail des auteurs antiques ? Utilisaient-ils des feuillets de papyrus ou parchemin et des tablettes pour la prise de notes et la rédaction de brouillons ? Comment prenaient-ils des notes, de quelle façon recueillaient-ils des extraits au cours de la première phase de la composition d'une œuvre littéraire ? Dans l'Antiquité grecque et latine, écrivait-on soi-même les textes littéraires ?"
C'est à l'ensemble de ces interrogations qui semblent être également les vôtres que l'ouvrage de Tiziano Dorandi intitulé "
Le stylet et la tablette dans le secret des auteurs antiques" répond. Malheureusement, étant en télétravail en raison de la situation sanitaire, nous n'avons pas pu le consulter.
Vous pourrez emprunter ce livre à la BML pendant la fermeture du silo moderne, car
les documents avec une cote en K restent empruntables.
Vous trouverez une présentation de ce document au sein des
comptes rendus de la Bibliothèque des sciences de l'Antiquité (Lille 3).
La
tablette de cire est, dans l'Antiquité, un support d'écrit d'un usage très courant et sert aussi bien pour la prise de notes que pour les brouillons. Il s'agit d'un support d'écriture effaçable et réutilisable. Les feuillets de papyrus ou de parchemin ont également pu être utilisés par vos auteurs préférés.
" Les tablettes de cire ont été couramment utilisées pour écrire, de la plus haute Antiquité à la fin du Moyen Âge et même au-delà. Constituées de planchettes de bois ou d'ivoire évidées sur lesquelles était coulée une mince couche de cire de couleur noire, brune, verte ou rouge, elles servaient à noter divers textes d'usage éphémère : comptes, brouillons, exercices d'école... à l'aide d'un stylet, en métal ou en os, dont un bout était pointu, l'autre, arrondi, servant à lisser la cire.
Les tablettes pouvaient être attachées ensemble pour former des registres et, dans ce cas, elles étaient évidées et enduites de cire sur chaque face. "
source :
BNF - L'aventure des écritures Voir aussi L'exposition consacrée aux
Brouillons et sa
bibliographie.
Un article répond toutefois à quelques-unes de vos interrogations. Dans l'étude intitulée "
Écriture et pratiques intellectuelles dans le monde antique", Guglielmo Cavallo explique que dans la composition littéraire,
l'auteur tantôt écrit lui-même son propre brouillon, tantôt dicte le texte à des scribes professionnels ; dans les rédactions successives, jusqu'au moment de la publication de l'œuvre, l'auteur continue à intervenir sur le texte soit de sa propre main, soit à travers des correcteurs professionnels.
"...pour l'écriture des lettres on avait souvent recours à la dictée. En fait, la façon la plus normale de composer un texte dans le monde gréco-romain était la dictée, comme le montrent de nombreuses sources 8. Avant tout, il faut s'interroger sur le choix de la dictée. L'écriture -comme on l'a dit - était considérée comme un opus servile, qui ne convenait pas au mousikos aner, à l'homme de lettres, qui ne s'en servait que dans des cas particuliers. Mais il ne s'agissait pas seulement de cela. La dictée permettait, mieux que l' autographie, une composition à voix haute, qui s'accordait aussi bien avec les procédés du style rhétorique, dominant dans toutes les formes littéraires antiques, qu'avec la pratique de la lecture -faite pour soi-même ou dans le cadre de performances publiques : lecture à voix haute, à laquelle le texte lui-même était destiné, et qui prédominait jusqu'au VIe siècle : [...] sic fere compo-nendo quo modo pronuntiandum erit («on devra toujours composer de la façon dont on prêtera sa voix à l'écrit») avertit Quintilien9. Qui plus est, l'intellectuel antique se partageait entre negotium et otium et préférait composer ses écrits sans prendre sur le temps de l'un ni de l'autre. César dictait ses lettres pendant qu'il était en même temps occupé à écrire, lire ou écouter les autres 10. Pline l'Ancien dictait ses œuvres même à l'heure des repas, pendant qu'il se faisait masser ou essuyer après le bain, voire en voyage 11. L'autre Pline, le Jeune, après s'être réveillé le matin restait parfois encore un peu au lit et, dans l'obscurité, il composait mentalement un texte -comme s'il l'écrivait - choisissant les mots, formulant des phrases plus ou moins longues, les corrigeant ; ensuite seulement il appelait un secrétaire, faisait ouvrir les fenêtres et dictait le texte préalablement conçu 12. En définitive, grâce à la dictée, chaque moment de la journée -des negotia aux plaisirs de l'otium et aux nécessités pratiques de la vie quotidienne - pouvait être utilisé pour mettre un texte par écrit.
[...]
Les autographes antiques qui nous sont parvenus sont très rares ; il s'agit en général de textes anonymes ou d'auteurs mineurs sauvés par une conservation complètement accidentelle, des laves du Vésuve aux sables d'Egypte. Rien, en revanche, n'est directement attesté en ce qui concerne les auteurs les plus connus de la tradition littéraire grecque et latine. En effet, les minutes et les brouillons d'auteur de ces derniers n'ont pas été conservés, soit parce qu'il s'agissait de matériaux destinés à la destruction une fois éditée la version définitive, soit encore parce que, sans la protection de la lave du Vésuve ou du climat sec de la chora égyptienne, les conditions de l'environnement aptes à sauvegarder, d'une manière ou d'une autre, ce qui n'avait pas été perdu ou détruit faisaient défaut. Maryline G. Parca et Tiziano Dorandi ont établi les inventaires des documents gréco-égyptiens sur papyrus considérés comme autographes : au total une vingtaine 15 . L'intérêt de ces rédactions d'auteur fut souligné par Giorgio Pasquali, au moins pour les quelques documents connus à son époque. Pasquali écrit : «Quel aspect pouvait avoir un brouillon antique, nous le savons désormais très bien : absolument le même que celui d'un savant moderne », au point de rappeler dans certains cas les «originaux des poésies de Leopardi » 16. En effet, ces témoins présentent, à des degrés divers, des variantes interlinéaires, des ratures, des signes de renvoi, des indécisions entre les premiers essais de composition et les interventions postérieures, des répétitions, des déplacements de mots ou de passages, des ajouts pas toujours reliés de façon cohérente au contexte voisin, des incohérences de sens ou de métrique, et une disposition parfois désordonnée du texte. Le fait que les «campagnes d'interventions » soient de la même main, sans en donner la certitude absolue, rend toutefois hautement probable que les témoignages de ce genre soient autographes (à cette réserve près que dans certains cas il s'agit de simples exercices scolaires de maîtres ou d'élèves). Cela dit, la comparaison entre les époques antique et moderne montre seulement que certaines pratiques se répètent dans le temps et sont, pour cette raison, analogues, mais les procédés de l' autographie, c'est-à-dire, le rapport de l'auteur à son texte, n'en demeurent pas moins profondément divers. [...]
Les autographes qui nous sont parvenus contiennent des textes de poésie ou de prose de faible valeur littéraire. Ils ne connurent probablement pas d'autres phases de rédaction et restèrent à l'état d'ébauches. Dans d'autres cas -que l'on pense à Callimaque, aux neoteroi, à Horace qui écrivaient leurs compositions de leur propre main 23 -l'étape suivante consistait à transcrire l'autographe sur une première copie, confiée à la main d'un professionnel. Il faut admettre, en définitive, un seul passage entre la première version du texte et sa première copie. Selon Pasquali «nous pouvons [...] très bien nous imaginer comment les corrections et les rédactions alternatives, placées dans l'original à côté ou au dessus les unes des autres, pouvaient induire dès la première copie des variantes et mélanges de variantes parfois privées de sens 24. » Pour cette raison précisément, Quintilien -opposé à la dictée et favorable à l' autographie -suggérait que l'on utilisât des tablettes de cire, «du fait que sur celles-ci les ratures peuvent être faites de façon plus commode » en égalisant la cire gravée et en réécrivant (scribi optime ceris, in quibus facillima est ratio delendi ) 25 : une suggestion reprise par saint Jérôme 26. Le processus de la dictée était différent. Joseph de Ghellinck propose pour les textes patristiques, mais cela vaut aussi pour les classiques, la reconstruction suivante : «entre la dictée par l'auteur et le texte qui nous est transmis, il y a une double étape à parcourir : d'abord le passage de l'oreille à la main des sténographes ; puis, seconde étape, de l'œil à la main des scribes, qui reconstituent la sténographie en écriture ordinaire27. Cette copie, tirée de l'autographe ou d'un texte sténo-graphique écrit sous dictée, constituait le «manuscrit d'auteur», le brouillon sur lequel l'auteur continuait ensuite à travailler -avec les habituelles variantes, corrections, Nous vous laissons découvrir cette étude dans son intégralité pour en savoir plus.
Sachez que nous regrettons de ne pouvoir aller plus loin dans ces recherches (fort passionnantes) et espérons que ces maigres résultats ne vous auront pas coupé l'appétit !
Quelques documents pour aller plus loin :
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Papyrus et parchemin dans l’Antiquité gréco-romaine / Marie-Alix Desboeufs
- Lalou Elisabeth.
Les tablettes de cire médiévales. In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1989, tome 147. pp. 123-140. -
pdf-
Les tablettes à écrire de l'Antiquité à l'époque moderne / actes du colloque international du Centre national de la recherche scientifique, Paris, Institut de France, 10-11 octobre 1990
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Epigrammes [Livre] : T.1(Liv.I-VII) T.2.1(VIII-XII) T.2.2(XIII-XIV) / Martial
Bonne journée.