Question d'origine :
Bonjour J'ai été révolté, bouleversé par le roman les larmes des femmes ! Je voudrais savoir qui est à l'orgine de cette barbarie ? Pourquoi les forces publiques ne sont pas intervenues ? La France est elle la seule à avoir accompli cette sauvgerie ? Les auteurs de cette cruauté étaient ils tous des colabos ou résistants de la dernière minute comme dans l'ouvrage cité ? Merci pour vos répoonses Bonne journée
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 24/10/2020 à 09h06
Bonjour,
Si la tonte des femmes nous semble aujourd’hui « barbare », elle n’apparaissait pas telle dans le contexte de la Libération. Les travaux des historiens soulignent que la pratique fait l’objet d’un certain consensus auprès de la population et des autorités, des hommes et des femmes, des résistants historiques et de la dernière heure. Cette vengeance symbolique et cathartique est aussi une façon de refaire nation.
C’est ce que l’on peut lire dans La France virile: des femmes tondues à la Libération de Fabrice Virgili, auteur de la principale étude sur les femmes tondues en France à la Libération :
« Pour un maquisard qui a côtoyé la mort et s’est trouvé en situation de tuer un allemand ou un milicien, la « tonte » constitue incontestablement une violence moindre. L’atteinte au corps pratiqué par la coupe, même brutale, des cheveux n’est pas définitive, et l’exécution de la tondue reste exceptionnelle.Par contre, pour une bonne partie de la population, il s’agit de la première violence exercée contre l’ennemi, ou plutôt celle qui l’incarne. Elle lui permet de passer de la violence subie de l’Occupation à une violence donnée. Enfin redevenue actrice, elle s’affirme dans une identité commune patriotique . Toutefois, si l’exercice de la violence constitue un moment de communion nationale, elle ne s’en trouve pas moins prise dans un jeu d’ambivalences. Car la volonté d’agir sur l’évènement, de participer à la reconstruction d’une nation purifiée et forte, s’accompagne de l’aspiration à s’éloigner d’une situation de violence guerrière. Le rejet précoce des tontes, dès l’automne 44, n’empêche pas celles-ci de se poursuivre ni de retrouver une nouvelle légitimité au printemps 1945. Cependant, à plus long terme, le changement d’images des acteurs de la tonte manifeste le basculement entre la volonté d’effacer toutes les marques de la trahison, et celle d’en finir avec la guerre.Le passage pour la « tondue » du statut de coupable à celui de victime, et la disparition de l’aura éphémère du tondeur, rejeté au rang de résistant de la dernière heure, voire de lâche, est un processus assez long ».
Le même Fabrice Virgili, le résume aussi dans l’article «Une violence patriotique, virile», Libération, 6/08/2004 :
« Une pratique que l'on retrouve massivement en France. On estime à 20 000 le nombre des femmes tondues, depuis les petits villages jusqu'aux grandes villes. Le phénomène commence sous l'Occupation elle-même, en 1943,¬ c'est alors une pratique clandestine,¬ et dure jusqu'au début 1946. Mais les deux tiers des cas se déroulent dans le contexte immédiat de la Libération.C'est un châtiment corporel pratiqué sur des femmes dont l'opinion publique considère qu'elles ont collaboré. C'est une violence patriotique : on punit celles qui ont été du côté de l'ennemi ; et c'est une pratique virile, l'affirmation d'une punition masculine, fortement sexuée. Un châtiment sexué des faits de collaboration, et non pas le châtiment d'une collaboration sexuelle : plus de la moitié des femmes tondues n'ont pas «couché» avec l'ennemi, mais ont plutôt été les agents d'une collaboration administrative, économique, militaire. A l'égal de certains hommes. C'est donc un «châtiment en plus», parce qu'on est une femme. » […]
« Et ce n'est pas une violence spontanée :les tontes sont prévues, largement encadrées par les autorités . Des listes ont circulé, le châtiment a été annoncé. Dès 1941, on prévoit des tontes. »
Même si quelques voix la dénoncent, cette pratique semble apparaître majoritairement comme légitime :
« La formidable extension de cette pratique peut difficilement être envisagée sans une large approbation des populations, cet aspect renforçant le caractère d'évidence défini plus haut.Il existe pourtant des résistances et des condamnations face au caractère général de cette pratique . Sartre dans sa rubrique «Un promeneur dans Paris insurgé» du journal Combat exprime son «dégoût» face à ce «sadisme moyenâgeux». Le journal communiste des Bouches-du-Rhône La Marseillaisedénonce «des procédés qui rappellent précisément les pires habitudes des ignobles sadiques SA et SS », même si une semaine auparavant il vantait les «vaillants FFI» qui avaient arrêté des femmes vues en compagnie d'Allemands pour leur raser la tête. Dans la Dépêche de l'Aisne ou L'écho de la Corrèze, des articles en appellent à l'égalité entre hommes et femmes devant l'épuration. Presque partout on constate des appels de la part des FFI, FTP, CDL, ou des autorités gouvernementales pour cesser toute brimade. Pourtant ces discours hostiles aux tontes, et qui tentent de les exclure de la Libération au nom d'une certaine morale, ne paraissent pas ôter leur légitimité à celles-ci. »
«Les tontes de la Libération en France», Fabrice Virgili, p.53-66. Les Cahiers de l’IHTP, François Rouquet et Danièle Voldman (dir.),Identités féminines et violences politiques (1936-1946), n°31, octobre 1995. Nous vous conseillons vivement la lecture de cet article qui répondra à plusieurs de vos interrogations.
La recension Fabrice Virgili, La France « virile ». Des femmes tondues à la Libération, Paris, Payot, 2000, 392 p., de Luc Capdevila dans Revue d’histoire moderne & contemporaine 2002/4 (no49-4), vous permettra de vous faire une idée du contenu de son ouvrage, et montre que les tontes sont pratiquées dans toute l’Europe :
« Le travail sur les protagonistes déconstruit une fois encore le mythe du résistant de la dernière heure. Les tontes sont une des formes de l’épuration de voisinage, que Fabrice Virgili préfère qualifier d’épuration de proximité, qui participa de la régulation des sociétés locales au lendemain de l’Occupation. Selon les lieux, les tondeurs étaient des résistants, des acteurs à part entière de la Libération, des représentants des pouvoirs publics, des voisins. Mais, au-delà de ces variations, on observe surtout la société locale se ressouder au moment de la tonte contre la tondue. »[...]
«D’autres hommes ont tondu au même moment dans des circonstances similaires, dans toute l’Europe qui avait été soumise par le Troisième Reich, de Jersey à la Grèce, de la Norvège à l’Italie . Les premières tontes pour le XXe siècle ont été isolées en Belgique, en 1918, lors du retrait des troupes allemandes. Avant la Seconde Guerre mondiale, les Corps francs avaient rasé des Allemandes accusées d’avoir entretenu des relations avec des membres des forces d’occupation alliées dans la Ruhr, et en Rhénanie, dans les années 1920; puis, les Nazis prolongèrent ces violences dans les années 1930, à l’encontre des Aryennes coupables « d’ignominie ». Surtout, les phalangistes et les franquistes ont tondu massivement les républicaines, à l’arrière garde, au titre de « la vieille coutume fasciste ». Plus généralement, les tontes auraient été pratiquées au cours de cette première moitié du XXe siècle, dans toute l’Europe, à des moments où les hommes, en ayant failli dans leur mission essentielle : défendre la nation, avaient baissé la nuque et durent assister à l’humiliante occupation de leur territoire; ou par des fascistes qui, vouant à la virilité un véritable culte, faisaient du rétablissement des relations hommes-femmes selon les voies traditionnelles l’un des axes essentiels de leur reconstruction du monde. »
Luc Capdevila nuance par ailleurs le propos de Fabrice Virgili :
«Certes, une part importante de la population approuva les tontes au moment où elles se produisirent, elle s’identifiait ici aux pouvoirs de la Libération. Mais une portion non moins négligeable de la population était inquiète au même moment, elle vit dans les tontes la confirmation de ce qu’elle appréhendait : des exactions, des « règlements de compte », perpétrés par des résistants locaux auxquels elle ne s’identifiait pas et qu’elle craignait. Il nous semble que les tontes furent aussi un moyen pour les résistants locaux de se faire connaître en affirmant publiquement leur autorité. En effet, de nombreux témoignages de désapprobation remontèrent, là où c’était possible, dans les journées qui suivirent la Libération».
Pour aller plus loin :
Femmes tondues, un article très complet avec des références (même si plusieurs liens ne fonctionnent plus) sur Wikipedia
Femmes tondues et répression des « femmes à boches » en 1918, Jean-Yves Le Naour, Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, année 2000, 47-1, un article qui montre que la pratique a déjà existé en 18.
La tondue de Chartres, une autre histoire derrière l’image, article du Monde sur le documentaire de Patrice Cabouat.
Les tondues/ Alain Brossat
La tondue, 1944-1947 / Philippe Frétigné, Gérard Leray
Bonnes lectures !
Si la tonte des femmes nous semble aujourd’hui « barbare », elle n’apparaissait pas telle dans le contexte de la Libération. Les travaux des historiens soulignent que la pratique fait l’objet d’un certain consensus auprès de la population et des autorités, des hommes et des femmes, des résistants historiques et de la dernière heure. Cette vengeance symbolique et cathartique est aussi une façon de refaire nation.
C’est ce que l’on peut lire dans La France virile: des femmes tondues à la Libération de Fabrice Virgili, auteur de la principale étude sur les femmes tondues en France à la Libération :
« Pour un maquisard qui a côtoyé la mort et s’est trouvé en situation de tuer un allemand ou un milicien, la « tonte » constitue incontestablement une violence moindre. L’atteinte au corps pratiqué par la coupe, même brutale, des cheveux n’est pas définitive, et l’exécution de la tondue reste exceptionnelle.
Le même Fabrice Virgili, le résume aussi dans l’article «Une violence patriotique, virile», Libération, 6/08/2004 :
« Une pratique que l'on retrouve massivement en France. On estime à 20 000 le nombre des femmes tondues, depuis les petits villages jusqu'aux grandes villes. Le phénomène commence sous l'Occupation elle-même, en 1943,¬ c'est alors une pratique clandestine,¬ et dure jusqu'au début 1946. Mais les deux tiers des cas se déroulent dans le contexte immédiat de la Libération.
« Et ce n'est pas une violence spontanée :
Même si quelques voix la dénoncent, cette pratique semble apparaître majoritairement comme légitime :
« La formidable extension de cette pratique peut difficilement être envisagée sans une large approbation des populations, cet aspect renforçant le caractère d'évidence défini plus haut.
«Les tontes de la Libération en France», Fabrice Virgili, p.53-66. Les Cahiers de l’IHTP, François Rouquet et Danièle Voldman (dir.),Identités féminines et violences politiques (1936-1946), n°31, octobre 1995. Nous vous conseillons vivement la lecture de cet article qui répondra à plusieurs de vos interrogations.
La recension Fabrice Virgili, La France « virile ». Des femmes tondues à la Libération, Paris, Payot, 2000, 392 p., de Luc Capdevila dans Revue d’histoire moderne & contemporaine 2002/4 (no49-4), vous permettra de vous faire une idée du contenu de son ouvrage, et montre que les tontes sont pratiquées dans toute l’Europe :
« Le travail sur les protagonistes déconstruit une fois encore le mythe du résistant de la dernière heure. Les tontes sont une des formes de l’épuration de voisinage, que Fabrice Virgili préfère qualifier d’épuration de proximité, qui participa de la régulation des sociétés locales au lendemain de l’Occupation. Selon les lieux, les tondeurs étaient des résistants, des acteurs à part entière de la Libération, des représentants des pouvoirs publics, des voisins. Mais, au-delà de ces variations, on observe surtout la société locale se ressouder au moment de la tonte contre la tondue. »[...]
«
Luc Capdevila nuance par ailleurs le propos de Fabrice Virgili :
«Certes, une part importante de la population approuva les tontes au moment où elles se produisirent, elle s’identifiait ici aux pouvoirs de la Libération. Mais une portion non moins négligeable de la population était inquiète au même moment, elle vit dans les tontes la confirmation de ce qu’elle appréhendait : des exactions, des « règlements de compte », perpétrés par des résistants locaux auxquels elle ne s’identifiait pas et qu’elle craignait. Il nous semble que les tontes furent aussi un moyen pour les résistants locaux de se faire connaître en affirmant publiquement leur autorité. En effet, de nombreux témoignages de désapprobation remontèrent, là où c’était possible, dans les journées qui suivirent la Libération».
Pour aller plus loin :
Femmes tondues, un article très complet avec des références (même si plusieurs liens ne fonctionnent plus) sur Wikipedia
Femmes tondues et répression des « femmes à boches » en 1918, Jean-Yves Le Naour, Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, année 2000, 47-1, un article qui montre que la pratique a déjà existé en 18.
La tondue de Chartres, une autre histoire derrière l’image, article du Monde sur le documentaire de Patrice Cabouat.
Les tondues/ Alain Brossat
La tondue, 1944-1947 / Philippe Frétigné, Gérard Leray
Bonnes lectures !
Commentaire de
pinous57000 :
Publié le 30/10/2020 à 13:13
Soldat tondu.
Cette "sanction" était quelque fois pratiquée lors de mon service militaire en 1962 et avant.
On appelait cela "la boule à Z", Z comme à zéro.
Cette "sanction" plutôt légère pour l'époque ne traumatisait, en général, que peu ou pas "le bidasse".
Certains, quelque fois, en tiraient une certaine fierté.
Il faut dire, qu'à cette époque, la coupe "réglementaire" des cheveux était proche de la boule à Z
Pinous 57
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Commentaires 1
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