Question d'origine :
Que peut-on savoir sur l'impact du livre « La Fin de l'homme rouge » de Svetalana Aleksievitch ?
Réponse du Guichet
gds_alc
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 09/11/2020 à 16h37
Bonjour,
L’« impact » est d’importance tant du point de vue littéraire avec des œuvres qui mêlent documentaire et fiction que de la façon de traiter l’histoire. Ainsi, comme l’indique le site theatre-contemporain.net, «
La fin de l’homme rouge fait résonner les voix des témoins brisés de l’époque soviétique, voix suppliciées des Goulags, voix des survivants et des bourreaux, voix magnifiques de ceux qui ont cru qu’un jour « ceux qui ne sont rien deviendraient tout », et sont aujourd’hui orphelins d’utopie.
Par ailleurs, parler d’impact c’est aussi rappeler que l’écrivaine a reçu le prix Nobel de Littérature en 2005 pour l’ensemble de son œuvre ou encore qu’elle obtint le Prix Médicis essai pour La fin de l’homme rouge. Tous les médias lui rendent hommage.
Ainsi, dans Le Monde, Julie Clarini rapporte que « La Fin de l’homme rouge est un tombeau littéraire pour les citoyens d’un empire qui a disparu en trois jours, aussi vite que la Russie tsariste était devenue, en 1917, l’Union des soviets. Mais c’est surtout un monument à la mémoire de tous ceux qui, dans l’Histoire, se sont un jour retrouvés égarés dans leur époque. Cet exil intérieur ne peut se dire, en effet, qu’à la première personne, d’âme à âme ».
Le site La voix au chapitre dresse une revue de presse et reproduit divers interviews qui montrent clairement la répercussion de l’œuvre de Svetlana Alexievitch :
« Comment vivez-vous aujourd’hui en Biélorussie? Sentez-vous la pression?
Je suis protégée par le fait que je sois connue. Malgré tout, je dis ce que je crois nécessaire de dire. Malgré tout, j’écris ces livres. Que ça plaise au pouvoir ou non. Et je sais qu’il y aura toujours des gens qui vont les lire, pour qui ce sera un soutien. Aujourd’hui, il est très important de soutenir les gens. Ils viennent me voir à Minsk et me disent « Cela compte pour nous que vous soyez là, avec nous. Que vous parlez, que vous pouvez parler».
Votre livre, La supplication, consacré à Tchernobyl, est toujours interdit en Biélorussie?
Oui.Tous mes livres y sont interdits . Aujourd’hui (car Loukachenko flirte de nouveau avec l’Europe), mes livres qui sont sortis en Russie ont été emmenés en Biélorussie, mais... Ma fille qui est professeure dans une école a un salaire de 300 euros. Mon livre coûte 30 euros. Donc, c’est aussi un moyen [de censure, ndlr]... Mais les gens en achètent, un à plusieurs, et se le passent ensuite. Mon lectorat principal, les enseignants, les médecins, les représentants de l’intelligentsia sont aujourd’hui la partie la plus pauvre de la société.
La poursuite de la lecture de la revue de presse apporte d’autres informations. Le Soleil indique que « ses livres ont été publiés dans 19 pays », c’est-dire l’impact.
L’Obs mentionne que ses livres sont un seul texte dont le héros collectif est l’homme soviétique. Nous pensions que cette espère, qui met les intérêts de son pays et l’orgueil national avant ses propres intérêts, allait disparaître. Or, 25 ans plus tard, nous constatons qu’il n’en est rien, qu’elle est même plus vivante que jamais. « la fin de l’homme rouge » est un faux titre [le titre original peut être traduit par : « le temps secondaire »]. Le livre ne parle pas de la fin, mais de la mystérieuse persévérance de l’homme rouge. Nous avons aujourd’hui un Etat russe dirigé par un homo sovieticus très dangereux, soutenu massivement par sa population. C’est ce mystère, qui nous concerne tous, qu’elle essaye de percer. »
On l’a beaucoup comparée à Chamalov et Soljenitsyne, par réflexe de rassembler les écrivains de l’ex-bloc soviétique sous le label de la dissidence. Mais le lien le plus étroit qu’elle entretient avec eux, c’est sans doute cet usage intensif du témoignage collectif …
Ou encore
Traductrice de plusieurs de ses livres, Galia Ackerman juge que « son œuvre touche à quelque chose de très sensible» : Ses livres sont un seul texte dont le héros collectif est l'homme soviétique. Nous pensions que cette espèce, qui met les intérêts de son pays et l'orgueil national avant ses propres intérêts, allait disparaître. Or, 25 ans plus tard, nous constatons qu'il n'en est rien, qu'elle est même plus vivante que jamais. ''La Fin de l'homme rouge'' est un faux titre [le titre original peut être traduit par: ''le Temps secondaire'']. Le livre ne parle pas de la fin, mais de la mystérieuse persévérance de l'homme rouge. Nous avons aujourd'hui un État russe dirigé par un homo sovieticus très dangereux, soutenu massivement par sa population. C'est ce mystère, qui nous concerne tous, qu'elle essaye de percer.» On l'a beaucoup comparée à Chalamov et Soljenitsyne, par réflexe de rassembler les écrivains de l'ex-bloc soviétique sous le label de la dissidence. Mais le lien le plus étroit qu'elle entretient avec eux, c'est sans doute cet usage intensif du témoignage collectif, si important dans « l'Archipel du Goulag»(composé à partir de 227 témoignages), et du fragment. « Je n'écris pas une histoire sèche (...), j'écris l'histoire des sentiments, écrit-t-elle. Qu'est-ce que l'homme pensait, comprenait et retenait pendant tel événement? En quoi croyait-il ou ne croyait-il pas ? Quelles illusions, espoirs, peurs avait-il? C'est ce qu'on ne peut imaginer, inventer, en tout cas pas dans une telle multitude de détails véridiques. Nous oublions rapidement comment nous étions il y a dix, vingt ou cinquante ans. (...) Mais je compose le monde de mes livres de milliers de voix, de destins, de morceaux de notre quotidien et de notre expérience.» Dans son dernier livre, « la Fin de l'homme rouge», apothéose de son œuvre, consacré à la désastreuse transition capitaliste des années 1990, l'empilement de ces « morceaux»produit une impression troublante: des voix presque anonymes jetées les unes sur les autres, se contredisant entre elles (on y trouvait des nostalgiques de l'URSS, des libéraux déçus, des mécontents imprécis), qui finissent par acquérir une unité étrange, comme si un grand corps malade hurlait tout et son contraire. L'histoire chez elle est une mosaïque de détails et de souvenirs. « La Fin de l'homme rouge» est un livre magnifique, un recueil de vies minuscules dont chacune pourrait être un grand roman. Tel homme qui se rappelle être allé rendre sa carte du Parti après le putsch de 1991. Tel autre qui se souvient de la soudaine frénésie de commerce dans les rues de Moscou. Tel autre qui hait le capitalisme parce qu'il doit désormais s'inquiéter d'être bien ou mal habillé. Tel autre qui grommelle qu'on a « vendu un grand pays pour des jeans, des Marlboros et du chewing-gum.
Elle rapporte dans Le Monde :
J’ai l’impression de ne faire qu’un seul livre, un livre qui raconte l’histoire de l’âme russe et soviétique. Quand j’ai commencé, en1978, pour ce qui allait devenir mon premier ouvrage,La guerre n’a pas un visage de femme, j’avais une trentaine d’années et déjà une première intuition. Je me suis aperçue, en recueillant ces témoignages de femmes sur la seconde guerre mondiale, que l’idéologie soviétique était encore très puissante. D’ailleurs, il n’y aurait pas eu de victoire russe si cet idéal n’avait pas été si fort. Mais quand je suis allée en Afghanistan quelques années plus tard, que j’ai parlé avec les gens là-bas, j’ai réalisé que cet idéal était fissuré. J’ai donc compris que ces livres allaient former un tout. Puis, en1992, juste après la perestroïka, j’ai été témoin de la vague de suicides (la perestroïka a été faite par une fine couche d’intellectuels; le peuple, lui, était perdu). Ce sujet m’a inspiré Ensorcelés par la mort, qui a été une première ébauche de La Fin de l’homme rouge(2013). C’est là qu’a pris définitivement forme le projet sur « l’homme rouge », de sa naissance à son déclin.
Ces écrits suscitent de vives réactions : Le 11 septembre dernier, le monde de la Culture se mobilisait :
Svetlana Alexievitch harcelée en Biélorussie : « Il faut se savoir soutenu pour tenir soi-même »
Nous vous laissons aussi écouter sur France culture l’émission sur Svetlana Alexievitch, la vérité dissidente
Enfin, si vous doutiez encore de l’impact des écrits de cette auteure, nous vous laissons parcourir l’étude Svetlana Alexievitch : à l’écoute de ceux pour qui le temps s’est arrêté…
En guise de conclusion, Svetlana Alexievitch nous a conduit bien loin, dans une toute autre temporalité, une temporalité si éloignée de notre monde quotidien, qu’il nous a fallu plus de 72 heures pour vous répondre … nous nous en excusons.
L’« impact » est d’importance tant du point de vue littéraire avec des œuvres qui mêlent documentaire et fiction que de la façon de traiter l’histoire. Ainsi, comme l’indique le site theatre-contemporain.net, «
La fin de l’homme rouge fait résonner les voix des témoins brisés de l’époque soviétique, voix suppliciées des Goulags, voix des survivants et des bourreaux, voix magnifiques de ceux qui ont cru qu’un jour « ceux qui ne sont rien deviendraient tout », et sont aujourd’hui orphelins d’utopie.
Par ailleurs, parler d’impact c’est aussi rappeler que l’écrivaine a reçu le prix Nobel de Littérature en 2005 pour l’ensemble de son œuvre ou encore qu’elle obtint le Prix Médicis essai pour La fin de l’homme rouge. Tous les médias lui rendent hommage.
Ainsi, dans Le Monde, Julie Clarini rapporte que « La Fin de l’homme rouge est un tombeau littéraire pour les citoyens d’un empire qui a disparu en trois jours, aussi vite que la Russie tsariste était devenue, en 1917, l’Union des soviets. Mais c’est surtout un monument à la mémoire de tous ceux qui, dans l’Histoire, se sont un jour retrouvés égarés dans leur époque. Cet exil intérieur ne peut se dire, en effet, qu’à la première personne, d’âme à âme ».
Le site La voix au chapitre dresse une revue de presse et reproduit divers interviews qui montrent clairement la répercussion de l’œuvre de Svetlana Alexievitch :
« Comment vivez-vous aujourd’hui en Biélorussie? Sentez-vous la pression?
Je suis protégée par le fait que je sois connue. Malgré tout, je dis ce que je crois nécessaire de dire. Malgré tout, j’écris ces livres. Que ça plaise au pouvoir ou non.
Votre livre, La supplication, consacré à Tchernobyl, est toujours interdit en Biélorussie?
Oui.
La poursuite de la lecture de la revue de presse apporte d’autres informations. Le Soleil indique que « ses livres ont été publiés dans 19 pays », c’est-dire l’impact.
L’Obs mentionne que ses livres sont un seul texte dont le héros collectif est l’homme soviétique. Nous pensions que cette espère, qui met les intérêts de son pays et l’orgueil national avant ses propres intérêts, allait disparaître. Or, 25 ans plus tard, nous constatons qu’il n’en est rien, qu’elle est même plus vivante que jamais. « la fin de l’homme rouge » est un faux titre [le titre original peut être traduit par : « le temps secondaire »]. Le livre ne parle pas de la fin, mais de la mystérieuse persévérance de l’homme rouge. Nous avons aujourd’hui un Etat russe dirigé par un homo sovieticus très dangereux, soutenu massivement par sa population. C’est ce mystère, qui nous concerne tous, qu’elle essaye de percer. »
On l’a beaucoup comparée à Chamalov et Soljenitsyne, par réflexe de rassembler les écrivains de l’ex-bloc soviétique sous le label de la dissidence. Mais le lien le plus étroit qu’elle entretient avec eux, c’est sans doute cet usage intensif du témoignage collectif …
Ou encore
Traductrice de plusieurs de ses livres, Galia Ackerman juge que « son œuvre touche à quelque chose de très sensible» : Ses livres sont un seul texte dont le héros collectif est l'homme soviétique. Nous pensions que cette espèce, qui met les intérêts de son pays et l'orgueil national avant ses propres intérêts, allait disparaître. Or, 25 ans plus tard, nous constatons qu'il n'en est rien, qu'elle est même plus vivante que jamais. ''La Fin de l'homme rouge'' est un faux titre [le titre original peut être traduit par: ''le Temps secondaire'']. Le livre ne parle pas de la fin, mais de la mystérieuse persévérance de l'homme rouge. Nous avons aujourd'hui un État russe dirigé par un homo sovieticus très dangereux, soutenu massivement par sa population. C'est ce mystère, qui nous concerne tous, qu'elle essaye de percer.» On l'a beaucoup comparée à Chalamov et Soljenitsyne, par réflexe de rassembler les écrivains de l'ex-bloc soviétique sous le label de la dissidence. Mais le lien le plus étroit qu'elle entretient avec eux, c'est sans doute cet usage intensif du témoignage collectif, si important dans « l'Archipel du Goulag»(composé à partir de 227 témoignages), et du fragment. « Je n'écris pas une histoire sèche (...), j'écris l'histoire des sentiments, écrit-t-elle. Qu'est-ce que l'homme pensait, comprenait et retenait pendant tel événement? En quoi croyait-il ou ne croyait-il pas ? Quelles illusions, espoirs, peurs avait-il? C'est ce qu'on ne peut imaginer, inventer, en tout cas pas dans une telle multitude de détails véridiques. Nous oublions rapidement comment nous étions il y a dix, vingt ou cinquante ans. (...) Mais je compose le monde de mes livres de milliers de voix, de destins, de morceaux de notre quotidien et de notre expérience.» Dans son dernier livre, « la Fin de l'homme rouge», apothéose de son œuvre, consacré à la désastreuse transition capitaliste des années 1990, l'empilement de ces « morceaux»produit une impression troublante: des voix presque anonymes jetées les unes sur les autres, se contredisant entre elles (on y trouvait des nostalgiques de l'URSS, des libéraux déçus, des mécontents imprécis), qui finissent par acquérir une unité étrange, comme si un grand corps malade hurlait tout et son contraire. L'histoire chez elle est une mosaïque de détails et de souvenirs. « La Fin de l'homme rouge» est un livre magnifique, un recueil de vies minuscules dont chacune pourrait être un grand roman. Tel homme qui se rappelle être allé rendre sa carte du Parti après le putsch de 1991. Tel autre qui se souvient de la soudaine frénésie de commerce dans les rues de Moscou. Tel autre qui hait le capitalisme parce qu'il doit désormais s'inquiéter d'être bien ou mal habillé. Tel autre qui grommelle qu'on a « vendu un grand pays pour des jeans, des Marlboros et du chewing-gum.
Elle rapporte dans Le Monde :
J’ai l’impression de ne faire qu’un seul livre, un livre qui raconte l’histoire de l’âme russe et soviétique. Quand j’ai commencé, en1978, pour ce qui allait devenir mon premier ouvrage,La guerre n’a pas un visage de femme, j’avais une trentaine d’années et déjà une première intuition. Je me suis aperçue, en recueillant ces témoignages de femmes sur la seconde guerre mondiale, que l’idéologie soviétique était encore très puissante. D’ailleurs, il n’y aurait pas eu de victoire russe si cet idéal n’avait pas été si fort. Mais quand je suis allée en Afghanistan quelques années plus tard, que j’ai parlé avec les gens là-bas, j’ai réalisé que cet idéal était fissuré. J’ai donc compris que ces livres allaient former un tout. Puis, en1992, juste après la perestroïka, j’ai été témoin de la vague de suicides (la perestroïka a été faite par une fine couche d’intellectuels; le peuple, lui, était perdu). Ce sujet m’a inspiré Ensorcelés par la mort, qui a été une première ébauche de La Fin de l’homme rouge(2013). C’est là qu’a pris définitivement forme le projet sur « l’homme rouge », de sa naissance à son déclin.
Ces écrits suscitent de vives réactions : Le 11 septembre dernier, le monde de la Culture se mobilisait :
Svetlana Alexievitch harcelée en Biélorussie : « Il faut se savoir soutenu pour tenir soi-même »
Nous vous laissons aussi écouter sur France culture l’émission sur Svetlana Alexievitch, la vérité dissidente
Enfin, si vous doutiez encore de l’impact des écrits de cette auteure, nous vous laissons parcourir l’étude Svetlana Alexievitch : à l’écoute de ceux pour qui le temps s’est arrêté…
En guise de conclusion, Svetlana Alexievitch nous a conduit bien loin, dans une toute autre temporalité, une temporalité si éloignée de notre monde quotidien, qu’il nous a fallu plus de 72 heures pour vous répondre … nous nous en excusons.
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