Question d'origine :
Bonjour cher guichet ! Je viens à toi pour savoir si tu pouvais m'éclairer sur la signification d'un vers de Louis Aragon dans son poème "J'arrive où je suis étranger". A l'oral je ne comprenais pas bien, mais l'écrit ne m'aide guère plus. Il s'agit de "Un cuir a crier qu'on corroie". Je ne comprend encore moins l'utilisation de l'infinitif du verbe "crier". Quant à "corroie" ? Verbe corroyer ? Corroir ? Voici le texte en entier avec le vers en question en majuscules :
Merci en tout cas de votre aide !
J'arrive où je suis étranger
Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre pour le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger
Un jour tu passes la frontière
D'où viens-tu mais où vas-tu donc
Demain qu'importe et qu'importe hier
Le cœur change avec le chardon
Tout est sans rime ni pardon
Passe ton doigt là sur ta tempe
Touche l'enfance de tes yeux
Mieux vaut laisser basses les lampes
La nuit plus longtemps nous va mieux
C'est le grand jour qui se fait vieux
Les arbres sont beaux en automne
Mais l'enfant qu'est-il devenu
Je me regarde et je m'étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus
Peu a peu tu te fais silence
Mais pas assez vite pourtant
Pour ne sentir ta dissemblance
Et sur le toi-même d'antan
Tomber la poussière du temps
C'est long vieillir au bout du compte
Le sable en fuit entre nos doigts
C'est comme une eau froide qui monte
C'est comme une honte qui croît
UN CUIR A CRIER QU'ON CORROIE.
C'est long d'être un homme une chose
C'est long de renoncer à tout
Et sens-tu les métamorphoses
Qui se font au-dedans de nous
Lentement plier nos genoux
Ô mer amère ô mer profonde
Quelle est l'heure de tes marées
Combien faut-il d'années-secondes
À l'homme pour l'homme abjurer
Pourquoi pourquoi ces simagrées
Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre pour le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger
Réponse du Guichet
bml_litt
- Département : Langues et Littératures
Le 30/09/2017 à 08h17
Bonjour,
A travers ce très beau texte d'Aragon sur le temps qui passe, la vieillesse et la mort, le poète entend marquer l’esprit de son lecteur. Aussi met-il à profit un certain nombre d’outils stylistiques qu’il a soigneusement piochés dans sa besace de poète.
« Un cuir à crier qu’on corroie » : quelle étrange façon en effet d’aborder la pulsion de la vie avec ces mots qui convoquent des images très précises.
D’abord remarquez comme la lettre « c » revient frapper nos esprits. C’est que Aragon, par cette allitération de forcené, entend bien marteler la dureté de notre destin. Cette figure de style qui met en jeu des sonorités identiques afin de créer un effet sur le lecteur est un ressort fréquent en poésie.
Et voyez ensuite comme il pousse l’image poétique au point de comparer notre enveloppe charnelle à un cuir que le tanneur aura travaillé. Car oui, le verbe du premier groupe « corroyer » renvoie à cette technique très particulière consistant à préparer des cuirs pour les rendre plus souple après le tannage et leur donner un dernier apprêt. Du reste l’expression rappelle celle bien plus connue d’ « avoir le cuir dur » (autrement dit être fort, résister).
Et regardez enfin comme il anthropomorphise cette même enveloppe charnelle en lui prêtant les cris d’un être vivant qui soufre, gémit, sans doute parce que se frotter à la vie n’est jamais simple affaire et que la rugosité de l’Expérience, tout simplement, l’y incite.
Très beau poème, en effet, merci en tout cas de nous l’avoir soumis : nous avons eu plaisir à le visiter !
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Commentaires 1
Commentaire de
L’Iscairote :
Publié le 03/12/2022 à 13:14
Bonjour,
pouvez-vous également m’éclairer ainsi que ceux que cela intéresserait sur le sens du vers « le cœur change avec le chardon » ?
Merci pour votre contribution à l’éveil culturel et à la sensibilité qu’il développe...
Adolescent J’écoutais en boucle Ferrat chantant Aragon.
Aujourd’hui que j’ai largement franchi le mitan de ma vie je comprends et ressens enfin ce poème.
Je n’ai pas trouvé d’autres sites expliquant les poème d’Aragon; quels sont les ouvrages ou collections bien documentés qui analysent ses textes et d’autres de nos grands hommes littéraires ?
Encore merci.
Bien cordialement Michel l’Iscairote
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