Quelle est la plus vieille religion que l'Homme ait jamais inventée ?
Question d'origine :
Bonjour (ou bonsoir), aujourd'hui, j'aimerai savoir si nous savons (à peut près) quel est la plus vieille religion/mythologie, orale/ou écrite (bien que je présume qu'elle soit plus orale) que l'Homme est jamais inventé ?
Est-ce que nous avons des "traces"/"témoignages" d'une chose aussi vieille ? En faisant mes recherches sur le net (Wikipédia notamment), j'arrive à trouver les mythes des aborigènes d'Australie (histoire du Temps du Rêve) mais cette dernière n'est datée "que" du 50e millénaire avant JC (soit il y a 50 000 ans) alors que les plus vieilles trace de l'Homme (homo sapiens) remontent a plus de 300 000 ans. Cela m'étonnerait donc qu'il n'y ai eût aucune religion/mythologie entre temps. Peut être sous forme de sculpture ? Dessins ? Impossible de trouver des traces.
Réponse du Guichet
De nombreux historiens des religions, mythologues et anthropologues ont tenté de répondre à cette question en s’intéressant aux premières sépultures et à l’art pariétal. Les sépultures ne permettent pas de tirer de conclusions certaines et l'art pariétal, plus interprétable, date du Paléolithique supérieur. Si certains y ont vu des traces de chamanisme, de totémisme ou des rites de fécondité ou de chasse, aucune de ces interprétations ne prévaut. Si la probabilité paraît grande que les peintures rupestres aient à voir avec le mythe, les spécialistes en sont réduits à des hypothèses plus ou moins étayées.
Bonjour,
L'article Les religions de la Préhistoire, sur Wikipédia résume bien la situation. Il n'y a pas de traces probantes avant le Paléolithique supérieur, et même alors, elles sont sujettes à caution.
Yves Lambert, dans La naissance des religions, dans le chapitre Le chamanisme des chasseurs cueilleurs, constate qu’on ne peut que conjecturer l’existence d’une forme de religion au paléolithique, sans pouvoir avoir de certitudes:
«Les peuples chasseurs cueilleurs du paléolithique supérieur étaient-ils chamanistes? Les fameuses figurations pariétales qu’ils ont réalisées dans des grottes en Europe (surtout en Espagne et en France) et en Russie représentent surtout des signes abstraits ou géométriques, des animaux, moins souvent des vulves, rarement des phallus. L’hypothèse d’un chamanisme n’est pas exclue, mais rien ne l’atteste. Les animaux les plus représentés ne sont pas les plus chassés, il n’y a pas de scène de chasse, seulement de rares cas d’animaux touchés par une flèche ou une sagaie. Un ouvrage récent avance que le chamanisme était alors universel. Il s’appuie sur la loi des «trois stades de la transe», qui selon certains neuropsychologues, entraîneraient la perception successive :
- De ponts lumineux et de traits épars;
- De l’organisation de ces éléments en figures géométriques;
- De configurations plus complexes.
Ces figures dites «entoptiques» seraient reproduites dans les divers types de figures rupestres. Il est vrai que certaines formes de chamanisme utilisent des hallucinogènes (cf. le chapitre suivant) et il est prouvé que certains produits engendrent les trois effets précédents mais ces produits (la mescaline, le LSD) n’étaient pas disponibles alors. Il est néanmoins possible que ces figures aient pu servir à des rites d’identification-simulation. André Leroi-Gourhan y voit s’exprimer de manière prédominante une opposition de type masculin/féminin mais cette hypothèse a suscité des réserves y compris de sa part. On peut toujours relier les symboles sexuels à de supposés rites de fécondité et voir dans les grottes elles-mêmes un symbole chtonien, un utérus. En fait, on en reste aux hypothèses.» (p.62).
L’Introduction : La Naissance des Religions. De la préhistoire aux religions universalistes est en ligne sur le Journal du MAUSS, 5 mars 2009.
Nous vous laissons consulter «l’ouvrage récent» qui n’a pas convaincu l’auteur :
Les chamanes de la préhistoire : transe et magie dans les grottes ornées, Jean Clottes et David Lewis-Williams, et lire l’article: L’hypothèse controversée d’un chamanisme préhistorique, Le Monde, 28/03/2001.
Voir aussi:
Le geste et la parole, et Les religions de la préhistoire, André Leroi-Gourhan
Orpheus : histoire générale des religions, Salomon Reinach
Les religions de la préhistoire, Carbone 14 sur France Culture, avec Marcel Otte
Les formes élémentaires de la vie religieuse. Le système totémique en Australie, Emile Durkheim, en ligne.
A noter que plus récemment, Alain Testart a lui aussi proposé une interprétation de l’art pariétal dans Art et religion de Chauvet à Lascaux :
«Dans cet ouvrage posthume inédit, l'anthropologue Alain Testart pose son regard sur le dispositif iconographique des grottes ornées du paléolithique supérieur, en particulier celles de Lascaux (- 18 000) et Chauvet (- 37 000).
Analysant aussi bien la distribution spatiale des oeuvres, les représentations animales et l'abondance des signes abstraits, il en propose une interprétation inédite jointe à une nouvelle théorie des signes.
Selon lui, cet art obéit à un canon qui semble renvoyer à un mode de pensée mythique similaire à celui qui s'exprime dans le totémisme. L'iconographie des grottes évoquerait ainsi une humanité hybride, mal dégagée du monde animal. L'homme y est certes figuré, mais de façon dissimulée. C'est au travers des animaux et de leur classification en espèces que l'art pariétal nous révèle, explique Alain Testart, une classification des hommes.
L'omniprésence des signes de la féminité apposés sur les images d'animaux donne à penser que la reproduction du monde était en outre une préoccupation centrale de la religion des Paléolithiques. Miroir de l'état mythique des origines, la grotte renfermerait dès lors les étapes d'une cosmogonie.» (4e de couverture)
Dans l’article Les plus anciens mythes remontent au paléolithique, (ça m’intéresse), Jean-Loïc Le Quellec revient sur la difficulté d’interprétation des œuvres du paléolithique :
«Mais je ne défends pas la thèse qui veut que l’art des grottes illustrerait des mythes. Quoi qu’on fasse, on ne connaîtra jamais la signification de telle ou telle image ! On peut cependant accepter que cet art avait un rapport avec la mythologie des peintres. On a pu démontrer, par les méthodes statistiques, que le grand mythe de création du paléolithique supérieur était celui de « l’Emergence », qui conte que les humains et les animaux vivaient autrefois sous terre, puis qu’ils sont un jour sortis à la surface en passant par une grotte. Ce mythe était absolument essentiel dans la conception du monde des peintres du paléolithique supérieur. Tout porte à croire que la réalisation de certaines images s’intégrait à des rituels en rapport avec cette origine primordiale.»
Il insiste dans Avant nous le déluge : L’humanité et ses mythes sur le risque de
«toutes les entreprises d’interprétation des arts préhistoriques : en l’absence du témoignage de l’artiste ou de ses contemporains, nous n’avons aucun moyen de savoir pour quelle raison telle ou telle figuration a été réalisée, même lorsque nous pouvons supposer qu’elle était liée au monde des mythes».
Il revient sur le grand mythe de l’Emergence, dans un article du Monde, En quoi croyaient les humains préhistoriques ? Sur la trace des premiers grands récits mythiques,
Enfin, dans le Dictionnaire critique de mythologie, il critique les interprétations globalisantes pour s’en remettre aux méthodes du comparatisme et de l’aréologie afin de faire émerger des hypothèses plausibles. Et c’est à quoi s’emploie Julien d’Huy dans Cosmogonies : la préhistoire des mythes,
Voir aussi:
Croyance et préhistoire, des hypothèses incertaines, Claudine Cohen, sur L’origine de croyance, Albert Piette, Théo Rèmes, 5/2013
Préhistoire des religions, Religions & histoire, n°45, 2012
L’homme est-il né croyant? Sur les traces des tout premiers rites, Science et Vie, 6/12/2013
Bonne journée.
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Que représente exactement le symbole yin yang du taoisme...
Comment étaient rémunérés les sonneurs de cloches sacristains...