De quelles figures mythologiques la vie de Jésus a-t-elle pu être inspirée ?
Question d'origine :
Bonjour
Il existe de nombreuses théories sur l'originalité de la vie de Jésus Christ ou bien sur le fait que son histoire est plagiée sur d'autres mythes comme celui d'Horus ou de Mitra. Quelle est la vérité ? pas dans l'absolu bien sûr, mais quels mythes se sont inspirés des autres ? Je vous joins un exemple de comparaison entre Jésus et Horus, est-ce véridique ?
merci.

Réponse du Guichet

De nombreux emprunts à des mythologies préexistantes ont été réalisés lorsque s'est constituée la figure du Christ : à des personnages de la Bible juive, mais également, comme vous le suggérez, à des récits polythéistes en cours dans le monde romain des premiers siècles. Une large part de ces mythes semble toutefois reprendre des éléments communs à des mythes très anciens du monde entier.
Bonjour,
Vous avez bien raison de ne pas nous demander la Vérité dans l'absolu, tant à l'inverse des Evangiles nous ne pouvons que tenter, avec nos moyens bien humains, d'approcher votre question touchant un sujet riche et complexe.
Les figures mythologiques ayant le plus évidemment servi de modèle à la construction de la figure du Christ sont les celles de l'Ancien Testament. Un article très synthétique de Sabine Maffre sur hypotheses.org, Lecture typologique de l’Ancien Testament : Abel, Isaac, Melchisédech, Samson, préfigures du Christ nous explique :
La concordance entre l’Ancien et le Nouveau Testament tient une place centrale dans l’exégèse chrétienne. Le symbolisme typologique voit dans l’Ancien Testament l’annonce du Nouveau. Dans le chapitre XXVI du livre XVI de La Cité de Dieu, saint Augustin résume cette doctrine en une formule appelée à une grande fortune : « Quid enim est quod dicitur Testamentum Vetus, nisi occultatio Novi ? » (Saint Augustin, De Civitate Dei, P.L. 41, col. 505). Ce qui est voilé dans l’Ancien Testament est dévoilé dans le Nouveau.
De fait, de nombreuses figures de l'ancienne mythologies juive ont été rapprochées de celle de Jésus afin de créer une cohérence entre les deux textes : Paul de Tarse a pu ainsi voir en Jésus un nouvel Abel, dont la mort annonce celle de Jésus et dont l'"offrande, annonciatrice de la Cène, symbolise l’Eucharistie". D'une façon comparable, on trouve dans la Genèse le prêtre-roi Melchisédech qui "prononça une bénédiction sur le patriarche Abraham en offrant du pain et du vin". Isaac, Samson et le prophète Elie comme préfigurations de l'arrivée du Christ.
Outre ces figures, le site Aleteia en signale d'autres :
La figure de Joseph, le fils de Jacob et de Rachel, est tout aussi parlante que celle de son aïeul sous le rapport de sa dimension prophétique du destin de Jésus. Vendu comme esclave par ses frères, après avoir été lynché, Joseph trouve grâce auprès de Pharaon en Égypte. Devenu Premier ministre, il sauve le pays de la famine. Le clan de Jacob et de ses fils, venu se réfugier et trouver du pain chez son puissant voisin, est sauvé par le frère qui était tenu pour disparu. C’est ainsi que l’histoire de Joseph annonce la Pâque du Christ. Comme Jésus le réalise avec l’Eucharistie et le sacrement de réconciliation qu’il institue le dimanche de Pâques, après être revenu à ses disciples qui l’avaient abandonné le Vendredi saint, le fils de Jacob pourvoit à la nourriture de ses frères après leur avoir pardonné.
Moïse et David
Moïse préfigure le Christ en ce qu’il est le libérateur de son peuple auquel il fait traverser la mer rouge, comme le Christ sera le Rédempteur du genre humain en traversant la mort. À l’exemple du législateur d’Israël, Jésus sera également en butte à la contradiction et à l’incompréhension.
Jésus est fils de David. Le second roi d’Israël est une figure du Christ parce qu’il fut berger de son peuple. Comme son descendant, David prend le chemin du mont des Oliviers quand le temps se gâte pour lui avec la révolte de son fils Absalom (2S 15, 30). Cependant, contrairement à son illustre devancier, Jésus ne fuira pas, et se laissera arrêter à Gethsémani. Jésus fut livré par l’un des Douze. De même David fut trahi par son fils qu’il aimait. Autre similitude entre leurs destins respectifs : Judas, tout comme Ahitophel, ancien conseiller du roi passé à son fils rebelle, finit par se pendre (2S 16,23). Jésus pourra reprendre les mots du roi-poète dans le psaume : « Même mon ami en qui j’avais confiance, celui qui mange mon pain, a levé contre moi son talon » (Ps 41, 10).
Enfin, l'article site la figure du prophète Jérémie :
Jérémie constitue également une figure prophétique majeure de Jésus. Seul contre tous dans une ville de Jérusalem qui continue de vivre dans un déni confortable, il annonce la déportation à Babylone. Mais loin de prêcher la résistance, il annonce au contraire que cette dispersion sera l’occasion d’une renaissance. D’où la fureur et la colère des autorités. De même, le Christ sera le seul à croire qu’avec sa mort adviendra le salut. Jésus en effet sera bien esseulé sur le Golgotha ! Lors de la Cène, il institue le sacrement de la nouvelle alliance qu’avait prophétisée Jérémie : « Voici venir des jours dit le Seigneur, où je ferai avec la maison d’Israël et la maison de Juda un alliance nouvelle » (Jr 31,31).
https://catalogue.bm-lyon.fr/ark:/75584/pf0002592524.locale=fr
" Le 25 décembre, on célébrait Mithra : c’était la fête du Sol invictus, correspondant à la naissance de ce dieu solaire (Dies Natalis Solis Invicti, jour de naissance du soleil invincible), qui surgissait d’un rocher ou d’une grotte sous la forme d’un enfant nouveau-né.
Le choix du 25 décembre provenait sans doute du calcul du nouveau calendrier julien (imposé par Jules César) fixant le solstice d’hiver à cette date erronée. Le culte prend une telle ampleur qu’en 274, l’empereur Aurélien le déclare religion d’État.
Le christianisme, qui commence alors à se répandre, se trouve en concurrence avec ces fêtes «païennes». Comment contrer ce culte qui le menace ? Par la mise en œuvre d’un subtil syncrétisme pour assimiler la naissance du Christ au retour de l’astre solaire, au Sol invictus, en s’insérant ainsi dans une tradition déjà existante.
«Ce choix semble avoir été imposé aux chrétiens par l’impossibilité dans laquelle ils se trouvaient, soit de supprimer une coutume aussi ancienne, soit d’empêcher le peuple d’identifier la naissance de Jésus à celle du Soleil», d’expliquer Arthur Weigall dans Survivances païennes dans le monde chrétien (Paris, Payot). En 354, le pape Libère désigne officiellement le 25 décembre comme fête de la naissance du Christ, devenue Noël en français vers 1112, par évolution de l’ancien français nael, du latin natalis (dies), soit «le jour de la naissance». "
source : Sous le soleil de Mithra / Gabriel Racle - Lexpress
Le 25 décembre n'est pas la seule date choisie a posteriori pour faire "coller" la figure du Christ à celle d'anciennes divinités. Catherine Salles Le Culte de Sol invictus "soleil invaincu", article paru dans l'ouvrage collectif L'Empire romain : de la mort de Commode au Concile de Nicée / coordonné par Yann Le Bohec ; Marie-Pierre Arnaud-Lindet, Yves Burnand, Monique Dondin-Payre... [et al.], nous dit :
Sol invictus n'a pourtant pas été complètement vaincu par le christianisme. Pendant les trois premiers siècles de notre ère, les chrétiens n'ont pas jugé nécessaire de fixer une date anniversaire pour la
naissance de Jésus. Dans les communautés d'Orient, on prend l'habitude de célébrer le baptême du Christ le 6 janvier (date où se déroulaient des fêtes en l'honneur de Dionysos et d'Osiris). Au début du IV e siècle, le 6 janvier, jour de l'Épiphanie (manifestation), on fête à la fois le baptême et la naissance de Jésus. C'est entre 325 et 354 qu'en Occident la fête de l'Épiphanie est complétée par la commémoration de la naissance de Jésus le 25 décembre. On comprend bien l'intention qui a présidé au choix du 25 décembre par les chrétiens : le Dies Natalis Solis Invicti (Jour de Naissance du Soleil Invaincu) devient de la sorte le Dies Natalis du véritable Soleil, le Christ. Mais ce remplacement du dieu solaire par le dieu chrétien ne se fit pas sans difficulté : des Pères de l'Église (Ambroise de Milan, Augustin), des autorités religieuses (le pape Léon le Grand) blâment sévèrement dans leurs écrits ceux qui continuent à célébrer le 25 décembre l'anniversaire de la naissance du Soleil
Dieu solaire originaire du panthéon romain, dont le culte a été brièvement imposé au IIIè siècle par l'empereur Elagabal, Sol invictus est un excellent exemple de la fabrique du synchrétisme religieux dans l'Antiquité : assimilé à nombre de dieux d'importation au cours des siècles (les grecs Apollon et Hélios, le Baal ou Jupiter Héliopolitain de Baalbek-Héliopolis, le Bêl de Palmyr, l'Osiris égyptien ou encore le Mithra iranien) du fait de l'immensité de l'Empire romain et de la diversité des peuples le composant. Cette malléabilité du dieu solaire a également fait la joie des philosophes, jusqu'à ce que le christianisme en tire partie :
Les philosophies, en particulier le néo -platonisme et le stoïcisme, rattachent leur conception d'un dieu unique à l'image du Soleil : Porphyre (III e siècle) affirme que le même dieu est appelé Sol chez les dieux, Liber (Dionysos) sur la terre et Apollon sous la terre ; Firmicus Maternus (IV e siècle), dans son traité sur l'astrologie, évoque Sol Optimus Maximus (Soleil Très Bon Très Grand) , « souverain et prince universel » ; le compilateur Macrobe (fin du IV e siècle) a rassemblé dans le livre I de ses Saturnales de nombreux témoignages prouvant que toute théologie doit se ramener au culte du Soleil. Les chrétiens eux -mêmes font de Jésus le « Soleil de Justice » ou le « Soleil Invaincu » ; sur un fragment de mosaïque, daté du III e siècle et trouvé dans la nécropole chrétienne des grottes vaticanes, le Christ est représenté sous la forme d'Helios, montant au ciel sur son char.
Parmi d'autres courants religieux, le christianisme des premiers siècles a connu un dialogue incessant avec des systèmes de pensée préexistants... notamment pour des raisons qu'on pourrait qualifier de "marketing". Dans une autre réponse, Origine de la Chrétienté, nous vous disions que
sous l’influence de Paul de Tarse, le christianisme va peu à peu s’ouvrir aux non-juifs, c’est-à-dire à des sujets d’un empire romain à l’époque largement marqué par la langue et la culture grecques. De ces efforts pour adapter l’enseignement christique à leur horizon intellectuel, le christianisme primitif héritera dès son premier siècle d’existence de certains traits de la religion gréco-latine, mais aussi de la philosophie grecque :
« Dans les récits des Actes des Apôtres, on constate que la prédication de Paul s'efforce volontiers de relier le message chrétien aux croyances supposées de l'auditoire païen. La meilleure illustration de ce procédé est offerte par le célèbre discours d'Athènes (Actes, xvii, 16-34) ; on y voit Paul, après s'être entretenu avec des philosophes stoïciens et épicuriens, présenter la Bonne Nouvelle, non pas comme une rupture, mais comme un complément et un achèvement de la philosophie religieuse grecque. Un philosophe grec aurait pu quasiment signer ce discours ; à l'exception d'une seule mention du Christ, d'ailleurs voilée, les thèmes abordés sont ceux de la philosophie du temps […] une citation du poète stoïcien Aratus (ou de Cléanthe lui-même) confirme le caractère scolaire de ces idées. Cette méthode, qui insiste sur les convergences du christianisme et de la philosophie plutôt que sur leurs divergences, sera celle de tous les Pères apologistes, qui répéteront que le christianisme est lui aussi une sagesse, une παιδέια.
[…]
L'essentiel des mystères d'Attis, d'Adonis et de Mithra consistait, pour le néophyte, dans une mort symbolique à l'instar du dieu et dans une régénération par participation à l'esprit du dieu, garantissant le partage de son immortalité ; de même que le myste (l'initié) était assimilé au dieu mourant et ressuscitant, de même le baptême chrétien ensevelirait le fidèle avec le Christ et le ferait ressusciter avec lui, tandis que la cène chrétienne commémore la mort du Christ et réalise l'union des fidèles avec lui (Rom., vi, 2-11 ; I Cor., xi, 26-33 ; xv, 20-23 ; II Cor., v, 14-17, etc.) ; mort mystique et union au Sauveur, tel est le sens de l'Épître aux Galates, ii, 19-20 : « J'ai été crucifié avec le Christ. Ce n'est donc plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi. »
En plus de ces analogies considérables dans l'architecture générale de la doctrine, il y en aurait d'autres, plus précises, entre le langage technique des mystères et celui de saint Paul. Le mot même de « mystère » est usuel dans les Épîtres pour désigner une réalité cachée qui a besoin d'une révélation : « la sagesse mystérieuse de Dieu, qui était restée cachée » (I Cor., ii, 7 ; cf., de même, Éph., iii, 3-5, etc.) ; à telle enseigne que l'on a pu soupçonner que Paul projetait d'instituer des mystères chrétiens analogues aux mystères païens, et centrés comme eux sur l'idée d'une sagesse qui ne devait être révélée qu'aux initiés. […] Autres termes pauliniens dont on trouverait l'équivalent dans les religions à mystères : les « éléments du monde », pour désigner des esprits démoniaques capables d'aider ou de contrarier l'initiation du myste ; le pneuma (esprit), distinct non seulement du corps, mais de l'âme ; le « corps pneumatique », matière subtile qui prend la relève du corps charnel au moment de la résurrection ; la « gnose » comme vision unitive de Dieu, obtenue non par une initiative de l'homme, mais par un don charismatique ; la « métamorphose », qui confère à l'âme la forme de Dieu, etc. »
Source : Encyclopaedia universalis, consultable avec votre abonnement BmL
Si nous ouvrons le Dictionnaire critique de mythologie [Livre] de Jean-Loïc Le Quellec et Bernard Sergent, nous nous rendons cependant compte que les différents mythes représentant la vie de Jésus présentent de grandes similitudes non seulement avec d'autres cultes présents dans le monde romain, mais également avec des peuples très éloignés avec qui les premiers Chrétiens n'ont pas pu communiquer : l'hypothèse la plus simple étant que ces histoires trouvent leur source dans un corpus de mythes très anciens, remontant parfois au néolithique. On apprend ainsi à l'entrée "Naissance miraculeuse" que de nombreux êtres surnaturels sont nés de mères non fécondées :
Il y a alors parthénogenèse, comme cela peut être dit, dans la tradition chrétienne, de Marie (quoique l'Esprit Saint l'ait visitée en prenant la forme d'une colombe, ce qui évoque les naissances à la suite du contact avec un animal), et de sa propre mère, Anne. C'est aussi le cas dans un certain nombre de mythes d'origine. Selon les textes orphiques, Nux, la Nuit primordiale, est une oiselle aux ailes immenses, gravide sans avoir été fécondée. Curieuse version voisine en Polynésie, où, de Hawaii jusqu'aux îles de la Société, on raconte qu'une grande oiselle, gravide elle aussi sans avoir été fécondée, pondit un oeuf d'où sortit le démiurge Taaroa ; la théologie Mordvin comprend un couple de grands dieux, Skaj et son épouse Ange-patjaj ; celle-ci est mère de nombreux enfants, mais réputée toujours vierge [...]. De même Tanit, la grande déesse de Carthage, a donné naissance à tout l'Univers, sans participation d'aucun être mâle [...]. Chez les Dinka, la mère du Héros culturel était déjà enceinte en venant au monde. Dans la mythologie des Duala, Batanga, Malimba, Pongo, le héros Jeki est né sans fécondation [...].
L'article donne encore de très nombreux exemples, issus de cultures amérindiennes, tziganes, néo-guinéennes, indiennes... par ailleurs on y apprend que certaines traditions antiques affirment que la mère de Socrate serait devenue enceinte après avoir rêvé d'Apollon - peut-être ce trait a-t-il été récupéré pour l'Annonce faite à Marie ?
De même, l'entrée "Résurrection" pourrait vous intéresser : on y trouve de nombreux exemples de "dieux qui meurent et ressuscitent", du Mexique précolombien (avec Quetzalcoat, Nanauatzin et Tecuciztecalt) à l'ancien Brésil, en passant par la Mésopotamie, le monde Bambara, ou même dans la mythologie grecque.
Nous n'avons pas la place de vous citer tous les motifs mythiques pouvant être rattachés à Jésus mais nous vous conseillons la consultation de cet ouvrage monumental et rigoureux.
Pour aller plus loin :
Jésus, Horus, Shiva et Quetzalcoatl: De quelques similitudes entre les mythes de l'Ancien et du Nouveau Monde Michel Graulich
DABEZIES André, « Mythes anciens, figures bibliques, mythes littéraires », Revue de littérature comparée, 2004/1 (n o 309), p. 3-22, consultable sur Cairn en bibloithèque.
Bonne journée.
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