Question d'origine :
Bonjour,
Qui garde le saint sépulcre à Jérusalem ?
Merci !
Réponse du Guichet
La garde du Saint-Sépulcre est partagée depuis 1852 entre six communautés chrétiennes, souvent en conflit. Mais les gardiens des clés sont musulmans : il s'agit d'Adeeb Joudeh Alhusseini et Wajeeh Nuseibeh, dont les familles ont cette charge depuis environ 800 ans.
Bonjour,
La très complexe gestion du Saint-Sépulcre fait l'objet d'un Statut Quo entre pas moins de six communautés chrétiennes et dont l'histoire a connu des remous aussi grands que celle du bâtiment. Cette histoire est résumée sur le site de l'Eglise catholique en France :
Selon la tradition, le Saint-Sépulcre est le site de la crucifixion, de la sépulture et de la résurrection du Christ. Après la répression de la révolte juive en 135, Jérusalem subit un changement radical. Les juifs, les samaritains et les judéo-chrétiens sont expulsés avec l’interdiction de revenir. Hadrien, dans l’intention de supprimer toute trace de la religion judaïque qui avait provoquée deux violentes révoltes, s’emploie à faire disparaître tous les lieux de culte. Le Saint-Sépulcre connaît le même sort. Il est rasé et comblé, et un temple de Venus est érigé par-dessus. Au cours du premier concile oecuménique de Nicée en 325, l’évêque de Jérusalem, Macaire, invite l’empereur Constantin à rendre le Saint-Sépulcre à la lumière, qui avait été conservé enterré. Hélène, la mère de Constantin, ordonna la construction de la basilique de la Résurrection, basilique qui, au fil des siècles, connaîtra divers sorts : de l’invasion de 614 au cours de laquelle la pierre de la sépulture aurait été brisée, à la décision des Croisés en 1099 de rassembler tous les monuments rappelant la mort et la résurrection du Christ en un seul édifice qui resta presque inaltéré jusqu’à la fin du XIXème siècle, subissant toutefois un tremblement de terre en 1927 ou des dommages liés à la première guerre arabo-israélienne en 1948.
Aujourd’hui, la gestion de la basilique est règlementée selon le Statu Quo et trois communautés, latine (représentée par les frères mineurs), grecque orthodoxe et arménienne orthodoxe s’en partagent la propriété. Les coptes orthodoxes, les syriens orthodoxes et les éthiopiens orthodoxes peuvent officier dans la basilique. A l’entrée, dans l’atrium, se trouve la pierre de l’Onction qui, selon la tradition, indique le lieu où Jésus, déposé de la Croix, fut embaumé.
Le document Pèlerinage « Aux sources – Terre Sainte 2009 », diffusé par la Conférence des évêques de France sur le même site donne de nombreux détails sur ce Statu Quo :
Les droits et privilèges de toutes ces communautés sont protégés par le Statu quo sur les lieux saints (1852), garanti par l'article LXII du traité de Berlin (1878). Les trois communautés peuvent y célébrer la Divine Liturgie ou la Messe tous les jours. Ce statu quo règle les heures des messes, célébrations et processions à l'intérieur du bâtiment selon un agenda très précis et qu'il est totalement impossible de modifier depuis le XIXe siècle sous peine de vives tensions entre les différentes confessions qui occupent les lieux. L’ensemble des droits de propriété et de célébration ont été mis par écrit, mais tous les détails n’ont pas été pris en compte. Des flous subsistent, qui donnent parfois lieu à des revendications divergentes, voire des conflits.
Les grands principes du Statu Quo sont en fait au nombre de trois :
- « tout maintenir tel quel » c’est à dire qu’il n’y a aucun droit de changement depuis la place des tapis, le nombre des lampes jusqu’aux habitudes les plus bénignes. A fortiori on ne peut non plus rien ajouter. Tout changement serait source de conflit. C’est pourquoi l’horaire des Jours Saints est resté tel qu’il était avant les réformes liturgiques de Pie XII et du concile Vatican II.
- « le consentement des communautés » il est impossible de faire des travaux sans l’accord des trois communautés. Ainsi face à un accord impossible entre communautés ce sont les puissances étrangères (Turquie, France et Russie) qui reconstruisirent le dôme du St. Sépulcre. Depuis de grands progrès ont été faits : campagne de restauration des années 1960-1970, mais on se souvient que les échafaudages du dôme demeurèrent fort longtemps avant qu’un accord ne soit conclu sur son décor !
- « fixation des ayants droit » les mêmes communautés doivent rester dans les lieux saints : Grecs-Othodoxes, Latins et Arméniens. Les Coptes, les Syriens et Ethiopiens ne jouissent que de quelques droits. En conséquence, l’Eglise catholique n’étant reconnue que sous le rite latin, les rites orientaux sont exclus. De la même façon pour les Orthodoxes, les Slaves se trouvent exclus. Au niveau juridique, ce Statu Quo présente des particularités extrêmement intéressantes. En effet on ne sait pas s’il s’agit de droit de propriété ou d’une simple possession ou en d’autres termes on pourrait dire que «possession vaut droit». Comme l’indique B. Collin : « c’est la notion de prescription acquisitive immédiate qui pourra s’exprimer par cet adage : le fait crée le droit ». Principe surprenant qui conduit à une vigilance permanente de façon à rester effectivement en possession de ses droits sous peine de les perdre. Par ailleurs, il faut noter que l’Église grecque-orthodoxe se considère comme l’Églisemère à Jérusalem, assurant la succession directe des évêques et des patriarches depuis les premiers temps. De ce fait, elle estime devoir régir les Lieux saints et considère les autres Églises comme ses hôtes. Évidemment, les autres Églises ne l’entendent pas du tout ainsi et revendiquent leur présence en leur propre nom. Pour éviter ces affrontements (même si parfois ceux-ci font la une des journaux...), les clés de l'église sont, depuis sept siècles, entre les mains de deux familles musulmanes qui viennent tous les matins ouvrir les portes de la Basilique.
Cette division de "chasses gardées" des différentes communautés chrétiennes a de nombreuses conséquences, parfois comiques, comme on peut le lire sur jerusalem.fr :
- Les clés de l'Église du Saint-Sépulcre sont sous la garde d'une famille musulmane, qui assume cette responsabilité depuis 1192, se transmettant la tâche de génération en génération.
- Les éternelles disputes entre les différentes communautés chrétiennes du Saint-Sépulcre ont conduit à une véritable folie. Sur l'une des fenêtres de la façade de la basilique se trouve une vieille échelle "inamovible" en bois qu'aucun moine n'a déplacée par crainte des représailles de ceux d'en face. L'échelle est là depuis 1852 !
- Chaque nuit, plusieurs membres de chaque communauté chrétienne s'enferment dans la basilique du Saint-Sépulcre à Jérusalem et y dorment, avec un double objectif : protéger le sanctuaire et sauvegarder leurs quartiers de l'église contre l'envie des autres moines.
Un article du Grand Continent ajoute que
Les conflits se poursuivent même dans les temps récents. En 2002, un moine copte a déplacé sa chaise de l’endroit convenu à l’ombre. Cela a été interprété comme un geste hostile par les Chrétiens éthiopiens, ce qui a conduit à l’hospitalisation de onze personnes. En 2004, lors des célébrations orthodoxes de l’Exaltation de la Sainte-Croix, une porte de la chapelle franciscaine a été laissée ouverte. Les différentes entités coexistent, à peu près, dans le complexe, selon des arrangements mis en place par les Ottomans, ce qui préserve un statu quo de coexistence et de partage.
Il est évident que dans une telle situation, la fermeture de l’église et la personne chargée de détenir les clés pour ce faire devaient être une chose importante. Et c’est là que réside la partie fascinante.
Et de fait, selon Eglise Saint-Sépulcre, des musulmans ont depuis 800 ans la garde des clés de l'édifice afin de limiter les conflits entre communautés chrétiennes :
En l’absence de Sultan pour gérer les dissensions, aujourd’hui, c’est le gouvernement israélien qui se charge de régler les problèmes entre les différentes parties, sans passer par un tribunal de justice.
Aussi, afin d’éviter les conflits entre les 6 communautés chrétiennes (Franciscains, Arméniens Orthodoxes, Syriaques, Coptes et Ethiopiens), la gestion de l’entrée principale et de l’entretien de la cour extérieure reviennent exclusivement à deux familles musulmanes selon l’ordre donné par Saladin en 1192. Encore à ce jour, un membre de la famille Joudeh apporte la clef de l’entrée principale à un membre de la famille Nusseibeh qui ouvre et ferme la porte tous les jours.
Si c'est aujourd'hui Wajeeh Nuseibeh qui ouvre et ferme les portes du Saint-Sépulcre, l'actuel titulaire gardien de la clé est Adeeb Joudeh Alhusseini, qui la lui transmet chaque jour, selon un rituel remontant à l'époque médiévale et décrit dans un article du Figaro du 10 novembre 2018 consulté via Europresse :
Sa clé date de l'époque des croisés. Elle fut confiée à sa famille par le sultan égyptien al-Salih Ayyub en 1244. Aussi longue que lourde, la pièce de bronze a la forme d'une flèche avec à sa pointe un anneau. Le sésame ouvre chaque matin dès 4 heures et ferme chaque soir sur les coups de 19 heures, le saint des saints du christianisme. Adeeb Joudeh est le gardien des clés du Saint-Sépulcre qui abrite le lieu de la crucifixion et la tombe présumée de Jésus-Christ. Un honneur qu'il partage avec Wajeeh Nuseibeh, l'homme chargé de verrouiller les vastes battants en bois de l'édifice. Dans cet univers codifié où chaque détail a son importance, Adeeb Joudeh ne manque pas de faire remarquer que le rituel régissant depuis des siècles les relations entre les deux familles musulmanes en charge des clés et de la porte du Saint-Sépulcre a été modifié en 1967. « Avant, un membre de la famille Nuseibeh venait chercher la clé au domicile de mon grand-père. Désormais, elle est mise à l'abri, sous ma responsabilité, durant la fermeture nocturne dans la cour de l'Église » , dit le préposé.
Adeeb Joudeh tient aussi à préciser qu'il est le titulaire du Sceau du Saint-Sépulcre, en vertu d'un décret du sultan Soliman le Magnifique. Le samedi de la Pâque orthodoxe, les ecclésiastiques pénètrent dans la chambre du tombeau de Jésus pour s'assurer qu'aucun matériau inflammable ne s'y trouve. La porte du tombeau est scellée avec de la cire puis Adeeb Joudeh y appose son sceau. À sa réouverture aux pèlerins, un faisceau lumineux inonde l'édicule. C'est le rite du feu sacré.
Pour aller plus loin :
Jérusalem [Livre] : biographie / Simon Sebag Montefiore ; traduit de l'anglais par Raymond Clarinard et Isabelle Taudière
Histoire de Jérusalem [Livre] / Michaël Jasmin
Le goût de Jérusalem [Livre] / textes réunis et présentés par Eglal Errera
Jérusalem [Livre] / Yotam Ottolenghi, Sami Tamimi
Bonne journée.