Question d'origine :
En quoi le Français moyen est-il libre ?
Réponse du Guichet
Comme vous nous avez précisé ultérieurement attendre une réponse sur les plans philosophique et personnel, il semble que votre question soit plus largement en quoi est-on libre à titre individuel. Philosophiquement, c’est une vaste question ! Nous vous indiquons quelques titres qui pourront peut-être vous aider à cerner cette notion difficile.
Bonjour,
Votre mention de «Français moyen» était au premier abord un peu perturbante. En effet, la notion de classe moyenne est bien difficile à définir comme on peut le voir dans ces articles :
La classe moyenne, insaisissable créature du capitalisme, Jan Spurk, Slate
« La perte d’horizon des classes moyennes est une des grandes fractures de notre société », entretien avec Louis Maurin.
Mais votre demande de réponse philosophique et personnelle laisse penser que cette mention de «Français moyen» était plutôt faite au contraire pour écarter les réponses politiques ou économiques. La question serait en effet différente pour un iranien moyen, à fortiori une iranienne. De même que désapprendre, thème de votre précédente question n’a pas le même sens pour un français moyen que pour un ouïghour interné en Chine.
Vous ne parlez donc pas de la liberté ou des libertés telles que garanties par l’état (voir Liberté sur le site du Réseau Canopé) mais plutôt de la liberté comme réalisation personnelle.
Pour commencer, voici une définition du lexique de Philosophie magazine:
«La liberté est en général l’objet d’une triple analyse. C’est d’abord une notion métaphysique. Il s’agit alors de savoir si l’homme est libre ou déterminé par des contraintes qu’il ne maîtrise pas. S’il est la cause première de ses choix, on dit qu’il possède un libre-arbitre (aussi appelé liberté d’indifférence). Mais un tel pouvoir – qu’il ne faut pas confondre avec une volonté capricieuse, sujette aux élans pulsionnels – est difficilement démontrable et semble déroger aux lois de la nature qui reposent sur un déterminisme strict dont l’acceptation relèverait cependant du fatalisme. C’est ensuite une notion morale. Pour Kant, la liberté, ne pouvant être démontrée, doit néanmoins être postulée afin que la morale soit possible. En effet, seul un être libre peut choisir entre le Bien et le Mal, car, pour devoir, il faut d’abord pouvoir. Réciproquement, selon Kant, seul un être moral peut être libre: la liberté est alors synonyme d’autonomie. A contrario, celui qui veut jouir sans contrainte morale est appelé libertin. C’est enfin une notion politique. On oppose ici le citoyen libre (appelé d’ailleurs en latin: liber, d’où vient le mot « liberté ») à l’esclave. Lorsque l’État exerce peu de contraintes sur l’individu, on parle d’un État libéral. Si l’individu estime que les lois sont trop contraignantes et empêchent l’exercice de sa liberté (qu’elles sont liberticides), il lui arrive de contester l’État sous toutes ses formes. Un tel individu est dit alors libertaire ou anarchiste.»
La table des matières de Qu’est-ce que la liberté? de Robert Misrahi en ligne sur Gallica vous donnera une idée de l’ampleur des débats philosophiques et de ses multiples directions.
Voici quelques titres ou articles qui pourraient néanmoins éclaircir la notion :
Thierry Hoquet: devenir libre là où le vertige naît, Le Monde, 20/11/2022
«Ce qui m’intéresse dans le concept de liberté, c’est la manière dont il articule le sentiment de notre puissance et le sentiment des contraintes qui pèsent sur nous. C’est dans cette dialectique que la liberté s’éprouve. On voit bien qu’un désir sans bornes, qui ne rencontrerait pas de résistance, ne serait peut-être même pas un désir réel. C’est en épousant les contraintes, en les affrontant, qu’on devient libre. Or c’est là que le vertige naît – dans cette rencontre entre la puissance et la contrainte, entre le sentiment d’un déterminisme qui existe, mais qui, justement, ne dit pas le dernier mot de l’expérience humaine, et notre désir fou, illimité.»
La liberté ou le pouvoir de créer, Robert Misrahi
«Mais l’aliénation n’est donc pas un fait qui s’oppose à la liberté ?
Il n’en est rien, seul un être déjà libre peut contester la situation dépendance et de souffrance où il se trouve, et imaginer une situation encore inexistante où il serait indépendant et heureux. C’est pour rendre compte de cette situation que je propose l’affirmation de deux niveaux de la liberté: d’abord la liberté spontanée et ensuite la liberté réflexive.
Il est donc clair pour moi que l’existence d’un être humain qui parle et agit et en outre parle et agit pour l’avenir, implique par elle-même ces deux niveaux de la liberté. Exister, pour un être humain, c’est par essence être libre (dans la dépendance ou l’indépendance) et pouvoir agir pour un «monde meilleur», c’est-à-dire pour une liberté heureuse et un désir accompli.»
La liberté intérieure : une esquisse, Claude Romano
«Claude Romano brosse les contours de la liberté intérieure comme autonomie, celle qui ne dépend que de nous. Le livre bataille contre une conception qui traverse toute l’histoire de la philosophie, qui associe la liberté à une maîtrise, à un contrôle de soi sur soi[…]
L’auteur, lui, entend réhabiliter la sphère de l’affectivité : lorsqu’une question existentielle nous taraude, il s’agit de mettre en balance des critères objectifs (est-ce opportun, est-ce moral ?) et des critères plus subjectifs (est-ce que cela me correspond ?). Quand les deux pôles d’égale dignité de la raison et de la sensibilité se rejoignent, quand les tempêtes sous un crâne cessent, se manifeste alors la liberté intérieure. Loin de se décréter, celle-ci se cherche, donc, et c’est dans le plein «accord avec soi-même» qu’elle se trouve.»
Recension de Martin Duru sur Philosophie magazine en ligne. Voir aussi sur le même site cet autre article.
Beaucoup plus ardu, Généalogie de la liberté d’Olivier Boulnois fait le tour de la question et conclut:
«L’homme ne naît pas libre, mais il peut le devenir»
L’auteur s’explique dans un article d’AOC Liberté éthique ou liberté métaphysique ?, ou dans une petite vidéo de présentation.
Bien sûr, l’incontournable passage La dialectique du maître et de l’esclave de la Phénoménologie de l'esprit de Georg Wilhelm Friedrich Hegel vient aussi à l’esprit.
Enfin voici deux ouvrages beaucoup plus abordables :
A nous la liberté ! , Christophe André, Alexandre Jollien, Matthieu Ricard
«Comment progresser vers la liberté intérieure, celle qui nous permet d'aborder sereinement les hauts et les bas de l'existence et de nous affranchir des causes de la souffrance ? Dès l'enfance, nous sommes entravés par les peurs, les préjugés et mille et un conditionnements qui nous empêchent d'être heureux. Se lancer dans l'aventure de la liberté intérieure, c'est défaire un à un tous ces barreaux, ceux que nous avons forgés nous-mêmes et ceux que la société de la performance, de la consommation et de la compétition nous impose. Ce livre, écrit à trois voix par un psychiatre, un philosophe et un moine, nous invite à un itinéraire joyeux pour nous extraire de nos prisons et nous rapprocher des autres». (source éditeur)
Pourquoi philosopher ?: les chemins de la liberté, Laurence Vanin
"A l'heure de la télé-réalité, d'Internet, du fast-food, de la course à la consommation et d'une existence à grande vitesse, est-il possible de prendre le temps d'une pause pour philosopher ? Cet ouvrage, par la justification du philosopher, invite à conquérir ou re-conquérir sa liberté intellectuelle et son indépendance dans l'action. Cette liberté permet ensuite à l'homme de décider, d'agir en conscience, d'être responsable de ses choix pour être créateur de son projet de vie. Ce livre s'adresse à tous ceux qui souhaitent aujourd'hui prendre le temps d'une sereine réflexion pour mieux appréhender les contingences du monde moderne". [source éditeur]
ou quelques autres titres de développement personnel.
Bonnes lectures !