Pourquoi tel fruit sec est-il associé à un ordre religieux ?
Question d'origine :
Bonjour. Je voudrais développer l'article de France 3 à l'URL ci-dessous.
Pourquoi tel fruit sec est associé à tel ou tel ordre religieux ? Pourquoi les dattes sont le symbole du Christ venu d'Orient ?
Cordialement
Réponse du Guichet
C'est essentiellement autour du symbole, objet qui représente quelque chose d'autre par association, que se construit la réponse.
L’attribution de fruits secs aux ordres religieux a une connotation symbolique, liée à la couleur de leur robe de bure.
Dans l’ouvrage de Brigitte Poli, intitulé Les 13 desserts provençaux: une coutume en mouvement, l’auteure cite Frédéric Mistral qui définit ce que sont les quatre mendiants en Provence, appelés aussi pachichois dans la région entre Avignon et Marseille, à savoir figues, noisettes, amandes et raisins secs.
C'est justement la couleur de chacun de ces fruits secs qui les a fait dénommer mendiants, en rappel des robes de bure des quatre principaux ordres mendiants. Comme le décrit le poète,
"Un jour, à la table d'un grand seigneur, les quatre fruits secs, raisins, noisettes, amandes et figues, étaient servis, un convive s'écria: voilà les mendiants à table, retrouvant dans la figue la robe grise du franciscain, dans l'amande la robe écrue du dominicain, dans la noisette la robe brune du carme, et dans le raisin la robe sombre de l'augustin; les dominicains, les franciscains, les carmes et les augustins formaient les quatre ordres mendiants ".
De manière générale, le fruit, nourriture des immortels et des humains, est un important symbole de plaisir, mais aussi d’abondance et de bienfaits. Parmi les significations du fruit, le Dictionnaire des symboles, mythes et croyances de Corinne Morel précise qu’il possède une signification de récolte, incarnant le résultat heureux des actions qui ont été menées pour atteindre un but. Il est donc synonyme de récompense. Les images du Paradis dans les religions monothéistes montrent des vergers dont les arbres donnent abondance de fruits, par contraste avec l’Enfer, lieu aride. Dans la mythologie grecque et romaine, le fruit apporte l’immortalité et l’éternelle jeunesse aux dieux.
En raison de sa forme allongée, le mot datte vient du grec daktulos, qui veut dire "doigt". Dans les oasis, le peuplement arboricole de base est composé de palmiers-dattiers. C’est un arbre dont les fruits, sucrés et goûteux, sont très appréciés et indispensables dans l’économie locale.
Selon le Dictionnaire des symboles universels d’Henry Normand, tome II, éd. Devry, 2007, le palmier-dattier est le symbole de sagesse et de triomphe :
"Les justes croissent comme le palmier, ils s’élèvent comme le cèdre du Liban. Plantés dans la maison de l’Eternel, ils prospèrent dans les parvis de notre Dieu; ils portent encore des fruits dans la vieillesse…"
(Psaumes, 92, 13).
Dans le Livre du Deutéronome, l’Eternel montre la Terre Promise à Moïse, en lui disant qu’il n’y entrera pas (Deu, 34, 4). Dans cette vision est citée la "ville des palmiers", c.à.d. Jéricho. La Terre Promise représente le but des Hébreux qui ont fui l’Egypte, le havre de félicité qu’ils vont atteindre, et la ville des palmiers en est l’essence car elle symbolise l’attrait et la douceur qu’apporte la datte.
Géographiquement, Jéricho est située pas loin de l’embouchure du Jourdain, fleuve qui se jette dans la Mer Morte. Elle est bâtie dans une dépression d’environ 240 m en dessous du niveau de la mer. Cette ville, parmi les plus anciennes qui existent, était entourée d’oasis avec de nombreuses sources d’eau et a joui d’un microclimat particulier, permettant à de nombreuses cultures de se développer, et notamment aux palmiers-dattiers de croître et de se multiplier. Jusqu’à nos jours, les cultures du palmier-dattier entourent la ville, produisant des fruits de grande taille, très sucrés.
Le Livre de Josué (Jos 2, 6) décrit précisément la conquête de Jéricho. Les Israélites ont détruit tout ce qu’ils y ont trouvé car Josué a jeté une malédiction sur cette ville païenne. Ce n’est que Rachab, la prostituée, qui fut épargnée du massacre, ayant aidé les espions israéliens à s’échapper, elle s’est convertie à la foi en Dieu. On retrouve son nom dans la généalogie de Jésus car elle a épousé Salmon, un ancêtre de David, et donc aussi celui du Christ. La destruction de Jéricho était, quant à elle, synonyme de l’anéantissement du paganisme. La malédiction de Josué toucha également celui qui voudrait reconstruire la ville à l’avenir. En effet, Jéricho fut rebâtie à nouveau, comme le précise le Livre des Rois :
Pendant son règne, Hiel, qui était de Béthel, bâtit Jéricho. Il perdit Abiram, son fils aîné, lorsqu’il en jeta les fondements, et Ségub, le dernier de ses fils, lorsqu’il posa les portes, selon que le Seigneur l’avait prédit par Josué, fils de Nun.
1 Livre des Rois (16,34)
Ainsi, édifiée à nouveau contre la volonté divine, la ville de Jéricho devient la matérialisation de l’orgueil humain. Dans la théologie chrétienne, c’est le Christ qui incarne la réponse de Dieu à l’arrogance humaine. Tout près de Jéricho, dans les eaux du Jourdain, il reçoit le baptême de Jean le Baptiste pour porter ensuite les péchés de l’humanité. Toujours dans les alentours de Jéricho, Jésus jeune pendant 40 jours et c’est aussi là, au Nord-Ouest de la ville, que se trouve le Mont de la Tentation, où, selon l’Evangile de Saint Mathieu, il est tenté par le diable (Mat 4, 8). Jésus ne retournera à Jéricho que bien plus tard, avant de se rendre à Jérusalem. Il descendra donc à nouveau dans la ville construite dans la plus importante dépression du monde, symbole de la déchéance morale, pour monter ensuite au Golgotha et apporter le salut à l’humanité. En effet, dans la Bible, la montagne est l’endroit de la rencontre avec Dieu et en même temps le symbole de la révélation divine.
Nous pouvons mentionner un autre épisode, décrit dans l’Evangile de Jean. Après avoir ressuscité Lazare des morts, Jésus rassemble autour de lui de nombreux Juifs, attirés par la force de son miracle.
Une foule nombreuse de gens venus à la fête ayant entendu dire que Jésus se rendait à Jérusalem, prirent des branches de palmiers, et allèrent au-devant de lui, en criant "Hosanna!"
(Jean 12, 12-13)
La Pâque juive était célébrée cinq jours plus tard, suivie peu après de la mort du Christ. Le Dimanche des Rameaux – est commémoré pour inaugurer la Semaine Sainte qui évoque la mort et la résurrection de Jésus.
Pour approfondir le sujet :
- deux articles sur la symbolique des fruits :
La pomme : féminité et renaissance
La grenade, un symbole doux-amer
- deux monographies :
Le bestiaire du Christ: la mystérieuse emblématique de Jésus-Christ de L. Charbonneau-Lassay, Albin Michel, 2006 ;
Le signe de la croix: histoire, ethnologie et symbolique d’un geste «total» de P. Erny, L’Harmattan, 2007.
Bonne lecture !
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