Comment trier les informations et partager au mieux nos connaissances ?
Question d'origine :
Bonjour,
Il arrive parfois que nous ressentions le besoin de partager avec des amis, connaissances, collègues, famille, tout ce que nous avons appris, vu, écouté, lu de pertinent.
Lorsqu'on est ogre litteraire, cinéphile, fan de documentaires, sportif etc..Comment trier les informations pour ne pas submerger et envahir nos interlocuteurs ? :)
merci à vous.
Réponse du Guichet
Votre question pose celle de la transmission et avec elle des connaissances... interrogations qui rendent difficiles une réponse sur leur hiérarchisation.
Bonjour,
Votre question ouvre sur d’autres réflexions que sont la transmission, la "culture", les connaissances… notions dans lesquelles l’idée de « tri » ne résout en rien la possibilité de converser avec vos amis dans l’objectif de partages de connaissances.
Ainsi, Denis Kambouchner dans l’ouvrage Quelque chose dans la tête. suivi de Vous avez dit transmettre ?, explique que (p. 98-99) :
la transmission « ne peut être simple et directe ; il est plutôt nécessaire que certaines conditions soient réunies, à partir desquelles la personne à qui l’on veut transmettre quelque chose se trouve dans des dispositions d’esprit telles qu’elle adhère à ce qu’on veut lui transmettre (..) pour qu’ils croient ce que vous souhaitez qu’ils s’attachent, il faut tout un environnement, au sein duquel les habitudes, y compris de la pensée, ne sont pas dictées, mais induites »
Dans l’article Médiation culturelle et infoéducation : construction des savoirs et des connaissances (Études de communication, 2021/2, n°57) Marcos Paulo de Passos et Ivete Pieruccini s’intéressent à la hiérarchisation des connaissances et rapportent également que :
Charlot (2000, 61) explique qu’il n’y a pas de savoir en soi, puisque le savoir est une relation. L’idée de savoir implique celle d’un sujet : « d’activité du sujet, de relation avec soi-même, de relation avec les autres qui le co-construisent, contrôlent, valident, partagent ce savoir ».
(…)
La relation avec le savoir est l’ensemble des relations qu’un sujet établit avec un objet, le contenu d’une pensée, une activité, une relation interpersonnelle, un lieu, une personne, une situation, une occasion, relatifs à l’apprendre et au savoir. De même que la relation est avec le langage, le temps, l’activité au monde et sur le monde, la relation avec les autres et avec soi-même (Charlot, 2000).
Dans la revue Sciences humaines (n°36, 2022), consacrée au sujet Qu’est-ce que transmettre ? Savoir, mémoire,culture, valeur, deux contributions s’intéressent au lien entre transmission et communication, dont l’article « communiquer n’est pas (que) transmettre » revient sur la question des interactions entre individus. Ainsi,
« La communication interpersonnelle a deux objectifs principaux : transmettre un contenu (informations, opinions, jugements, sentiments, attentes …) et actualiser une relation entre les individus. Dans la communication se joue en effet la définition de la relation entre les interlocuteurs (rapports de pouvoir, coopération etc.). Par exemple, converser avec son patron ou avec ses parents sont des situations dans lesquelles les rôles de chacun influent à la fois sur le contenu et les formes de la conversation …
Les informations transmises seront d’autant mieux reçues, écoutées, comprises, mémorisées, qu’elles touchent un centre d’intérêt de l’auditeur et qu’elles ne sont pas trop éloignées de sa culture, de ses connaissances et de ses références courantes. Sinon, l’auditeur ou le lecteur « décroche ».
Dans ce même numéro, l’article « transmettre, oui .. mais comment ? » propose une lecture de la transmission des savoirs pour les enfants mais cette hiérarchisation, à notre sens, pourrait aussi convenir à un adulte qui souhaiterait organiser ses connaissances :
1) Des savoirs qui inscrivent dans un groupe d’appartenance
2) Des savoirs qui donnent les moyens d’échapper à toute forme d ‘emprise
3) Des savoirs qui permettent d’accéder à l’universalité de l’humaine condition
Sur cette notion de Transmission nous vous laissons consulter la notice publiée par Philippe Meirieu dans le petit dictionnaire de pédagogie.
Toujours dans un sens éducatif, nous vous laissons jeter un coup d’œil à la contribution de Francis Huot, « Organiser les connaissances, capacités et attitudes » (2012) publiée par l’Académie de Nantes.
L’ouvrage Transmettre le savoir. Des âges préhistoriques au monde numérique interroge ce qu’est la connaissance via notamment la lecture du livre (p. 130-131) de Michel Serres « Tiers-instruit » :
« cette expérience, qui consiste à devenir « Tiers » (différent), et « Instruit » (informé), passe par ce métissage des cultures qui consiste à sortir de son environnement familier, pour se laisser entraîner dans un ailleurs inconnu… »
(…) éduquer, c’est le rejet de tout comportement humain quand il est assimilé « aux mœurs purement animales, c’est-à-dire hiérarchiques des cours de récréation, des tactiques militaires et des conduites académiques.. . »
Pour ouvrir le débat, vous pourriez parcourir une réponse du Guichet du Savoir sur qu’est ce que la culture ?
Il faudra peut-être vous interroger sur la sociologie de la culture et la domination des normes comme l’a fait mediaculture.fr :
Pas de relativisme culturel facile qui dédouane de toute réflexion et prise de position. Alors quels critères adopter ? Voici quelques suggestions :
•La richesse signifiante (stimulation de l’imaginaire, niveau d’informations, cadre de réflexion…un jugement très subjectif)
•L’originalité par opposition à la standardisation (un scénario nouveau par rapport aux mécanismes industriels des séries hollywoodiennes)
•La sincérité (très importante dans le domaine artistique en particulier, comme l’explique brillamment cet article)
•L’émotion véhiculée (là encore très subjectif, dangereux dans le domaine de l’information)
•L’évocation, le rêve, l’imaginaire, l’absurde… oui, une ouverte peut être féconde et absolument inutile, dénuée de sens. Oscar Wilde dirait même que c’en est même la condition ^^
Esprit critique et subjectivité créative. Il y a en effet dans l’évaluation de la richesse culturelle un facteur projectif. La richesse d’une oeuvre dépend de son propre bagage initial d’interprétation (le capital culturel ou grille de lecture préalable). Mais aussi de ce que l’on y met soi-même, de ce que l’oeuvre évoque pour nous par rapport à la projection subjective de nos sentiments, de nos souvenirs, de nos émotions…
Le site nonfiction.fr évoque lui aussi les hiérarchies des pratiques culturelles.
Pour poursuivre les réflexions :
Les théories de la connaissance / Jean-Michel Besnier, 2021.
Que valent nos connaissances, Essais et échecs cognitfis / Jean Baechler, 2019.
Transmettre, apprendre / Marie-Claude Blais, Marcel Gauchet, Dominique Ottavi, 2016.
Enfin, pour aller encore plus loin, nous vous suggérons une plongée dans l’univers d’Umberto Eco dont De la littérature ou d'Alberto Manguel avec La bibliothèque, la nuit, Journal d'un lecteur ou Une historie de la lecture.