Que sont les humanités environnementales et quelle est l'origine du concept ?
Question d'origine :
Qu'est ce que les humanités environnementales et d'où est issue le concept et la dénomination de ce secteur ?
Réponse du Guichet
Le contour des humanités environnementales, qui s'est approfondi à partir des années 2010, est encore à préciser mais les changements climatiques et plus généralement la crise environnementale en sont à l'origine. En effet, en écho aux rapides et catastrophiques mutations, les chercheurs ont cherché à repenser leur discipline en proposant une autre vision du rapport nature / culture via les humanités environnementales.
Bonjour,
La page du LARCA, apporte une définition générale de ce que sont les humanités environnementales et en explique brièvement la genèse :
Les humanités environnementales rassemblent des chercheur.e.s de tout horizon (littérature, géographie culturelle, histoire, philosophie, histoire de l’art, culture visuelle, linguistique…) dont les travaux visent à repenser les rapports entre l’être humain et son environnement, entre « nature » et « culture ».
Le développement de ce champ interdisciplinaire fait directement écho à celui de la prise de conscience collective de l’ampleur de la crise écologique contemporaine. En effet, la crise environnementale est aussi une crise de la pensée. Les enjeux sont ainsi cruciaux, à la fois épistémologiques, politiques et sociaux, puisqu’il s’agit notamment de poser la question du rôle et de la responsabilité des sciences humaines et sociales à l’ère du changement climatique, de la sixième extinction de masse et del’Anthropocène/Capitalocène.
Les contours de ce vaste domaine d’exploration ont commencé à se préciser dans les années 2010, d’abord dans la recherche anglophone (environmental humanities/studies). Ses fondations ont néanmoins été jetées dès les années 1970 et 1980 (premières « vagues » écocritique, écopoétique et écoféministe ; émergence de la philosophie et de l’histoire environnementale ; géocritique ; géopoétique). Depuis les années 1990, le champ, d’abord très anglocentré, s’est considérablement ouvert et enrichi (croisements des études post-/décoloniales et écocritiques ; tournants spatial et global ; éco-marxisme et écologie sociale ; posthumanismes ; études animalistes et humanités végétales (plant humanities) ; queer ecology). Le champ est encore peu investi en France, malgré des apports théoriques majeurs (Guattari, Deleuze, Latour, Serres).
De manière plus précise Marianne Celka, Fabio La Rocca, Bertand Vidal dans « Introduction : Penser les humanités environnementales » (Sociétés, 2020/2 (n° 148), p. 5-9) définissent ce champ :
Les humanités environnementales tentent d’articuler des savoirs susceptibles de repenser le concept « environnement » au-delà de la simple et surannée opposition nature/culture. Elles constituent dès lors un domaine de recherches interdisciplinaires diversifié voué à l’étude et l’analyse des interrelations et des intrications complexes entre l’activité humaine (culturelle, économique, politique et sociale) et l’environnement à partir de réflexions nécessairement renouvelées. Les chercheurs qui portent leurs intérêts sur les humanités environnementales participent à la rupture d’avec la perception dualiste, dichotomique même, typiquement occidentale faisant de la nature le lieu d’une extériorité, d’une étrangeté aussi, à l’homme et à la culture. Les enjeux sont à la fois épistémologiques et pratiques. Les humanités environnementales doivent concourir à l’élaboration de nouveaux savoirs en articulant des perspectives issues de divers horizons. La géographie, l’histoire, l’architecture, l’urbanisme, le design, la sociologie, l’ethnologie, la philosophie, de même que les imaginaires sociaux, les interactions, le relationnisme, etc., sont autant de prismes qui permettent de construire une littérature riche capable de renégocier le sens des concepts depuis trop longtemps sclérosés.
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Si l’émergence intellectuelle et institutionnelle des domaines d’étude relatifs à l’environnement s’est tôt fait sentir au cours de l’histoire des idées occidentales, le croisement des regards et des réflexions qu’ils mettent en jeu semble encore à consolider. Cette transdisciplinarité devrait permettre d’intégrer les questions environnementales de manière plus centrale dans les sciences humaines et sociales mais aussi de mieux connaître les ressorts anthropologiques qui participent aux processus environnementaux, à la modélisation des débats sur l’environnement et aux réglementations qui tentent de circonscrire les impacts humains sur les milieux dits « naturels ».
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C’est au carrefour d’intérêts et de problématiques pluridisciplinaires que nous proposons ici de donner un échantillon de réflexions. Tout d’abord, les questions relatives à la nature, aux environnements et aux milieux soulèvent l’exigence d’une reconsidération de leurs contours et de leurs contenus au prisme du relationnisme. En ce sens, l’on peut comprendre la pertinence des thématiques en corrélation avec la mésologie et la médiance dans la perspective des travaux du géographe et philosophe Augustin Berque, ainsi que celle de l’exploration des écofictions et des ontofictions et de leur potentiel créatif. Les réflexions sur ces notions permettent ensuite de mieux considérer la diversité des problématiques environnementales et les manières dont les sociétés s’en emparent tant du point de vue symbolique que de celui des pratiques sociales.
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Les humanités environnementales constituent le moyen privilégié par lequel les sciences humaines et sociales se saisissent des mutations de paradigme en cours ainsi que du transfert des valeurs que ces dernières impliquent : une nouvelle vision du monde et de nouveaux cadres de référence susceptibles de rendre compte de la pensée d’une époque. Il faut alors régénérer la pensée afin de dire le monde dans lequel nous vivons et saisir la typicité d’une sensibilité écosophique, écouménique, mésologique, dans une approche sensible des relations entre les hommes, les milieux et les environnements humains et non-humains. La pluralité des débats et des controverses passés doit ainsi permettre l’impulsion d’une perspective dans laquelle nous nous pensons effectivement comme des êtres à l’intérieur d’un monde.
Si vous posiez cette question dans un contexte de travail universitaire ou si par curiosité vous souhaitiez approfondir ce que sont les humanités environnementales nous ne pouvons que vous inviter à lire les diverses contributions publiées dans Humanités environnementales : enquêtes et contre-enquêtes (ouvrage qui a d‘ailleurs fait l’objet d’une réédition en 2022). Ainsi, en guise d’introduction, Guillaume Blanc, Elise Demeulenaere et Wolf Feuerhahn reviennent sur l’essor de ce champ de recherche :
Ecocritique, sociologie de l’environnement, économie, écologie, théorie politique verte, anthropologie de la nature …. On assiste, depuis une trentaine d’années au moins, à l’émergence et à la multiplication des sciences humaines et sociales qui non seulement affichent l’environnement ou l’écologie pour objet, mais revendiquent aussi de voir leur épistémologie transformée par cet objet. De ce fait, ces nouveaux domaines d’étude constituent bien plus que de simples témoignages additionnels de la spécialisation scientifique. Parce qu’ils s’efforcent de penser l’interaction entre les mondes naturels et sociaux, ils entendent transformer la définition même de leur discipline, et par là, leur articulation avec les sciences de la nature (…) leur foisonnement à l’échelle internationale est tel qu’aujourd’hui, dans le monde anglophone et plus récemment francophone, certains souhaitent les rassembler sous une bannière commune : celle d’ « humanités environnementales ». En témoignent la création de la revue internationale Environnemental Humanities en 2012, l’apparition de cursus de formation spécialisés, ainsi que le lancement de plusieurs portails de recherche, dont en France le Portail des humanités environnementales à l’automne 2013. Grégory Quenet dans cet ouvrage a enquêté sur la généalogie de cette expression qui semble être apparue en plusieurs lieux du monde académique au cours des années 2000.
Pour revenir à cet auteur, voici quelques extraits permettant de comprendre sa définition des humanités environnementales, appellation qui
Revendique un programme fort, comparable à la recomposition des frontières du savoir engagé par les humanités scientifiques et les humanités numériques (…) Leur programme s’adresse à toutes les disciplines qui font les sciences humaines et sociales – le droit, la littérature, l’histoire de l’art, l’anthropologie, la sociologie, la science politique et la philosophie (…. ) les humanités environnementales proposent d’abolir l’extériorité de la nature par rapport au social et au culturel pour installer de nouvelles forces agissantes au cœur des sciences humaines et sociales (…) La tradition académique anglo-saxonne, dont nous vient le terme « humanités environnementales » a gardé le mot humanités pour désigner les branches du savoir relatives à la culture (l’histoire, la littérature, les langues anciennes et modernes, le droit, la philosophie, les arts et la musique) de préférence à l’expression « sciences humaines »
Nous vous laissons parcourir l’ensemble de l’ouvrage et vous suggérons la lecture suivante :
Guide des humanités environnementales publié sous la direction d'Aurélie Choné, Isabelle Hajek, Philippe Hamman, 2018 : Destiné à dépasser une approche exclusivement scientifique et technique de la nature, cet ouvrage comprend 53 contributions traitant d'une question environnementale ou écologique du point de vue des sciences humaines et de la littérature.