Existe-t-il des textes concernant la prise de la citadelle de Lyon en 1585 ?
Question d'origine :
Bonjour,
Existe-t-il des textes concernant la prise de la citadelle de Lyon en 1585 ?
De plus a-t-on des information concernant le vol (?) des plans de la citadelle et les conditions de leur redécouverte aux archives de Turin?
Merci d'avance.
Réponse du Guichet

La citadelle de Lyon, ou citadelle Saint-Sébastien, est construite en 1564 sous les ordres du roi Charles IX en réaction à l'attitude plutôt tolérante de la ville de Lyon à l'égard des protestants. Dès son édification, elle est perçue comme un instrument de contrôle par les Lyonnais qui ne cesseront de réclamer son démentellement, jusqu'à obtenir gain de cause une vingtaine d'années plus tard, puisque la citadelle est détruite en 1585.
Nous supposons que vous cherchez plus spécifiquement des documents anciens, plus ou moins directement liés aux circonstances de la chute de la citadelle ? Pour cette raison, nous avons fait suivre votre question au fonds ancien qui complètera le cas échéant, notre réponse.
Pour commencer, nous avons déjà répondu à une question assez proche de la vôtre, la citadelle royale de Lyon au XVIe siècle, mais les documents évoqués dans la réponse restaient assez évasifs sur le sujet. Par exemple, l'ouvrage de référence qui sert de prétexte à cette précédente question, Lyon au XVIIe siècle de Abraham Golnitz, consultable sur Google Book ne fait allusion à la citadelle qu'au détour d'une note, pour justement rappeler que la forteresse Saint-Sébastien dont il est question dans le texte n'a rien à voir avec la citadelle du même nom, dont il rappelle en deux lignes l'histoire et qui se trouve être, elle, la citadelle de votre question !
Les documents à notre disposition abordant le sujet sont plutôt récents et, bien qu'ils disposent de bibliographies fournies, nous n'avons pu identifier les sources documentaires des détails qu'ils avancent au sujet de la citadelle. En plus de l’excellent Les défenses de Lyon : enceintes et fortifications cité dans notre précédente réponse, on peut signaler l'ouvrage de Yves Krumenacker, Lyon 1562, capitale protestante, une référence sur le sujet, dont nous tirons l'extrait suivant relatant précisément les raisons et le déroulement de la chute de la citadelle :
Si elle était destinée au départ à surveiller les protestants, les catholiques estiment en 1585 que cette raison n'est plus valable. Leur animosité à l'égard de la citadelle s'est exaspérée par les pratiques douteuses dont elle a été l’objet : un des favoris du roi, le duc d'Épernon, ennemi des Guise et soupçonné d’accointance avec Henri de Navarre, a racheté en janvier 1585 la charge de gouverneur de la place à son profit et l'a confiée au seigneur du Passage, dont le comportement indique une certaine liberté de manœuvre face à Mandelot, lieutenant général du roi sur le Lyonnais.
Après plusieurs vaines remontrances des consuls au roi en vue de la démolition de la citadelle, ces derniers décident en mars 1585 de passer un accord avec Mandelot pour en venir à bout sans l’aval du souverain. Au printemps 1585, au nom de cette entente, sont levées deux compagnies supplémentaires de 200 hommes, confiées à des capitaines de la ville. Le 2 mai au matin, une soixantaine de ces mêmes soldats investissent la place, y pénètrent par une porte laissée ouverte à leur intention, ouvrent tous les accès et avec leurs alliés, désarment la garnison. Du Passage, qui au même moment est en ville chez le gouverneur, est immédiatement arrêté.
Les citadins informés du coup de force s'empressent de prendre les armes — sans d’ailleurs trop savoir contre qui. Mandelot a réussi son coup, mais demeure toutefois inquiet de potentiels débordements dans les rues lyonnaises ; il convoque à son hôtel le consulat, les principaux habitants de la ville et des représentants des métiers. Il fait approuver la prise de la citadelle et obtient le désarmement des citadins. Est alors décidé d'écrire au roi pour lui demander l'autorisation de détruire une citadelle qu'il ne contrôle déjà plus. De plus, la ville envoie sur le champ un délégué en cour.
Après avoir fait part de son mécontentement, le roi finit par transiger moyennant le paiement de 40000 écus, ainsi que la prise à son compte par la ville des rentes annuelles versées aux propriétaires des terrains saisis pour la construction de l'édifice en 1564. La ville a réussi à trouver les ressources nécessaires, du moins en s’endettant, et la destruction se fait dans une fête générale.
source: Lyon 1562, capitale protestante, p.253
Nous vous renvoyons à la bibliographie de l'ouvrage si vous souhaitez pousser plus loin l'investigation des sources qui ont servi à établir ce récit assez circonstancier.
On retrouve un récit similaire dans l'Histoire du couvent des Grands Carmes de Lyon (Revue du Lyonnais, série 5, n°7, p.105) :
1585, 2 mai. Les habitants de Lyon s'insurgent contre l'autorité royale et essaient de s'emparer de la citadelle Saint-Sébastien. Le gouverneur de Lyon, Mandelot, fait ses efforts pour se mettre à la tête du mouvement, afin de pouvoir le diriger; il parvient à assurer au roi la possession de la citadelle, mais il se joint aux habitants pour en demander la démolition. Le Consulat envoie un Mémoire à ses députés en Cour pour obtenir d'Henri III qu'il se rende au vœu des Lyonnais. Le roi résiste d'abord, puis il finit par céder pour 40,000 écus payables en quatre mois.
Dans les lettres-patentes rendues à cet effet, Henri III déclare aux Lyonnais qu'il ne veut d' « autres forteresses pour la conservation de la ville que leur coeur et leur bonne volonté. » Les 40,000 écus furent immédiatement payés, afin de prévenir toute rétractation. Puis le Consulat, qui entretenait à ses frais une chapelle à l'église des Carmes, convoque le peuple dans ce temple saint, fait lire publiquement et solennellement la déclaration royale et se rend avec le gouverneur au-devant de la citadelle ; un banquet y réunit les autorités de la ville, le gouverneur passe ensuite une revue des troupes et saisissant un marteau, il donne le premier coupà l'édifice (Clerjon, Hist. de Lyon, V, p . 297).
Par chance, l'article cite ici ses sources : il s'agirait de l'Histoire de Lyon de Pierre Courjeon à laquelle nous vous renvoyons si vous cherchez à remonter aux origines de ce récit.
Une des sources possibles de ces récits, et document primaire concernant cette affaire, nous est restituée dans cet autre article de la Revue du Lyonnais, Fortifications de Lyon à diverses époques. Alors que l'auteur revient sur l'édification de la citadelle (p.193), pour s'attarder ensuite sur sa prise par la population, il cite en appuie de ses propos deux courriers du roi Henri III (sûrement pas II comme il en est question dans l'article puisqu'Henri II était décédé au moment de ces évènements) aux conseillers de la ville de Lyon (p.194 et suivantes) détaillant les mesures à prendre quant au sort de la citadelle : ces lettres confirment bien les 40,000 écus à verser à l'autorité royale en dédommagement et l'autorisation de détruire l'édifice - au frais de la ville.
Nous laissons au fonds ancien le soin d'exhumer d'autres textes d'époques qui pourraient confirmer ce récit.
Concernant la seconde partie de votre question, on trouve fréquemment citée l'anecdote évoquant l’existence de plans d'espions révélant le tracé de la citadelle Saint-Sébastien qu'on aurait retrouvés dans les archives de la ville de Turin. Cette anecdote semble circuler en particulier dans les mouvements cataphiles Lyonnais pour justifier l'origine militaire du fameux réseau souterrain des « Arrêtes de poissons » qu'on soupçonne avoir appartenu à la citadelle :
Hypothèse confirmée par la découverte dans les archives de la ville de Turin d’un plan d’espion qui donne le tracé d’une citadelle construite en 1564 par le roi Charles IX (fils de Catherine de Médicis) sur lequel on retrouve le tracé des galeries mises à jour.
source: Les souterrains de Lyon
Mais d'après cet article paru dans La Ficelle, la réalité est peut être moins romanesque : il s'agirait d'un plan de la ville qui indiquerait simplement l'emprise de la citadelle :
D’après un plan de la ville trouvé par le service archéologique de Lyon aux archives de Turin (espionnage ?), la citadelle se serait étendue du bastion Saint-Laurent, jusqu’aux environs de la rue Ozanam, avec un bastion au niveau de la montée Allouche.
source: La Ficelle, n°15, novembre 2009
Ces informations sont notamment issues d’un rapport du service archéologique datant d’il y a une dizaines d’années ; et il semble que c’est à l’occasion de recherches préalables à ce rapport que ce fameux plan a été redécouvert dans les archives de la ville de Turin.
Bref, pour en avoir le coeur net, nous nous sommes adressés directement au service archéologique de la Ville de Lyon, sans pouvoir joindre les archéologues qui auraient pu nous répondre. Nous leur adressons donc un mail et publierons leur réponse le cas échéant.
Complément(s) de réponse

Nous remercions le service archéologique d'avoir pris le temps de nous répondre :
Le lien entre la citadelle et les galeries a été envisagé au tout début de notre enquête, faute d’éléments objectifs de datation. Il est donc définitivement abandonné puisque la construction du réseau se place entre -40 et la fin du Ier siècle.
Vous trouverez toute information nécessaire sur ce sujet dans le bulletin du CFC n°205 de septembre 2010, p. 121, le n°506 d’Archeologia de 2013 et dans l’ouvrage de Y. Krumenacker, Lyon 1562, capitale protestante paru en 2009.
Réponse du Guichet

Plusieurs compléments permettent d'indiquer les principales sources utilisées pour l'histoire de la prise de la citadelle (registres de délibérations consulaires aux archives de la ville de Lyon et le récit de Claude de Rubys), d'expliquer l'origine d'un plan à Turin (lié à un ingénieur piémontais ayant travaillé pour la France puis pour Emmanuel-Philibert de Savoie), et de définitivement décorréler la construction des arêtes de poissons de la construction de la citadelle.
Bonjour,
en complément des éléments apportés par mon collègue, je vous apporte les informations suivantes.
I. Sources communément utilisées pour l'histoire de la prise de la citadelle.
1) Les délibérations consulaires pour l'année 1585.
La prise de la citadelle Saint-Sébastien en 1585 est connue par les délibérations consulaires actuellement conservées aux archives municipales dans la série BB : administration communale. Les registres concernés ont pour cote BB 114 et BB 115. Les lettres-patentes du roi autorisant la destruction de la citadelle se trouvent à la fin du registre BB 114. La bibliothèque de Lyon n'en conserve pas de version imprimée.
Les années précédentes montrent plusieurs remontrances adressées par le consulat au sujet de l'administration et de la destruction de la citadelle.
Les années suivantes donnent lieu à plusieurs délibérations en rapport avec le remboursement de la dette des 40 000 écus exigés par Henri III.
2) Les historiens ayant connus la citadelle.
Par ailleurs, deux contemporains relatent leur connaissance de la citadelle.
- Claude de Rubys, procureur général de Lyon puis échevin, a rédigé une Histoire véritable de la ville de Lyon qui mentionne, livre 3, chapitre 63, la prise de la citadelle. Il était vivant et a vécu comme échevin de Lyon la destruction de la citadelle.
- Guillaume Paradin, qui publie ses Mémoires de l'histoire de Lyon en 1573, mentionne la construction de la citadelle p. 379, mais ne dit rien évidemment de son démantelement plus tardif.
3) Les historiens plus tardifs.
- L'historien de Lyon Claude-François Menestrier ne pousse pas son Histoire consulaire jusque-là. Je mentionne aussi :
- Antoine Péricaud, Notes et documents pour servir à l'histoire de Lyon, Lyon, Imprimerie de Mougin-Rusand, 1842, p. 139 ;
- Pierre Clerjon, Histoire de Lyon depuis sa fondation jusqu'à nos jours, t. V, Lyon, Théodore Morin éditeur, 1832, p. 287-288.
- le travail de Benoît Vermorel, dont le carnet manuscrit est aux archives municipales de Lyon, mentionne semble-t-il la forteresse, sans que les historiens ne donnent beaucoup de précision à ce propos.
Je ne cite pas ici d'autres historiens de Lyon au XIXe siècle mais ils sont plusieurs à reprendre le récit de la citadelle et de sa prise avec plus ou moins de détails selon Claude de Rubys et/ou les actes consulaires.
II. Recherches récentes
Dans les recherches récentes, nous pouvons citer :
- le point réalisé par Pierre-Jean Souriac, « La citadelle Saint-Sébastien de Lyon », Bulletin de la Société historique, archéologique et littéraire de Lyon, 2011, p. 241-261
- le texte cité par mon collègue et tiré d'Yves Krumenacker (éd.), Lyon 1562, capitale protestante, Lyon, Éditions Olivétan, 2009.
Plus récemment encore, il me paraît intéressant de mentionner la trouvaille des papiers de François de Carbonnières, seigneur de Chambéry, premier gouverneur de la citadelle. Ils sont aujourd'hui conservés dans les archives départementales de Dordogne (Série 2 E 1836 pièces 52 à 66, en réalité dans le tome 2) et ont permis à Julien Guinand et Aurélien Roulet de remettre sur le métier l'histoire de la citadelle. Leurs recherches ont fait l'objet d'un article :
- "Une citadelle pour retrouver la Concorde. Luttes de pouvoirs à Lyon pendant les guerres de Religion (1564-1585)" dans la Revue d'histoire moderne et contemporaine, n° 168-4, 2021, pages 134 à 161, que je vous invite vivement à consulter (disponible sur Cairn ou à la bibliothèque). A noter qu'il offre une reproduction d'une miniature représentant la citadelle, et une représentation de l'emprise spatiale sur la ville de la citadelle. La miniature originale n'a pas été retrouvée. Les archives du gouverneur montre que ce n'est qu'à partir de 1573 que le consulat commence à s'opposer à la citadelle mais qu'auparavant, celle-ci avait surtout pour rôle d'apporter la concorde entre les protestants et les catholiques après l'épisode de la prise de la ville par les protestants (baron des Adrets) et la reprise par les catholiques.
III. Le plan de Turin, origines.
Concernant votre deuxième question, MM. Guinand et Roulet y font justement mention du plan des archives de Turin. Voilà ce qu'ils en disent :
"Ce constat transparaît sur un plan des murs de Lyon conservé aux archives d’État de Turin. En effet, celui-ci, dessiné par l’ingénieur du roi Pietro Angelo Pelloia entre 1555 et 1558, inclut l’ajout d’une fortification bastionnée au sommet de la colline Saint-Sébastien. Rien n’indique si ce tracé postérieur est sien, mais sa situation correspond aux indications réunies sur la citadelle par l’érudit lyonnais Benoît Vermorel."
Nous n'en savons pas plus sur cette mention manuscrite de la citadelle dans les archives de Turin, toutefois nous pouvons rappeler que Pelloia était ingénieur militaire et qu'il a travaillé avec d'autres ingénieurs piémontais, sur les fortifications bastionnées. Nous ne connaissons pas sa date de mort. Quand bien même la mention ne serait pas de lui, elle semble réalisée suite à un voyage à Lyon d'ingénieurs piémontais.
Quoiqu'il en soit, il est certain que le plan en lui-même n'est pas issu d'un vol. Il est plutôt issu du travail de l'ingénieur piémontais, alors au service du gouverneur français Brissac). Le fait que les plans dessinés par Pelloia soient à Turin est tout à fait normal, car le Piémont a été restitué à Emmanuel-Philibert de Savoie en 1559 au traité de Cateau-Cambrésis entre la France et l'Empire. Pelloia est alors sans doute rentré au service des Savoie et ses plans se trouvent "naturellement" dans sa capitale (Chambéry laisse la place à Turin comme capitale du Piémont en 1562).
Sur Pelloia, citons :
- BOUIRON (Marc), DE CANDIDO (Mara), "Le premier plan de Marseille (c. 1555 ?). Pietro Angelo Pelloia, un ingénieur au service de la France." dans : PECOUT (Thierry) coord. - Marseille au Moyen Âge, entre Provence et Méditerranée. Les horizons d’une ville portuaire, 2009, p. 115-121.
Citons aussi sur la fortification en elle-même :
- Julien GUINANT, « Lyon et le nouvel art de la guerre », in Nicolas Faucherre, Pierre Martens, Hugues Paucot, La Genèse du système bastionné en Europe, 1500-1550.
En tout état de cause, sans parler de vol, les visites d'ambassadeurs italiens existaient. On peut ainsi mentionner, sans rapport avec Turin mais pour indiquer le contexte le fait que les ambassadeurs vénitiens citent la citadelle de Lyon dans les récits de leurs voyages (cf. Niccolo tommaseo, Relations des ambassadeurs vénitiens sur les affaires de France au xvie siècle , Paris, Imprimerie nationale, 1838, vol. 2, p. 471).
IV. Hypothèse abandonnée des arêtes de poissons
En revanche, rien ne semble indiquer dans ce plan de Turin que la citadelle comportait des galeries souterraines. L'hypothèse de la construction des arêtes de poissons en lien avec la citadelle a été largement battue en brèche en 2013 par les analyses au carbone 14 du mortier qui remontent toutes à l'époque romaine. Le service archéologique est donc largement revenu sur la datation au XVIe siècle et précise depuis 10 ans par différentes analyses le rôle de ces souterrains à l'époque antique et tardo-antique. L'article Wikipedia sur les arêtes de poissons cite et renvoie sur les rapports archéologiques de la ville est est très clair sur ce sujet. En revanche, rien ne permet d'affirmer que ce réseau souterrain n'a pas été utilisé a posteriori au XVIe siècle, mais si rien ne permet de l'affirmer, ni dans les délibérations, ni ailleurs dans les archives.