Au Moyen Age, la vie liturgique des églises et cathédrales était-elle coordonnée ?
Question d'origine :
Bonjour
Durant le moyen age, les villes comportaient de nombreuses églises, parfois même une cathédrale.
Comment fonctionnaient-elles ensemble ? Sonnaient-elles toutes au même moment, pour toutes les fêtes ? Comment étaient, par exemple, gérés les fêtes où il y avait une procession, comme celle de la Purification de la Vierge ? Chacune organisait sa propre procession ? Est-ce qu'elles étaient fréquentées par les fidèles alentours ou ceux qui avaient une préférence pour un saint donné ?
En vous remerciant par avance de votre aide sur cette question,
Merci pour votre travail
Réponse du Guichet
Le quotidien devait être rythmé par un véritable tintamarre où se mêlaient des bruits de toute part.
Bonjour,
Notons tout d'abord l'accroissement du nombre d'églises pendant cette période. Pour reprendre l'étude de Michèle Gaillard, La présence épiscopale dans la ville du haut Moyen Âge : sanctuaires et processions (Histoire urbaine, 2004/2 n° 10) :
Pendant l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge, la ville change de visage, notamment à cause de l’implantation de nombreux sanctuaires chrétiens, à l’intérieur de l’enceinte urbaine ou de l’espace densément habité, comme la cathédrale et ses annexes, mais aussi à l’extérieur avec la construction des basiliques en l’honneur des martyrs et des saints locaux, à l’emplacement des anciens cimetières, païens ou chrétiens. Petit à petit, le nombre d’églises augmente jusqu’à atteindre un chiffre bien supérieur à celui d’aujourd’hui : ainsi Metz comptait au moins 40 églises au milieu du VIIIe siècle
La multiplication des églises s'accompagne en effet du nombre toujours plus importants de cloches auxquelles il faut ajouter des bruits divers et variés. L'ouvrage Les paysages sonores : Du Moyen Âge à la Renaissance par Laurent Hablot, Laurent Vissière (2018) et dont nous ne citons qu'un bref extrait, revient effectivement sur cette étrange polyphonie, avec ces différents sons de cloche. Il mentionne que "Dans la société médiévale où l’individu n’est pas en sécurité, le sens de l’ouïe est très développé" et qu’ils doivent reconnaître
« le timbre et le tintement de chaque cloche. Il s’agit bien d’une culture musicale ordinaire et d’une aptitude à déchiffrer les codes dans le paysage sonore. Ainsi chaque cloche, réalisée avec le plus grand soin selon des calculs lés à l’Ars Musica, sonne avec une hauteur de son déterminé que l'auditeur doit reconnaître. A Abbeville, au nord d’Amiens, les cloches de la sonnerie du beffroi donnaient chacune des indications différentes : la « Hideuse » annonçait les incendies, les alarmes et les exécutions ; la cloche du guet sonnait pour le changements de tour de garde ; la cloche de la retraite sonnait le couvre-feu (…) hors du tintement ordinaire, certaines cloches étaient utilisées en d’autres occasions mais avec des sonneries élaborées permettant de comprendre la nature du danger (…) cependant, ces sonneries municipales sont souvent concurrencées par celles du clergé et les vues des villes médiévales moyennes confirment que le nombre des clochers est tellement important qu’il faut posséder une culture auditive performante pour distinguer une cloche d’une autre
(…) aucune règlementation précise ne permet d’éviter cette surenchère de sonneries régulières et ponctuelles s’échappant des clochers qui peuvent paralyser l’activité humaine lors de grandes fêtes ; A Paris, c’est l’évêque Guillaume d’Auvergne qui, en 1234, doit régler un différend opposant l’église paroissiale Saint-Barthélémy avec l’abbaye Saint-Maigloire par une règlementation pointilleuse de l’heure et de la durée des sonneries.
(…) Les sonneurs de la ville d’Amiens commencent à carillonner bien souvent dès deux ou trois heures du matin, « les jours des fêtes de plusieurs saints, qui empêchent le repos de la nuict à plusieurs ». Suivent toutes les sonneries liées au temps eucharistique : offices, annonce et déroulement de la liturgie …
Sur la sonnerie des cloches, nous vous laissons aussi consulter : Cloches & sonnailles. Mythologie, ethnologie et art campanaire,1996.
Pour ce qui est des fêtes, dans Le bas Moyen Âge en Occident (XIe-XVe siècle), Romain Telliez (2011) souligne l'importance que revêt alors l'église :
L’église est le lieu de réunion des habitants du village ou du quartier, ses cloches rythment le temps quotidien au fil des heures liturgiques tout comme les fêtes religieuses scandent le calendrier annuel. ..
Tout au long du Moyen Age, la spiritualiét s’exprimer d’abord par le culte des saints, intercesseurs privilégiés face à la divinité avant que ne s’impose, à partir du XIIe siècle, la figure d’un Christ plus humain et la culte de la Vierge ...
Jean Verdon aborde dans Etre chrétien au Moyen Âge (2018) les différentes processions au cours du Moyen Age qui deviennent un élément important de la vie religieuse
L’une des plus importantes processions à cette époque est celle des rogations, trois jours avant l’Ascension. Les fidèles, tenus de jeûner durant les trois jours qu’elles durent, se retrouvent dans les églises des différents quartiers de la ville et la procession prend le départ à neuf heure du matin. Le clergé ouvre la marche ou la ferme. Un diacre ou un sous-diacre portant une croix se trouve devant. Près de lui un autre diacre avec les Evangiles ouverts. Suivent des clercs annonçant le cortège des fidèles qui parcourent les rues de la cité et s’aventurent au-delà à une certaine distance des portes. Toutes les catégories sociales participent à cette procession.
Vous en saurez plus en parcourant cet ouvrage et en complétant votre lecture par d'autres ouvrages :
Orare aut laborare ? Fêtes de précepte et jours chômés du Moyen Âge au début du XIXe siècle, 2017.
Histoire des ordres et congrégations religieuses en France du Moyen Age à nos jours / Sophie Hasquenoph, 2013.
Religion et mentalités au Moyen Age : mélanges en l'honneur d'Hervé Martin / sous la dir. de Sophie Cassagnes-Brouquet, Amaury Chauou, Daniel Pichot et Lionel Rousselot ; [préf. de Jean Delumeau], 2003.
Liturgie et société au Moyen âge / Eric Palazzo, 2000.