Les chevaliers et les guerriers aristocratiques étaient-ils de riches voyous ?
Question d'origine :
Un ami Anglais m'a dit mot pour mot 'Knights and aristocratic warriors are not role models for me because historically they tended to be bullies and oppressors'
Est-ce qu'il a raison? Est-ce vrai que les chevaliers et les guerriers aristocratiques etaient plutôt de riches voyous?
Réponse du Guichet

Sans aller jusqu’à les qualifier de « riches voyous », il est certain que les chevaliers s’éloignaient parfois de l’idéal chevaleresque véhiculé par les imaginaires. Cet idéal n’a supprimé ni la violence en temps de guerre, ni son utilisation à des fins de domination.
Bonjour,
Nous vous rappelons que vous avez déjà posé une question assez proche, La perception que nous avons des chevaliers et samouraïs est-elle la bonne ? à laquelle la réponse faite fournissait déjà de nombreuses pistes.
Elle mettait aussi en garde sur le fait que la chevalerie a existé sur un temps très long et qu’il est donc délicat de schématiser :
« Concernant la vie «réelle» des chevaliers, il faut garder en tête que l’institution de la chevalerie a existé sur un temps très long. Ils seraient apparus au VIIIe ou au Xe siècle selon les auteurs, et si leur rôle est de plus en plus désuet, il reste important au XVIe siècle. Leur statut social, leur rôle et leur comportement ont donc évidemment fortement évolué au cours de ces six à huit siècles d’existence, suivant l’évolution de la société médiévale. ».
Parmi ses conseils de lecture figure Chevaliers et chevalerie au Moyen Age de Jean Flori, une référence sur la chevalerie, que nous ne pouvons que vous conseiller à nouveau.
Vous pourriez aussi du même auteur lire en ligne la recension d’un ouvrage anglais Guerre et chevalerie au moyen âge (à propos d'un ouvrage récent), Cahiers de Civilisation Médiévale, Année 1998 41-164 pp. 353-363.
Cet article semble répondre en profondeur, et en donnant le point de vue anglais, à votre questionnement.
En voici quelques extraits :
« Il faut donc conclure au caractère limité de l'éthique chevaleresque : les piétons ne comptent pas, les paysans non plus. On ne se préoccupe pas de leur sort ; le comportement chevaleresque codifié par l'honneur ne concerne que les nobles. C'est un comportement de classe. On commet donc un anachronisme si l'on pense que dévaster, brûler, tuer, n'est pas compatible avec la « chevalerie ». Pour les chevaliers de ce temps, la « chevalerie » a des règles de comportement qui ne concernent que les chevaliers. Je dirais pour ma part que l'idéal chevaleresque est aristocratique, il n'est ni démocratique, ni humanitaire. »
Il n’empêche que ce sont les normes du comportement guerrier qui change avec la chevalerie, même si ces normes ne sont pas toujours suivies :
« Certes, la chevalerie, en tant que limitation de la violence, a des limites ; elle ne concerne qu'une petite élite, et cette élite elle-même n'observe pas toujours les règles. Pourtant, même dans ces conditions, le développement de cet idéal revêt une grande signification : le massacre généralisé, la réduction systématique en esclavage ne sont plus jamais considérés comme la norme du comportement guerrier. On met maintenant l'accent sur la miséricorde, sur la rançon, sur les conditions de captivité honorables, sur la franchise, sur l'honneur... C'est la marque d'un passage de l'éthique « héroïque » à l'éthique « chevaleresque ».
Autres références :
- L’article Chevalerie de Wikipédia est également très complet :
« L'imaginaire de la chevalerie a fortement marqué la littérature, les arts et est encore aujourd'hui une source de popularité du Moyen Âge auprès du grand public - non sans biais et sans déformations liées aux imaginaires politiques qui firent de la chevalerie un exemple de comportement à suivre. »
- La légende dorée des chevaliers du Moyen Age, Dominique Barthélemy dans L’Histoire, 244, juin 2000.
« Modèles de courage et de générosité, de courtoisie et de piété, les chevaliers du XIIe siècle ? Les historiens ont aujourd'hui profondément renouvelé l'image idéale léguée par les romans de la Table ronde et les chansons de troubadours. Les valeurs chevaleresques n'étaient pas celles que l'on croit ! »
« Faut-il croire, comme on nous l'a enseigné, qu'à des chevaliers mal dégrossis et prompts à régler leurs querelles par l'épée, l'Église aurait appris peu à peu la civilisation des mœurs, la canalisation des pulsions, la paix et la charité ?
À lire les récits du temps, les chroniques et les hagiographies, ces histoires de batailles, de miracles, d'exorcismes et d'anathèmes qui forment tout l'horizon culturel des hommes de l'époque, il semble plutôt que les seigneurs et les saints, avec ou sans la bénédiction divine, aient en fait combattu côte à côte, pour assurer et maintenir la domination d'une certaine caste, la même, la leur, sur la population paysanne. En somme, si le système féodal a pu durer, c'est parce qu'il était chrétien, c'est parce que la religion, dans ses pompes et ses œuvres, est venue prêter son concours à un ordre politique très peu respectueux des commandements divins. »
- Le guide pour devenir chevalier sur le site du Musée des armées:
« Quelles sont les règles les plus importantes que doivent suivre les chevaliers?
Ce sont des valeurs de courage, d’honnêteté et de don de soi. Le chevalier est censé protéger et venir en aide aux plus faibles. Ces valeurs qui se développent ne sont pas mises en avant uniquement sur les champs de batailles. Elles sont présentes aux tournois, aux festins, aux mariages: il y a une émulation artistique et littéraire avec notamment les romans de Chrétiens de Troyes. Il s’agit cependant d’un idéal. Au Moyen Âge, la guerre est souvent synonyme d’embuscades, de raids et ou de pillages. Régulièrement, ces opérations s’apparentent à du brigandage, les batailles rangées restants rares.
Par exemple à la fin du Moyen Âge, pendant la guerre de Cent Ans, les chevauchées anglaises ressemblent à de véritables campagnes de raids et de terreur vers le Poitou, le Cotentin, la Touraine, le Berry, la Picardie, le Limousin, le Languedoc et la Normandie où les terres sont ravagées. »
- Chevalerie médiévale, sur World History Encyclopedia :
« La chevalerie avait un autre objectif que de rendre les gens bien élevés : séparer clairement les nobles des gens du peuple. Après la conquête normande de 1066 en Angleterre, par exemple, les divisions sociales étaient devenues un peu plus floues et la chevalerie devint donc un moyen pour la noblesse et les aristocrates terriens de se persuader qu'ils étaient supérieurs et qu'ils avaient le monopole de l'honneur et des bonnes manières. La chevalerie devint ainsi une sorte de club privé où la richesse, la lignée familiale et l'accomplissement de certaines cérémonies d'initiation permettaient à une personne d'entrer dans la clique et d'afficher ensuite ouvertement son sentiment de supériorité aux yeux des masses. »
- Une réponse sur un service équivalent au Guichet : La réalité de la chevalerie et du code chevaleresque au Moyen-Âge était-elle très différente de sa représentation dans les films et livres actuels ?, Interroge, service des bibliothèques de la Ville de Genève
- Chevaliers : Moyen Âge et Renaissance : histoire et imaginaires, un ouvrage récent qui fait le point.
Bonnes lectures !