Pourquoi le plat principal est-il salé et le dessert sucré ?
Question d'origine :
Pourquoi le plat principal est-il salé et le dessert sucré ?
Réponse du Guichet

La concentration de la saveur sucrée dans les desserts et sa raréfaction dans les plats principaux au profit du salé se fait progressivement en Europe, entre le XVIIe et le début du XXe siècle. Aujourd'hui, la binarité "plat salé / dessert sucré" est une institution de la cuisine française ; la mode s'est muée en tradition. Mais ce modèle ne fait pas l'unanimité à l'international.
Bonjour Champignon,
Cette question a déjà été posée par le passé et avait fait l'objet d'une double réponse, sous l'angle scientifique puis sous l'angle historique : nous vous invitons à consulter cet article avant de poursuivre votre lecture.
Comme mentionné précédemment sur le Guichet, cette organisation des mets s'est progressivement imposée en France entre le XVIIe siècle et le début du XXe siècle. Avant cette période, on trouve des menus qui nous semblent aujourd'hui désordonnés, en témoigne cet extrait d'un repas servi au XIIIe siècle :
Fra Salimbene nous a conservé le menu d'un dîner maigre offert par Saint Louis, dans le réfectoire d'un couvent de Sens à ses trois frères, au cardinal légat et à l'archevêque de Rouens. "Nous eûmes d'abord des cerises puis du pain très blanc, on nous servit quand et quand d'excellent vin et en grande abondance, comme il convenait à la magnificence royale et selon la coutume des Français, plusieurs s'empressaient d'inviter et de pousser à boire ceux qui ne le voulaient pas. Ensuite on nous donna des fèves nouvelles cuites dans du lait, des poissons et des écrevisses, des pâtés d'anguilles, du riz au lait d'amandes, saupoudré de cannelle, des anguilles rôties, accompagnées d'une fort bonne sauce, des tourtes et de la caillebote, enfin une quantité de fruits."
Source: Les Français et la table : alimentation, cuisine, gastronomie du Moyen Age à nos jours (page 31).
Nous avons parlé de la France ; qu'en est-il du reste du monde ? En effet, si la binarité "plat salé / dessert sucré" est assez répandue en Occident, elle ne fait pas l'unanimité à l'internationale. Retour d'abord sur son arrivée en Europe :
Comment la consommation de sucre a-t-elle évolué en Europe ?
Au départ, le sucre est un élément essentiel de la pharmacopée d'origine perse et arabe qui s'est diffusée en Europe. Il est utilisé dans la plupart des remèdes contre la peste noire qui ravage ce continent à partir de 1347, et conseillé pour les maux de ventre ou pour clarifier le sang.
Durant toute la période médiévale, on utilise le sucre comme une épice, pour masquer ou sublimer l'amer ou l'aigre. Au XVIe siècle, cet usage ne concerne plus seulement la cour mais aussi les couches aisées de la population. C'est l'époque des dragées, des confitures... On ne consomme pas les fruits crus car ils sont difficiles à digérer et considérés comme malsains, donc on les cuit dans du sucre.
En Angleterre, le sucre envahit la cuisine et les puddings se généralisent, en plat principal, ou en dessert pour les catégories les plus aisées. La France, qui pourtant est un pays de desserts, a longtemps résisté à la mode du sucre. On pense généralement que c'est à cause de la prépondérance du pain et du vin, qui laissait peu de place au sucré.
Trois boissons vont considérablement augmenter la consommation de sucre à partir des XVIIe-XVIIIe siècles: le café, le thé et le chocolat. La production et la consommation de sucre ont été multipliées par vingt entre 1800 et 1890. C'est une explosion, sans doute la plus forte de l'histoire pour un produit de consommation.
Source: Dockès, P., Propos recueillis par Deshayes, M. (2011). Entretien avec Pierre Dockès : L'amère mondialisation du sucre. Les Grands Dossiers des Sciences Humaines, 24(9), 16-16.
Au XXIe siècle, la binarité "plat salé / dessert sucré" est loin d'être la norme partout. De nombreuses cultures n'incluent pas de dessert à leurs repas, en-dehors de rares occasions festives. On trouve également des plats "sucré-salé" dans diverses cultures : la sauce teriyaki au Japon, le porc au caramel au Vietnam, le fessendjan en Iran, le mole poblano au Mexique, le prosciutto e melone ("jambon cru et melon") en Italie, etc.
Mais le sucre n'a pas fini sa conquête du monde, et la mondialisation tend, si ce n'est à uniformiser les coutumes alimentaires, au moins à les répandre.
[...] l'Inde est plus sensible à l'élargissement de sa palette de saveurs sucrées. Tout le continent américain a reconstruit ses goûts avec les colonisations qui ont donné des sociétés très différenciées entre le Nord et l'Amérique centrale ou méridionale. L'Afrique subsaharienne s'est ouverte aux saveurs sucrées récemment. À l'échelle mondiale, le sucré agit comme un révélateur de richesses matérielles et son corollaire, comme un annonciateur de pathologies graves (obésité, diabète, maladies cardiovasculaires).
Source : "La mondialisation de l'alimentation"
Pour aller plus loin, nous pouvons interroger ce prisme occidental, et remettre en cause les notions même de "sucré" et de "salé".
On considère souvent que tous les humains perçoivent, grâce à des détecteurs placés sur la langue, cinq types de goûts: l'amer, le sucré, l'umami, le salé et l'acide, auxquels on a ajouté récemment celui du gras. En fait, les perceptions gustatives désignées par ces termes ne sont pas partagées par toutes les populations et ne trouvent pas de support physiologique bien défini.
Source : extrait de l'article "Goût" de Je mange donc je suis, petit dictionnaire curieux de l'alimentation (p°106).
Vous pourrez trouver davantage de documentation dans nos collections relatives aux coutumes alimentaires grâce à cette recherche par cote.
Vous pourrez également trouver des informations complémentaires dans ces deux articles du Guichet:
Bonne exploration !