Combien de jours étaient nécessaires pour rallier Bordeaux à Quimper en 1750 ?
Question d'origine :
Bonjour, j'aimerais savoir combien de jours étaient nécessaires pour relier Bordeaux à Quimper en 1750 en voiture à cheval
Réponse du Guichet

Au milieu du XVIIIe siècle, un voyage en voiture à cheval de Bordeaux à Quimper prenait probalement entre 11 et 15 jours, à raison de 40 à 50 km parcourus quotidiennement, estimation donnée par le "Guide des voyageurs", de Michel et Desnos, best seller du XVIIIème siècle. Mais cette durée peut varier énormément selon les conditions de route, la saison, le véhicule ou la météo. Les progrès techniques et une amélioration certaine des routes de Bretagne et du royaume de France n’ont permis d’accélérer sensiblement ces trajets qu'à partir de la fin du siècle.
Bonjour,
Votre interrogation porte sur le nombre de jours qu'aurait duré un voyage en voiture (diligence, berline, fiacre, tilbury etc., voir ce site qui cite les différents véhicules de l'époque) ralliant Bordeaux à Quimper aux alentours de l'année 1750. Beaucoup de paramètres sont à prendre en compte si l'on souhaite estimer avec précision une telle entreprise. En effet, de nombreux facteurs pouvaient altérer la longueur d'un voyage aussi long, qu'il s'agisse du choix du véhicule utilisé, du nombre et de la nature des voyageurs (émissaires, courriers, postillons, nobles, roturiers etc.), de la saison de départ ou de la météo rencontrée durant le trajet, de la qualité des routes etc. Il faut aussi prendre pour référence une durée moyenne de voyage quotidien, comptabiliser les temps de pause et de repos et aussi reconnaitre le probabilité de faire face à de nombreux imprévus...
Le XVIIIème siècle a été marqué par une accélération des temps de voyage dans le royaume. Une majorité de ces progrès se sont ressentis dans la seconde partie du siècle. L'historien Guy Arbellot, à partir des indicateurs des diligences royales a étudié ce phénomène, a étudié ce phénomène. Anne Bretagnolle et Alain Franc dans « Les routes de la poste à cheval et les petites villes en France (1632-1833) » (Presses universitaires Blaise-Pascal, 2020,) reprennent ses analyses et expliquent les raisons de cette accélération à partir de trois paramètres :
Le premier est la distance-réseau, en d’autres termes le trajet réel emprunté par la poste aux chevaux en fonction des routes composant le réseau à la date concernée. Le deuxième est la résistance, c’est-à-dire la possibilité de chemins alternatifs. Le troisième est la vitesse, qui évolue considérablement au cours de la période qui nous intéresse.
En effet, l’historien Guy Arbellot, travaillant à partir des indicateurs horaires des diligences royales, montre qu’une forte accélération se produit au tournant des années 1770 : la vitesse est quasiment multipliée par deux. Cet accroissement s’explique non seulement par des progrès techniques (revêtement des routes, allégement du poids des diligences), mais aussi par la sélection des races chevalines ou le raccourcissement des pauses aux relais de poste. Elle témoigne, au même titre que les progrès contemporains dans la cartographie de la France (couverture par les frères Cassini) ou ceux dans la mesure des distances topographique, d’une évolution vers une « maîtrise spatio-temporelle de l’espace ».
Cette maîtrise spatio-temporelle de l'espace a pourtant mis un certain temps à advenir. Et malgré les avancées de la science, de la technique et de la cartographie, le XVIIIème siècle regorge de témoignages écrits de voyageurs ayant traversé leur lot d'épreuves pour arriver à bonne destination. Quelques lieux pouvaient parfois devenir un vrai calvaire. Nous vous recommandons à ce sujet l'anthologie en deux tomes, Le voyage en France, avec des textes compilés par Jean M. Goulemot, Paul Lidsky et Didier Masseau (R. Laffont, 1995). Et nous ne résistons pas à l'envie de partager ces petites anecdotes de voyage lues dans « La révolution des transports et l’accélération de la France (1770-1870) » de Christophe Studeny, extrait du livre De l’histoire des transports à l’histoire de la mobilité ? (PUR, 2009) :
Madame du Deffand parvient à destination, bien cahotée mais sans trop de fatigue, le 2 juillet 1742 : « Il n’y a que pour quinze heures de chemin de Paris à Forges, écrit-elle, Nous fîmes hier dix-sept lieues en neuf heures de temps et aujourd’hui onze en six heures et demie. » L’abbé Lebeuf, marcheur infatigable, qui compte les pas d’un lieu à un autre pour comparer avec les distances inscrites sur les itinéraires, reconnaît que rester dans un coche du matin au soir pour effectuer un trajet de quatre lieues, c’est assez ennuyant. Il préférerait souvent aller à pied, si le temps et le chemin le permettaient, mais en bien des circonstances, lorsque la terre est grasse ou le climat hostile, il faut accepter l’ennuyeuse voiture. Tous les témoignages traduisent la patience et la résignation nécessaires aux délais de voyage, l’endurance aussi du passager, tel Diderot, en juillet 1759, qui condense le trajet Paris-Langres en vingt-quatre heures de route continue.
Ces récits de voyage permettent d'appréhender l'extrême relativité des calculs de distance à une époque où les conditions de voyage étaient très nettement moins uniformisées qu'à nos jours. Mais essayons nous tout de même à quelques approximations. Dans leur article, Anne Bretagnolle et Alain Franc citent un best seller de l'époque qui fit référence parmi les voyageurs français et européens. Ce guide s’appelait L'indicateur fidèle, ou Guide des voyageurs, qui enseigne toutes les routes royales et particulières de la France (que vous retrouverez en partie numérisé sur Gallica) et a été écrit par Michel et Desnos en 1765, soit à quelques années près, la date qui nous intéresse. Ces derniers estimaient alors :
L’indicateur fidèle de Michel et Desnos témoigne sur la plupart des grandes routes d’une moyenne identique, 40 à 50 km par jour, au rythme de la foulée, en coche ou carrosse public. Le voyage se compte en journées, d’étape en étape, ponctué d’arrêts forcés pour les repas dans les auberges, de haltes pour la nuit. Six jours depuis Paris pour atteindre Langres, Dijon, Vienne, Châteauroux, douze jours pour aller à Saintes, Marseille (une semaine de route depuis Paris pour atteindre Laval, Angers, Poitiers, Valence ou Metz), plus de deux semaines pour aller à Nice ou Montauban.
Source : « Les routes de la poste à cheval et les petites villes en France (1632-1833) » Anne Bretagnolle et Alain Franc.
40 à 50 kilomètres par jour donc. Si l'on convertie grossièrement le nombre de kilomètres qui séparent aujourd'hui les villes de Bordeaux et de Quimper, nous trouvons le chiffre 578 kilomètres. Certes les infrastructures routières sont différentes mais faute de témoignages trouvés à propos de ces distances et du temps de voyage à l'époque, nous ferons ainsi. Pour parcourir une telle distance à une moyenne de 40 à 50 kilomètres il vous faudrait entre 11 à 15 jours. En 1783, dans Itinéraire des routes les plus fréquentées, ou Journal de plusieurs voyages aux villes principales de l'Europe depuis 1768 jusqu'en 1783 (numérisé sur Gallica) M. L Dutens écrivait qu'il fallait 32h45 pour rallier La Rochelle au départ de Bordeaux à une vitesse moyenne de 5,5 klm/h. Avec une dizaine d'heures moyenne de trajet par jour, le véhicule parcourt environ 55 kilomètres quotidiennement, soit juste un peu plus que les estimations données par Michel et Desnos.
Paul Charbon dans son ouvrage Au temps des malles-postes et des diligences décrit ainsi le trajet en diligence de Paris à Lyon en 1760 :
« Pour aller de Paris à Lyon, deux itinéraires terrestres sont possibles : un par la Bourgogne, l’autre par le Bourbonnais. Un almanach de la ville de Lyon datant de 1760 donne des détails sur ces deux trajets. Les carrosses de Lyon à Paris passant par le Bourbonnais traversent les villes de Tarare, Roanne, La Palisse, Nevers et La Charité. Ils partent tous les lundis de Lyon et couvrent ce trajet en dix jours et demi.
Source : Lyon Paris en diligence - Guichet du Savoir (2009)
Mais les accélérations temporelles sont énormes et ce rapidement peu après comme le rappelle cette réponse du réseau Eurekoi, interrogé sur le temps de trajet entre Paris et Madrid au XVIIIème siècle : "Cependant, à partir de 1776, les voyages par diligences deviennent plus rapides : de Paris à Lyon, on ne met guère plus que 5 jours (on en mettait 10 au XVIIe siècle) ; à Bordeaux, 6 ; à Lille, 3 (au XVIIe , 4) ; à Marseille, 11. Les chaises de poste sont plus rapides, mais pour en user il faut être vraiment riche."
Et à ceci s'ajoutent les difficultés à circuler en Bretagne à une époque où la presqu'île connu une transformation énorme de son réseau routier durant la seconde partie du XVIIIème siècle, permettant notamment le désenclavement progressif de la ville de Quimper. La vitesse moyenne de circulation sur ces routes est variable selon l'époque et les destinations. Pour en comprendre davantage, nous vous invitons à lire l'excellent le chapitre III. "Villes et communications" de Claude Nières dans Les villes de Bretagne au XVIIIe siècle, (Presses universitaires de Rennes, 2004), dont le chapitre Les liaisons difficiles de la Bretagne avec l'extérieur raconte notamment les difficultés causées par la qualité de la voierie au sortir de la presqu'île bretonne en direction du Maine, de la Normandie ou l'Anjou, à l'époque qui vous intéresse. Il est aussi question des nombreux travaux entrepris sur les routes dans les terres, souvent effectués par des paysans du fait de la corvée etc.
Il est donc très difficile de vous donner une estimation qui ne soit pas au doigt mouillé tant les paramètres en action sont multiples.
Pour nous pardonner, nous pouvons vous proposer d'admirer les cartes de l'Atlas itinéraire de Bretagne : contenant les Cartes particulières de tous les grands Chemins de cette Province par Jean Ogée en 1769 (consultable sur le site de la bibliothèque numérique de Quimper) qui permet de bien se représenter les principales routes d'alors. Les cartes sont superbes et vous retrouverez le réseau qui reliait Quimper à l'époque !
Bonne journée.