L'office de commissaire aux saisies réelles était-il bien héréditaire ?
Question d'origine :
Dans cette précédente réponse, Etudes pour devenir commissaire aux saisies réelles, vous indiquez que les commissaires aux saisies réelles faisaient partie de la noblesse en vous appuyant sur une citation de wikipedia dans son article sur la Noblesse que vos citez. « nos petits marquis ou nos vicomtes côtoient les receveurs des tailles et les payeurs des rentes, les commissaires aux saisies réelles, les sous-traitants ou les commis principaux de l'extraordinaire des guerres ».
Or, d'une part, cette citation ne provient pas de l'article sur la noblesse mais de celui sur la Capitation. Vous pouvez le constater. https://fr.wikipedia.org/wiki/Capitation
D'autre part, l'article sur la Capitation argumente et explique justement, en contradiction avec votre affirmation, que les classes de Capitation (et notamment la 7eme dont font partie les commissaires aux saisies réelles) contenaient indifféremment des roturiers et des nobles, avec comme exemple, marquis et vicomtes mélangés aux commissaires aux saisies réelles !
L'office de Conseiller-Commissaire-Receveur des deniers des Saisies Réelles, établi près d'une cour est apparu lors d'un Edit Royal de 1626.02 (chargé de l'administration des biens immobiliers saisis réellement par la justice).
Je cherche JUSTEMENT à vérifier si cet office était bien héréditaire et conférait bien un titre de noblesse ... dans le cadre d'une biographie sur Jean Baptiste Labruyère (1702-1767) qui devient De la Bruyère vers 1750, alors qu'il occupe la fonction de conseiller du Roi, commissaire aux saisies réelles du bailliage de Chalon sur Saône.
Merci d'Avance.
Réponse du Guichet
L’office de commissaire aux saisies réelles, créé sous Louis XIII et rendu héréditaire en 1689, servait à la gestion des biens saisis par la justice avant un procès. Relevant des offices royaux vénaux, il pouvait très probablement, après plusieurs générations d’exercice continu, conduire à l’anoblissement de ses titulaires. L'exercice de cette fonction par Jean-Baptiste-Daniel Deshayes-Doudart (1731-1803), un noble auprès du parlement de Bretagne, apporte de la crédibilité à cette hypothèse bien que nous ne puissions pas la confirmer.
Bonjour,
Ces informations d'ordre général s'appuient sur le contenu du manuel Pouvoir royal et institutions dans la France moderne (Armand Colin, 2019) de Dominique Le Page et Jérôme Loiseau, à partir de la page 108 "Les Officiers" :
Comme l'écrivait le juriste français Charles Loyseau, l'office était sous l'Ancien régime une "dignité ordinaire avec fonction publique", c'est à dire une délégation de la puissance publique, donc du pouvoir royal qui, à ce titre, faisait l'objet d'un édit promulgué par le roi et était délivré par la grande chancellerie. La personne qui souhaitait occuper une fonction devait s’acquitter d'une somme d'argent, plus ou moins importante selon son prestige, on parle alors de vénalité des offices. L'office conférait à son titulaire un rang dans la société d'ordres, des revenus mais aussi des droits et des privilèges et toute l’administration publique fonctionnait alors avec des officiers royaux.
En 1604, le roi Henri IV pris une décision majeure. Désormais les officiers pouvaient transmettre librement leur office, à condition de payer chaque année une taxe appelée l'annuel ou la paulette (du nom du premier financier chargé de la percevoir, Charles Paulet), échappant ainsi à la clause des 40 jours qui prévalait jusqu'alors. Avec cette décision, tout change puisque l'office va peu à peu se "patrimonialiser", c'est à dire devenir un bien patrimonial transférable comme n'importe quel autre, de son titulaire à ses ayants droits. Attention, cette mesure ne concerne que les charges se rapportant au bien commun de la société, à savoir les charges de justice, de finance et de police.
En tant que détenteur de tous les sceaux royaux, le chancelier était considéré comme le premier grand officier de France (cf. Comment devenait-on noble en France sous l'Ancien Régime ? - Futura-sciences)
Entre 1515 et 1771 le nombre d’officiers est passé de 4041 à 51 000 avec un âge d'or dans les années 1640-1660 et où les prix des offices se sont envolés et ont été très profitables à la revente (avant un début d'encadrement par Colbert en 1665). Il faut dire que la création d'office était une manne importante d'argent pour le pouvoir qui a fini par s'en rendre dépendant, en raison des ressources indispensables qu'il en tirait pour financer les guerres. L'état français pouvait alors être considéré comme un "Etat d'offices" qui attirait les désireux de servir le roi, mais aussi les ambitieux qui voulaient progresser dans la société, faire des profits ou simplement gagner en honneur.
Malgré les accusations de vénalité portées à l'encontre des magistrats, la monarchie n'a jamais su mettre fin à ce système et il faudra attendre la Révolution pour voir abolir les offices en France.
Au début du XVIIIème siècle, le commissaire aux saisies réelles était un "officier qui est commis pour avoir soin des biens saisis réellement." (Dictionnaire de l'Académie française, commissaire). Cette page des Archives nationales au sujet des bureaux des saisies réelles résume en quelques lignes l'histoire et le rôle de ces officiers créés pendant le règne de Louis XIII :
«Le terme de saisie réelle désigne l’exploit par lequel un huissier mettait dans la main de la justice soit un immeuble — maison ou terre — soit un bien assimilé — rente foncière ou constituée, ou encore office — en vue de sa vente en justice; celle-ci portait le nom de décret» (M. Langlois, inventaire cité, p. 9).
Les bureaux des saisies réelles sont créés sous Louis XIII par un édit de février 1626 afin d’assurer la gestion du bien entre la date de sa saisie et celle de sa vente judiciaire. Des «commissaires receveurs des deniers provenant des saisies réelles» sont implantés dans chaque ville où siège une juridiction royale et y tiennent un «Bureau» où ils font enregistrer les exploits de saisies réelles sous l’autorité des magistrats locaux. Ils sont également chargés de procéder dans les meilleurs délais au bail judiciaire du bien saisi, d’en percevoir la recette, et d’acquitter les charges. Un nouveau règlement réorganise l’institution en 1722. Le Bureau des saisies réelles de Paris doit son importance à la multiplicité des institutions judiciaires siégeant dans la capitale et au ressort de la première d’entre elles, le Parlement.
Source : Archives de l’Ancien Régime - Archives nationales de France.
A la Révolution, l'abolition de la vénalité des offices s'est accompagnée d'une indemnisation qui permit aux anciens titulaires de réinvestir leur argent dans l'achat de biens nationaux. Ainsi, des rapports sur le remboursement des offices, comme celui rédigé par le rapporteur Henry de Longuève et intitulé "Remboursement des offices des receveurs des consignations et commissaires aux saisies réelles", sont très instructifs puisqu'ils récapitulent l'histoire de la fonction et ses modalités de fonctionnement :
Mais il était beaucoup plus facile de créer des offices que de trouver des acquéreurs pour les prendre. Une grande partie était à concéder surtout en Normandie, lorsqu’en 1685 on supprima tous ceux établis dans cette province. On les remplaça sur-le-champ par une nouvelle création de receveurs et de commissaires anciens, alternatifs et triennaux; mais il fut ordonné que la même personne réunirait tous ces titres, sans qu’il fût par la suite permis de les désunir.
(...)
Quoi qu’il en soit, au surplus, du succès de ce système, on le crut assez avantageux, pour que l’opération, exécutée d’abord dans la seule province de Normandie en 1685, fût étendue à tout le royaume en 1689. Une loi de cette année réunit en un seul corps d’offices, et ordonna la revente au profit de l’État, sous un seul titre, de tout ce qui tenait, dans chaque siège, à la recette des consignations, ou au commissariat des saisies réelles. Ce titre nouveau fut déclaré héréditaire et domanial.
(...)
Ce principe fut plus solennellement établi encore dans les lois de 1689, puisqu’elles contiennent une recréation formelle et complète en offices héréditaires et domaniaux. Or, il est, comme vous le savez, de l’essence des offices domaniaux de n’être assujettis, ni à la casualité, ni à aucune des charges dont les autres offices sont grevés.
Source : Remboursement des offices des receveurs des consignations et commissaires aux saisies réelles - Rapport de Henry de Longuève (1791).
Le texte de lois de 1689 auquel il est fait référence pourrait être le suivant : Edit du roy, donné à Versailles au mois de juillet 1689. portant suppression & création des offices de commissaires aux saisies rêelles des cours & jurisdictions du royaume. Publié en audiance publique le 13 aoust 1689 (numérisé sur notre plateforme Numelyo).
Aussi, dans notre précédente réponse (Études pour devenir commissaire aux saisies réelles, 2011), nous mentionnions un certain Jean-Baptiste-Daniel Deshayes-Doudart (1731-1803), commissaire aux saisies réelles du parlement de Bretagne, dont l'histoire avait été rapportée au siècle dernier dans la Revue de Bretagne, (1910, t. XLIV, pp 5-21), éditée par la société des bibliophiles bretons. Aucun lien n'avait été fourni, nous rectifions ceci grâce à Internet Archive et citons, en page 8, confirmation de l'hérédité de cet office, qui lui a été transmise de son père :
Jean-Baptiste-Luc Doudart, s r des Hayes, épousa à Rennes, dans la paroisse Saint-Aubin, le 16 septembre 1719, Marie-Gabrielle Forent, ayant la même origine protestante. L'année précédente, il avait été pourvu, par lettre du 4 août 1718, de l’office de conseiller commissaire receveur des deniers des saisies réelles du parlement de Bretagne et du présidial de Rennes, créé héréditaire et domanial par édit du mois de juillet 1688.
Source : Revue de Bretagne, par la société des bibliophiles bretons (1920) Internet Archive (p.8)
Vous trouverez dans ce texte de nombreux détails sur la réalité de l'exercice de cette fonction. Mais nous ne tirons pas d'information sur un potentiel anoblissement puisque la famille semblait faire partie de la noblesse avant d'occuper la charge de commissaire aux saisies réelles.
Car en effet, l’anoblissement par l'office n'était pas systématique mais dépendait en grande partie de la proximité de l'office au pouvoir royal. L'exercice de la mission de l'officier pouvait donc parfois conduire à anoblir la personne ; c'est ce qui caractérise au XVIIème siècle l'avènement d'une seconde noblesse que l'on nomme "noblesse de robe" par opposition à la traditionnelle "noblesse d'épée". Mais cette distinction nécessitait du temps pour s'établir. Le droit coutumier exigeait plusieurs générations d'officiers pour qu'un noble soit reconnu par ses pairs :
Or c’est dans le cadre coutumier, et non pas d’après une maxime romaine a patre et avo, dont les romanistes du XVIIe siècle n’avaient guère de peine à montrer les problèmes, que s’est fixée la règle selon laquelle la transmission sur trois générations valait preuve de noblesse, pourvu qu’aucun témoignage évident de roture ne vienne en détruire la présomption. La jurisprudence demandait la même chose aux officiers revêtus de « dignités » conférées par le roi et aux « nobles » dont l’agrégation était reconnue par leurs pairs et par leurs vassaux.
(...)
Les jurisconsultes se trouvaient réduits à un ralliement empirique quasiment ethnologique au sens commun qui soumettait la pleine acquisition des privilèges de noblesse au passage dans une sorte de purgatoire durant deux générations.
Évidemment, il y avait dignités et dignités, offices anoblissants et offices non anoblissants. Ce qui fondait la noblesse des grandes dignités, c’était leur proximité avec la majesté royale : les dignités étaient pensées comme la petite monnaie de la majesté. L’anoblissement ne résultait pas de la volonté du roi, il se faisait « sans aucune déclaration particulière du souverain en faveur de la personne même, mais par une suite nécessaire du droit attaché à la charge » En effet, « l’administration de la justice était la chose la plus approchante de la divinité... La qualité de souverain emportait et surpassait la qualité de noblesse ». Comme le roi, le magistrat n’a pas d’héritier, mais un successeur. Ainsi se trouvait réactivé un thème familier du droit romain : le sénat est pars principis, pars corporis imperialis, puisque « le prince se dit estre du corps de lad. cour et aussi, à la vérité, il en est le chef », comme le rappelait Jacques Cappel en 1535. Les magistrats sont donc nobles : « ce qu’une longue descente d’aïeux et d’ancêtres produit pour faire un gentilhomme, le divin caractère de la magistrature souveraine en fait une production plus ample et plus accomplie ».
Source : « L’invention de la noblesse de robe » de Robert Descimon dans Les Parlements de province,( Presses universitaires du Midi, 1996) sur Openedition.
L'office de commissaire aux saisies réelles, sous certaines conditions et sur plusieurs générations d’exercice ininterrompu, pouvait très probablement être un vecteur d'anoblissement. Nous ne trouvons pas d'exemple formel d'un commissaire aux saisies anobli, mais au vue des responsabilités qui incombaient au commissaire du parlement de Bretagne et rapportées dans l'article de la Revue Bretonne, nous pensons qu'il n'est pas exagéré de penser que cet office pouvait offrir l'anoblissement après que plusieurs générations d'officiers se sont relayés à cette fonction.
Bonne journée.
Mohammed V