Question d'origine :
Bonjour,
Je m'intéresse à la monarchie absolue en France. Je lis un peu partout que Louis XIV a renforcé la monarchie absolue. S'il l'a renforcé, c'est qu'il n'était pas le 1er roi absolu de France. D'où mes 2 questions suivantes :
- Henri 4 et Louis XIII était-il des rois absolus ? Comme ils gouvernaient avec l'aide d'un premier ministre et que l'absolutisme renvoie à l'idée que le roi gouverne seul, je me demande si on peut parler de monarchie absolue concernant leurs règnes.
- Qui fut le 1er monarque absolu de France ?
Merci d'avance pour vos réponses.
Réponse du Guichet

Bonjour,
« Absolu », mot qui vient du latin absolutus, « délié », « détaché » selon une formule tirée du droit romain (Princeps legibus solutus est : Le prince est délié des lois) » nous rappelle Arlette Jouanna dans son introduction à Le pouvoir absolu, comme dans son autre ouvrage consacré à l’absolutisme, Le prince absolu. « Avant les guerres de religion, la monarchie n’était pas volontiers appelée « absolue » ; on la disait plutôt « mixte ». (…) L’idéal du régime mixte exprimait la certitude que la tâche d’accorder l’ordre humain à l’ordre divin devait être collective. Le roi n’était pas le seul médiateur politique entre le ciel et la terre ; les sages de son conseil et les juges de ses cours souveraines le secondaient dans cette mission. » Extrait que vous retrouvez en ligne sur Google Books. Voir aussi sur Google Books Le pouvoir absolu.
Dans un article publié dans La vie des idéesLes absolus du pouvoir , Laurie Catteeuw résume bien l’argumentation de l’auteur de ces 2 ouvrages :
“Le droit divin, dans la monarchie de la Renaissance, permettait de réguler le pouvoir royal : le prince était perçu comme le « ministre » de Dieu sur Terre, comme son représentant chargé d’interpréter la loi divine, c’est-à-dire la raison naturelle, supérieure, des commandements divins. L’action du roi devait alors se conformer en tout point à cette raison. En somme, si le roi était affranchi de la puissance des lois positives, précisément car il en était lui-même le créateur, il restait soumis aux lois immuables du droit divin. (…)
Il n’est pas vrai, comme le démontre parfaitement Arlette Jouanna, que « la doctrine de la monarchie absolue serait déjà en place au début du XVIe siècle » (p. 145). Et il faut bien attendre « le violent bouleversement, le désarroi autant moral que politique que représenta la rupture de l’unité religieuse » pour voir « la naissante “raison d’État” — et conséquemment la notion même d’État » se développer au cours du siècle suivant (p. 322).»
Un autrearticle de recension publié par Clémence Nasr dans la revue Sciences humaines expose clairement la problématique développée par Arlette Jouanna dans son ouvrage déjà cité, Le prince absolu.
Vous tirerez sans doute profit de la lecture du chapitre Absolutisme, monarchie absolue de l’ouvrage de Bernard Barbiche,Les institutions de la monarchie française à l’époque moderne . Dans son introduction l’auteur retrace l’histoire du terme même d’absolutisme, et expose le positionnement des historiens sur les différentes acceptions du terme : « Le terme d’absolutisme comme l’expression « Ancien Régime » est tardif ; il est apparu en 1797 sous la plume de Chateaubriand dans son Essai sur les Révolutions. Il évoque couramment un régime où le pouvoir du souverain est sans limites, une sorte de dictature ou de despotisme.
Si le mot lui-même est postérieur à la chute de la monarchie, en revanche les expressions « roi absolu », « puissance absolue » étaient employées depuis fort longtemps. Mais ces termes ont été entendus de façon très différente par les historiens, à la fois quant à l’essence même du régime politique qu’ils caractérisent et quant aux modalités de son établissement et de son exercice.
La plupart s’accordent pour considérer que l’absolutisme a atteint son apogée sous le règne de Louis XIV, dont le nom seul évoque, presque intuitivement, comme l’accomplissement et la plénitude du pouvoir monarchique. Mais quand est-il apparu ? »
Bernard Barbiche évoque alors différentes propositions d’historiens, certains faisant remonter l’absolutisme à François Ier, et il propose de « dissocier la doctrine des contingences historiques de son application » (p.6)
« En tant que doctrine, la puissance absolue du roi est affirmée et définie dès le XIVe siècle. » Le roi tire sa puissance de Dieu, mais ce qui change, semble-t-il, au XVIe siècle, c’est la personnalisation du pouvoir, le roi-individu, à l’image de Dieu, réunit en sa personne perfection et puissance.
L’absolutisme peut-il se déduire de l’effacement ou la neutralisation des organes de consultation et de contrôle du pouvoir royal ? L’auteur estime que « le pouvoir absolu ne doit pas être assimilé à la tyrannie, ni au despotisme, ni à la dictature » (p.9) et que « Sous Louis XVI comme sous François Ier, le pouvoir absolu était une fonction suprême d’arbitrage. »
Rôle particulièrement fondamental dans le contexte des guerres de religion, où assurer la cohabitation des différentes confessions incombait au monarque de droit divin et que sut incarner Henri IV.
Arbitre suprême, le roi n’est responsable de sa gestion que devant Dieu, mais cela ne suppose pas qu’il gouverne seul, comme vous l’affirmez dans votre question.
Comme le rappelle Arlette Jouanna, alors que le règne de Louis XIV passe pour être la forme la plus achevée de la monarchie absolue, « les historiens ont mis en évidence l’habileté du roi à faire des concessions aux diverses élites du royaume pour mieux se les attacher et parallèlement, chez ces mêmes élites, la prise de conscience des avantages que leur procurait le service d’un monarque puissant ».
La construction du pouvoir absolu est un processus qui s’élabore donc progressivement. Sous Henri IV et Louis XIII la sacralité du corps du roi et son « élection divine », si l’on peut dire, renforce son pouvoir terrestre, mais c’est sous Louis XIV que culmine cette figure de prince absolu.
Pour une introduction à cette question, se reporter à ce long article de Wikipédia surl'absolutisme .
A lire, un ouvrage peut-être plus pointu, faisant état des recherches des historiens :L’absolutisme en France de Fanny Cosandey et Robert Descimon.
A signaler encore 2 ouvrages généraux où vous pourrez puiser des informations :
- Béguin, Katia.Histoire politique de la France. XVIe-XVIIIe siècle . Armand Colin, 2001
- Bély, Lucien.La France moderne. 1498-1789 . PUF, 2003.
Bonnes lectures !
« Absolu », mot qui vient du latin absolutus, « délié », « détaché » selon une formule tirée du droit romain (Princeps legibus solutus est : Le prince est délié des lois) » nous rappelle Arlette Jouanna dans son introduction à Le pouvoir absolu, comme dans son autre ouvrage consacré à l’absolutisme, Le prince absolu. « Avant les guerres de religion, la monarchie n’était pas volontiers appelée « absolue » ; on la disait plutôt « mixte ». (…) L’idéal du régime mixte exprimait la certitude que la tâche d’accorder l’ordre humain à l’ordre divin devait être collective. Le roi n’était pas le seul médiateur politique entre le ciel et la terre ; les sages de son conseil et les juges de ses cours souveraines le secondaient dans cette mission. » Extrait que vous retrouvez en ligne sur Google Books. Voir aussi sur Google Books Le pouvoir absolu.
Dans un article publié dans La vie des idées
“Le droit divin, dans la monarchie de la Renaissance, permettait de réguler le pouvoir royal : le prince était perçu comme le « ministre » de Dieu sur Terre, comme son représentant chargé d’interpréter la loi divine, c’est-à-dire la raison naturelle, supérieure, des commandements divins. L’action du roi devait alors se conformer en tout point à cette raison. En somme, si le roi était affranchi de la puissance des lois positives, précisément car il en était lui-même le créateur, il restait soumis aux lois immuables du droit divin. (…)
Il n’est pas vrai, comme le démontre parfaitement Arlette Jouanna, que « la doctrine de la monarchie absolue serait déjà en place au début du XVIe siècle » (p. 145). Et il faut bien attendre « le violent bouleversement, le désarroi autant moral que politique que représenta la rupture de l’unité religieuse » pour voir « la naissante “raison d’État” — et conséquemment la notion même d’État » se développer au cours du siècle suivant (p. 322).»
Un autre
Vous tirerez sans doute profit de la lecture du chapitre Absolutisme, monarchie absolue de l’ouvrage de Bernard Barbiche,
Si le mot lui-même est postérieur à la chute de la monarchie, en revanche les expressions « roi absolu », « puissance absolue » étaient employées depuis fort longtemps. Mais ces termes ont été entendus de façon très différente par les historiens, à la fois quant à l’essence même du régime politique qu’ils caractérisent et quant aux modalités de son établissement et de son exercice.
La plupart s’accordent pour considérer que l’absolutisme a atteint son apogée sous le règne de Louis XIV, dont le nom seul évoque, presque intuitivement, comme l’accomplissement et la plénitude du pouvoir monarchique. Mais quand est-il apparu ? »
Bernard Barbiche évoque alors différentes propositions d’historiens, certains faisant remonter l’absolutisme à François Ier, et il propose de « dissocier la doctrine des contingences historiques de son application » (p.6)
« En tant que doctrine, la puissance absolue du roi est affirmée et définie dès le XIVe siècle. » Le roi tire sa puissance de Dieu, mais ce qui change, semble-t-il, au XVIe siècle, c’est la personnalisation du pouvoir, le roi-individu, à l’image de Dieu, réunit en sa personne perfection et puissance.
L’absolutisme peut-il se déduire de l’effacement ou la neutralisation des organes de consultation et de contrôle du pouvoir royal ? L’auteur estime que « le pouvoir absolu ne doit pas être assimilé à la tyrannie, ni au despotisme, ni à la dictature » (p.9) et que « Sous Louis XVI comme sous François Ier, le pouvoir absolu était une fonction suprême d’arbitrage. »
Rôle particulièrement fondamental dans le contexte des guerres de religion, où assurer la cohabitation des différentes confessions incombait au monarque de droit divin et que sut incarner Henri IV.
Arbitre suprême, le roi n’est responsable de sa gestion que devant Dieu, mais cela ne suppose pas qu’il gouverne seul, comme vous l’affirmez dans votre question.
Comme le rappelle Arlette Jouanna, alors que le règne de Louis XIV passe pour être la forme la plus achevée de la monarchie absolue, « les historiens ont mis en évidence l’habileté du roi à faire des concessions aux diverses élites du royaume pour mieux se les attacher et parallèlement, chez ces mêmes élites, la prise de conscience des avantages que leur procurait le service d’un monarque puissant ».
La construction du pouvoir absolu est un processus qui s’élabore donc progressivement. Sous Henri IV et Louis XIII la sacralité du corps du roi et son « élection divine », si l’on peut dire, renforce son pouvoir terrestre, mais c’est sous Louis XIV que culmine cette figure de prince absolu.
Pour une introduction à cette question, se reporter à ce long article de Wikipédia sur
A lire, un ouvrage peut-être plus pointu, faisant état des recherches des historiens :
A signaler encore 2 ouvrages généraux où vous pourrez puiser des informations :
- Béguin, Katia.
- Bély, Lucien.
Bonnes lectures !
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