loi de 1905 et situation des religieuses / religieux
CIVILISATION
+ DE 2 ANS
Le 03/03/2020 à 09h41
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Question d'origine :
Bonjour a l'équipe du guichet du savoir,
Lors du vote de la loi de 1905 de séparation de l'église et de l'état, ayant coupé les vivres à l'église, certains religieux se seraient retrouvés " a la rue" faute de financement des couvents / monastères. D'autre part certains représentant de l'église seraient aller à l'assemblée nationale pour alerter les pouvoirs publics sur cette situation.
je suis donc à la recherche d'information sur ces sujets.
En vous remerciant par avance.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 05/03/2020 à 16h28
Bonjour,
Pour vous répondre au mieux, il serait intéressant que vous nous indiquiez la ou les sources que vous avez consultées et qui vous ont amené à poser cette question.
Cela étant, voici quelques éléments concernant les enjeux économiques pour l’Eglise au lendemain du vote de la loi sur la séparation des églises et de l’Etat.
1) Il y a en effet des membres de l’église catholique qui ont alerté ou en tout cas tenu compte des conséquences financières de l’arrêt (partiel on le verra) du subventionnement du culte par l’Etat. Ainsi, l’évêque de Tarbes écrit-il en avril 1906 dans le Semeur des Hautes-Pyrénées qu’ « à la suite des suppressions opérées par la loi de séparation, le Clergé du Diocèse perd, dès la présente année 1906, la somme de 77889 francs ; ce déficit va augmenter successivement de 14519 fr. en 1907, de 54323 en 1908, et ainsi de suite, si bien que, dans quelques années, il atteindra le chiffre formidable de 262538 francs, jusqu’à ce qu’enfin, toutes les allocations et toutes les pensions étant abolies, les prêtres se trouvent privés, jusqu’au dernier centime d’un traitement [...]. Joignez à cela que cette opération de dépouillement se poursuivra sur un autre point [...]. Dans cinq ans, les curés seront expulsés de leurs presbytères ; dans quatre ans ou dans huit ans, selon les circonstances, les prêtres, comme aussi les églises, ne pourrons plus recevoir des communes ni allocations, ni secours d’aucune sorte [...] ».
Bien plus tôt, dès 1888, le docteur en droit Fernand Butel « dénonce le “péril de la Séparation” » dont « il énumère les résultats […] : la tutelle juridique sur le clergé et les édifices du culte, la suppression du budget des cultes, la guerre sociale à l’intérieur, l’amoindrissement de la puissance coloniale française et surtout la décadence morale de la majorité des Français ».
Dans La séparation de 1905 : des hommes et des lieux, dont est extraite la citation ci-dessus, Bruno Dumons et Daniel Moulinet rappellent que « face à la question de la Séparation, les deux tendance qui ont durablement divisé les catholiques français au cours du XIX (intransigeants/libéraux) se manifestent une fois de plus. Les premières se regroupent dans les Comité catholiques et l’Association des jurisconsultes catholiques. Mais, au fil des années, ils doivent convenir de leur impuissance sur le terrain parlementaire. Eprouvés par vingt ans de lutte infructueuse, les juristes catholiques sont portés à voir dans la loi de 1905 un texte spoliateur et persécuteur ».
A contrario, d’autres organes catholiques voient dans cette réorganisation du financement du culte une chance pour l’Eglise. « Le Bulletin de la semaine du 16 janvier 1907 estime que “dans la réorganisation éventuelle du catholicisme, c’est vers le peuple qu’il faut tourner les yeux. Les conditions nouvelles ne rendent pas seulement désirable, mais facile. Par sa pauvreté même, l’Eglise se rapproche des masses. Elle revient à ses origines évangéliques et se retrempe à ces sources fécondes du renoncement et de la souffrance. Le prêtre cesse d’être un fonctionnaire, un salarié, qui remplit une fonction d’Etat. Il n’est plus que le ministre libre de la Parole, l’apôtre désintéressé du vrai et du bien » (Source : La Séparation des églises et de l’Etat, de Jean-Marie Mayeur, ed. Ouvrières).
Dans le temps qui nous était imparti pour répondre à votre question, nous n’avons pas pu trouver de document attestant précisément de prise de parole de représentants de l’Eglise à l’assemblée nationale évoquant ce sujet. Cependant, nous vous invitons à consulter les débats de la chambre des députes précédant le vote de la loi de 1905, disponibles sur Gallica.
2) Concernant les lieux de cultes, la séparation de l’Eglise et de l’Etat ne laisse théoriquement pas l’Eglise sans ressources ni accompagnement de la puissance publique. En effet, selon le site comptazine.fr « la plupart des églises et des cathédrales de France appartiennent à l’Etat et aux collectivités territoriales. En 1905, les bâtiments cultuels auraient dû être rachetés par l’Eglise pour que l’Etat n’en supporte plus la charge. Mais faute de moyen et d’organisation juridique pour racheter les biens, ils ont été conservés par l’Etat.
Finalement, la loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes a clarifié la situation. Les édifices bâtis avant 1905 qui n’ont pas été acquis par une association cultuelle, et qui représentent la majorité des églises de France, restent propriété de l’État qui les met cependant à la disposition des ministres du culte, pour son exercice. Seuls les édifices cultuels construits après 1905 sont donc la propriété pleine et entière de ceux qui les ont bâtis, à savoir les diocèses et associations cultuelles ».
Dans une de ses notes de synthèse, le Sénat confirme : « Si la séparation implique théoriquement l'interdiction de toute subvention, directe ou indirecte, en faveur d'une communauté religieuse, ce régime de séparation est loin d'être absolu.
Ainsi, la loi de séparation dispose à l'article 12 que « les édifices qui (...) servent à l'exercice public des cultes ou au logement de leurs ministres (...) sont et demeurent propriétés de l'État, des départements, des communes et des établissements publics de coopération intercommunale ayant pris la compétence en matière d'édifice des cultes ».
Les collectivités locales sont donc en partie chargées de l’entretien des lieux de cultes qui ne seront globalement pas laissés en déshérence.
Dans un rapport d’information, le Sénat, toujours lui, précise également que « tous les types de patrimoine religieux (églises, mosquées, synagogues, temples, cathédrales, chapelles, couvents, monastères, prieurés, abbayes, croix, calvaires, temples, collégiales, baptistères etc.) peuvent être protégés au titre des monuments historiques s'ils remplissent les critères définis par la loi, ce qui couvre un champ très large. La protection concerne aussi les objets mobiliers (orgues, patrimoine campanaire, croix, orfèvrerie, statuaire, autels, trésors, textiles, etc.), les critères applicables étant les mêmes que pour les édifices ».
C’est la loi de 1913 qui fixe, peu de temps après la loi de Séparation de l’église et de l’Etat, le sens du patrimoine historique et de sa protection. De très nombreux lieux religieux en bénéficieront. Vous trouverez de précieuses informations au sujet du patrimoine religieux sur le site www.patrmoine-religieux.fr.
3) Si les lieux de culte ne sont pas laissés à l’abandon, qu’en est-il des religieux et de leurs rémunérations ? En effet, avec le régime du Concordat, institué en 1801 par Napoléon, les curés sont rémunérés par l’Etat. La loi de Séparation met fin à cette situation. C’est l’Eglise qui devra s’acquitter du « salaire » des curés, notamment par le biais du denier du culte (aujourd’hui appelé « denier de l’Eglise ») : ils sont donc théoriquement tributaires à partir de 1905 de la générosité des fidèles.
Or Maurice Larkin explique, dans L’Eglise et l’Etat en France, 1905 : la crise de la séparation, que cet arrêt des versements de salaires l’Etat ne s’est effectué que progressivement. Ainsi « tout débat constructif fut limité à la manière dont s’interrompraient les paiements de l’Etat – en particulier la période diminution progressive et les dispositions spéciales pour les prêtres âgés […]. A la fin des élections de mai 1906, plus de 30000 prêtres avaient déjà fait valoir leurs droits ; la plupart des autres le firent dans les mois suivants ». En raison de ces mesures transitoires, il est peu probable que les curés se fussent retrouvés complètement « à la rue ».
En revanche, comme le rappelle un article du Nouvel Obs, le concordat « ne prévoyait rien pour le clergé régulier » (moines et religieuses), lequel avait, rappelons-le, été interdit en 1790. Ses membres n’étaient vraisemblablement pas payés par l’Etat. Leur situation de ce point de vue n’a donc pas évolué suite à la loi de 1905.
Pour aller plus loin :
- Jean Baubérot, La loi de 1905 n’aura pas lieu, histoire politique des Séparations des Eglises et de l’Etat (1902-1908), ed. de la FMSH.
- « La loi de Séparation de 1905 ou l’impossible rupture », article de 2004 de Mathilde Guillebaud, publié dans la Revue d’histoire du XIXe siècle.
Pour vous répondre au mieux, il serait intéressant que vous nous indiquiez la ou les sources que vous avez consultées et qui vous ont amené à poser cette question.
Cela étant, voici quelques éléments concernant les enjeux économiques pour l’Eglise au lendemain du vote de la loi sur la séparation des églises et de l’Etat.
1) Il y a en effet des membres de l’église catholique qui ont alerté ou en tout cas tenu compte des conséquences financières de l’arrêt (partiel on le verra) du subventionnement du culte par l’Etat. Ainsi, l’évêque de Tarbes écrit-il en avril 1906 dans le Semeur des Hautes-Pyrénées qu’ « à la suite des suppressions opérées par la loi de séparation, le Clergé du Diocèse perd, dès la présente année 1906, la somme de 77889 francs ; ce déficit va augmenter successivement de 14519 fr. en 1907, de 54323 en 1908, et ainsi de suite, si bien que, dans quelques années, il atteindra le chiffre formidable de 262538 francs, jusqu’à ce qu’enfin, toutes les allocations et toutes les pensions étant abolies, les prêtres se trouvent privés, jusqu’au dernier centime d’un traitement [...]. Joignez à cela que cette opération de dépouillement se poursuivra sur un autre point [...]. Dans cinq ans, les curés seront expulsés de leurs presbytères ; dans quatre ans ou dans huit ans, selon les circonstances, les prêtres, comme aussi les églises, ne pourrons plus recevoir des communes ni allocations, ni secours d’aucune sorte [...] ».
Bien plus tôt, dès 1888, le docteur en droit Fernand Butel « dénonce le “péril de la Séparation” » dont « il énumère les résultats […] : la tutelle juridique sur le clergé et les édifices du culte, la suppression du budget des cultes, la guerre sociale à l’intérieur, l’amoindrissement de la puissance coloniale française et surtout la décadence morale de la majorité des Français ».
Dans La séparation de 1905 : des hommes et des lieux, dont est extraite la citation ci-dessus, Bruno Dumons et Daniel Moulinet rappellent que « face à la question de la Séparation, les deux tendance qui ont durablement divisé les catholiques français au cours du XIX (intransigeants/libéraux) se manifestent une fois de plus. Les premières se regroupent dans les Comité catholiques et l’Association des jurisconsultes catholiques. Mais, au fil des années, ils doivent convenir de leur impuissance sur le terrain parlementaire. Eprouvés par vingt ans de lutte infructueuse, les juristes catholiques sont portés à voir dans la loi de 1905 un texte spoliateur et persécuteur ».
A contrario, d’autres organes catholiques voient dans cette réorganisation du financement du culte une chance pour l’Eglise. « Le Bulletin de la semaine du 16 janvier 1907 estime que “dans la réorganisation éventuelle du catholicisme, c’est vers le peuple qu’il faut tourner les yeux. Les conditions nouvelles ne rendent pas seulement désirable, mais facile. Par sa pauvreté même, l’Eglise se rapproche des masses. Elle revient à ses origines évangéliques et se retrempe à ces sources fécondes du renoncement et de la souffrance. Le prêtre cesse d’être un fonctionnaire, un salarié, qui remplit une fonction d’Etat. Il n’est plus que le ministre libre de la Parole, l’apôtre désintéressé du vrai et du bien » (Source : La Séparation des églises et de l’Etat, de Jean-Marie Mayeur, ed. Ouvrières).
Dans le temps qui nous était imparti pour répondre à votre question, nous n’avons pas pu trouver de document attestant précisément de prise de parole de représentants de l’Eglise à l’assemblée nationale évoquant ce sujet. Cependant, nous vous invitons à consulter les débats de la chambre des députes précédant le vote de la loi de 1905, disponibles sur Gallica.
2) Concernant les lieux de cultes, la séparation de l’Eglise et de l’Etat ne laisse théoriquement pas l’Eglise sans ressources ni accompagnement de la puissance publique. En effet, selon le site comptazine.fr « la plupart des églises et des cathédrales de France appartiennent à l’Etat et aux collectivités territoriales. En 1905, les bâtiments cultuels auraient dû être rachetés par l’Eglise pour que l’Etat n’en supporte plus la charge. Mais faute de moyen et d’organisation juridique pour racheter les biens, ils ont été conservés par l’Etat.
Finalement, la loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes a clarifié la situation. Les édifices bâtis avant 1905 qui n’ont pas été acquis par une association cultuelle, et qui représentent la majorité des églises de France, restent propriété de l’État qui les met cependant à la disposition des ministres du culte, pour son exercice. Seuls les édifices cultuels construits après 1905 sont donc la propriété pleine et entière de ceux qui les ont bâtis, à savoir les diocèses et associations cultuelles ».
Dans une de ses notes de synthèse, le Sénat confirme : « Si la séparation implique théoriquement l'interdiction de toute subvention, directe ou indirecte, en faveur d'une communauté religieuse, ce régime de séparation est loin d'être absolu.
Ainsi, la loi de séparation dispose à l'article 12 que « les édifices qui (...) servent à l'exercice public des cultes ou au logement de leurs ministres (...) sont et demeurent propriétés de l'État, des départements, des communes et des établissements publics de coopération intercommunale ayant pris la compétence en matière d'édifice des cultes ».
Les collectivités locales sont donc en partie chargées de l’entretien des lieux de cultes qui ne seront globalement pas laissés en déshérence.
Dans un rapport d’information, le Sénat, toujours lui, précise également que « tous les types de patrimoine religieux (églises, mosquées, synagogues, temples, cathédrales, chapelles, couvents, monastères, prieurés, abbayes, croix, calvaires, temples, collégiales, baptistères etc.) peuvent être protégés au titre des monuments historiques s'ils remplissent les critères définis par la loi, ce qui couvre un champ très large. La protection concerne aussi les objets mobiliers (orgues, patrimoine campanaire, croix, orfèvrerie, statuaire, autels, trésors, textiles, etc.), les critères applicables étant les mêmes que pour les édifices ».
C’est la loi de 1913 qui fixe, peu de temps après la loi de Séparation de l’église et de l’Etat, le sens du patrimoine historique et de sa protection. De très nombreux lieux religieux en bénéficieront. Vous trouverez de précieuses informations au sujet du patrimoine religieux sur le site www.patrmoine-religieux.fr.
3) Si les lieux de culte ne sont pas laissés à l’abandon, qu’en est-il des religieux et de leurs rémunérations ? En effet, avec le régime du Concordat, institué en 1801 par Napoléon, les curés sont rémunérés par l’Etat. La loi de Séparation met fin à cette situation. C’est l’Eglise qui devra s’acquitter du « salaire » des curés, notamment par le biais du denier du culte (aujourd’hui appelé « denier de l’Eglise ») : ils sont donc théoriquement tributaires à partir de 1905 de la générosité des fidèles.
Or Maurice Larkin explique, dans L’Eglise et l’Etat en France, 1905 : la crise de la séparation, que cet arrêt des versements de salaires l’Etat ne s’est effectué que progressivement. Ainsi « tout débat constructif fut limité à la manière dont s’interrompraient les paiements de l’Etat – en particulier la période diminution progressive et les dispositions spéciales pour les prêtres âgés […]. A la fin des élections de mai 1906, plus de 30000 prêtres avaient déjà fait valoir leurs droits ; la plupart des autres le firent dans les mois suivants ». En raison de ces mesures transitoires, il est peu probable que les curés se fussent retrouvés complètement « à la rue ».
En revanche, comme le rappelle un article du Nouvel Obs, le concordat « ne prévoyait rien pour le clergé régulier » (moines et religieuses), lequel avait, rappelons-le, été interdit en 1790. Ses membres n’étaient vraisemblablement pas payés par l’Etat. Leur situation de ce point de vue n’a donc pas évolué suite à la loi de 1905.
- Jean Baubérot, La loi de 1905 n’aura pas lieu, histoire politique des Séparations des Eglises et de l’Etat (1902-1908), ed. de la FMSH.
- « La loi de Séparation de 1905 ou l’impossible rupture », article de 2004 de Mathilde Guillebaud, publié dans la Revue d’histoire du XIXe siècle.
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