D'où vient le mot Jésus dans le nom d'un gros saucisson ?
Question d'origine :
D'où vient le mot Jésus dans le nom d'un gros saucisson ?
Réponse du Guichet

Trois explications pour l'attribution de ce nom à ce robuste saucisson coexistent : autrefois préparé à noël, le jésus (ou jésu) aurait été fait des meilleurs morceaux de porc, et/ou aurait rappelé la forme d'un nourrisson emmailloté...
Bonjour,
Selon la réponse de nos collègues de la Documentation régionale Saucisson Jésus et notre réponse Saucisse de Morteau....pourquoi "Jésu(s)".?, trois explications existent, pas forcément exclusives les unes des autres : la dénomination du Jésu[s] viendrait de sa forme semblable à celle de l'enfant Jésus, du fait qu'il était traditionnellement servi à noël, ou enfin que, fabriqué avec les meilleurs morceaux, il aurait bien mérité une appellation honorifique :
L'explication communément admise de l'usage du nom de jésus pour désigner ce gros saucisson vient de son aspect qui fait quelque peu penser à un enfant emmailloté comme celui de la crèche au moment de Noël. Le jésu de Morteau était par ailleurs traditionnellement servi au moment de Noël.
Voir le site officiel de la saucisse de Morteau.
Voici la définition apportée par le Grand Larousse gastronomique :
jésus : saucisson sec de gros diamètre embossé dans un morceau de gros intestin de porc. Sa pâte, généralement pur porc, parfois porc et bœuf, est identique à celle de la rosette. Le séchage dure plus de 2 mois.
On appelle également "jésus" un saucisson cuit de gros diamètre emballé en boyau naturel, qui était à l'origine préparé à la ferme et consommé traditionnellement à l'époque de noël dans tout l'est de la France, notamment dans le Doubs, à Morteau. Poché, il garnit des potées ou des apprêts régionaux.
Autre définition :
Saucisson de gros diamètre, hachage gros, emballé sous caecum de porc (...). Il est plus souvent pur porc, mais quelquefois porc et bœuf`` (Encyclop. de la charcut., Orly, Soussana, 1982, p. 405). Jésus sec, cuit.
♦ Jésus de Morteau. Avec une partie de la viande des porcs, on confectionnait des saucisses séchées et fumées (...). Dans ces conditions est né le fameux « Jésus de Morteau ». C'était la plus belle saucisse fabriquée avec les meilleurs morceaux et logée dans le plus gros boyau que l'on réservait pour le repas de la nuit de Noël, d'où certainement son nom (Encyclop. de la charcut., Orly, Soussana,1982,p. 641).
source : CNRTL
Les réponses citées ayant quelques années, nous avons cherché à confirmer ces informations avec des documents plus récents. Nous avons donc consulté :
- Charcuterie [Livre] : recettes, reportages & savoir-faire / Fabien Pairon ; photographies d'Aimery Chemin
- La charcuterie lyonnaise [Livre] : 80 recettes pour la cuisiner entre tradition et modernité / Maison Sibilia ; photographies de Frédéric Lucano ; stylisme de Sonia Lucano
- Le livre du compagnon charcutier-traiteur [Livre] : CAP, bac pro : élèves, apprentis et artisans / Michel Poulain, Jean-Claude Frentz, Christophe Tourneux
- Le lexique culinaire Ferrandi [Livre] : l'école française de gastronomie / Kilian Stengel
L'Atlas pratique des jambons et saucissons [Livre] : origines, terroirs, accords / Tristan Sicard ; illustrations de Yannis Varoutsikos
- Dictionnaire gourmand [Livre] : du canard d'Apicius à la purée de Joël Robuchon / Marie-Hélène Baylac
- Mots & fourneaux : la cuisine de A à Z : histoire, langue et patrimoine / Tristan Hordé
Sans apprendre grand-chose de nouveau. En ligne, des sites aussi divers que des magazines (Tribune de Lyon...) et des charcuteries (Sibilia, Commenges...) privilégient l'une ou l'autre explication, ou les combinent. Quant au Dictionnaire historique de la langue française (Robert), il retient uniquement l'explication par analogie de forme.
Nous pensons donc que l'origine de l'appellation du Jésus, régionale et populaire, restera obscure, car elle a circulé oralement longtemps avant de passer sous la plume des lexicographes. Nous vous invitons toutefois à consulter le Dictionnaire des régionalismes de France, accessible en ligne. S'il ne tranche pas sur l'origine exacte du mot, cet ouvrage de référence nous en apprend beaucoup sur sa diffusion depuis l'est de la France au cours des XIXè-XXè siècles :
Innovation régionale sur fr. jésus "représentation de l’enfant-Jésus emmailloté dans la crèche" (non daté dans FEW ni dans les dictionnaires généraux ; 1843 Th. Gautier, Frantext), par analogie de formea, attestée dep. 1881 dans le français du Doubs (BeauquierDoubs, avec la précision : « qui se fabrique à Morteau »). En 1948, Wartburg (FEW) ne pouvait relever ces dénominations que dans le français du Doubs (1881), de Pontarlier (1925), dans le patois et le français de GrCombe (1910 [aussi en français] et 1929) et en Isère dans le parler de Meyssiés (DTFr 1935)b. De plus, vers 1950, ⌈ (bon) Jésus ⌉ "saucisson de forme sphérique", parfois "rosette" (ALLy 329, 330), n’avait pratiquement pas atteint les parlers du Roannais (sauf pt 16), en général fidèles à des types plus traditionnels (⌈ sac ⌉ ou composés) ; restant nettement cantonné dans l’est du domaine de l’ALLy, il dessinait alors une aire d’aspect lyonnais (cf. encore ALJA 750, pt 85, dans le nord de la Drôme). L’impression se dégage donc d’un mot prenant son origine dans le français du Doubs (où est produite la variété la plus connue, le jésus de Morteau) et dont la diffusion vers la région lyonnaisec et la Bourgogned est récente ; en Bourgogne, le mot est senti comme un « nom d’origine lyonnaise qui remplace le local judru* » (TavBourg 1991). La dérégionalisation du terme est aujourd’hui largement en cours, au point que diverses régions, notamment dans le Sud-Ouest, se sont approprié le nom et le référente. Le sens métonymique est attesté dep. 1899 en Beaujolais ("gros intestin de porc" GarnierNuits, v. FEW). 2, attesté d’abord dans le français du Forez dep. 1863 (« Gros saucisson, nommé aussi Bon-Jésus, et que l’on mange au réveillon de Noël » GrasForez s.v. boterliat) ; 1881 (« On appelle aussi ce comestible un “bon Jésus” » BeauquierDoubs), possède une distribution sporadique à l’intérieur de l’aire de 1f ; on note parallèlement un autre développement secondaire : gros jésus (1909, en référence aux Montagnes du Doubs, v. HöflerRézArtCulin ; cf. Petit-Noir [Jura] grô Jézu dans FEW), plus limité et éphémère. La variante (bon) josé, d’extension sub-régionale, s’explique par un enchaînement associatif (soutenu par la paraphonie) ayant substitué le nom de Joseph, dans sa prononciation populaire Joség, à celui de Jésus : ces types secondaires sont représentés dans les parlers dialectaux d’une zone située au nord de Lyon (ALLy 330 ; Lantignié-en-Beaujolais dans FEW), où est également attesté le composé ⌈ gros joseph ⌉ (ALLy 330) ainsi que ⌈ la dame ⌉ (qui prolonge les mêmes rapports associatifs), toutes dénominations dialectales empruntées, comme l’a indiqué Gardette (ALLy 5, 243-244), au français régional. Seul 1 est entré dans la lexicographie générale, dès Lar 1931 (mais Ø GLLF) ; cet emploi est aujourd’hui relevé sans marque diatopique par TLF (qui cite un ouvrage technique de 1982, mais néglige de dater le sens), Rob 1985 et NPR 1993-2000 jésus de Lyon, jésus de Morteau (avec une remarque portant sur le référent : « fabriqué dans le Jura, en Alsace et en Suisse ») et Lar 2000 jésus de Lyon ou jésus.
Bonne journée.